Un vague hashtag? Deux routes blanches qui se croisent? Des quarts de cercle qui se frottent? Ou une croix suisse ébouriffée? Comme toujours, ce sera au public de décider ce qu'il veut bien voir. Ce qui est sûr, c'est que la nouvelle identité visuelle de PostFinance, dévoilée discrètement cette semaine, voudrait exprimer le «dynamisme», la «modernité», la «fraîcheur», la «confiance», la «fiabilité».
Oui, tout ça à la fois.
Marcel Bührer, le président du conseil d’administration, estime qu'avec ce logo, «PostFinance rend hommage à ses racines et met en évidence son appartenance à La Poste».
Vraiment?
Soyons francs, chez watson, on peine à percevoir la moindre dédicace aux «racines» de la marque. Habité par le secret espoir d'être élégamment contredit, on a passé un coup de fil à un spécialiste. Chris Gautschi est un artisan lausannois qui aime le nombre d'or, la symétrie, le brutalisme, le noir blanc, le premier logo de Swissair et se décrit rigoureusement comme un «graphiste suisse». Pour lui, c'est d'abord une question de savoir-faire et de traditions:
Pour appuyer son propos, notre interlocuteur invoque le travail réalisé sur la nouvelle identité visuelle de La Poste, rafraîchie en avril 2023, qui «regarde en arrière, sans pour autant se retourner. Un hommage réussi aux inoubliables PTT».
Sur les réseaux sociaux, les clients sont nombreux à pleurer l'abandon des origines de la marque. «Pourquoi ne voulez-vous plus rien avoir à faire avec la Suisse? Je ne comprends pas bien le concept», nous dit un certain Christian Kraettli. Plus précis dans sa critique et confondant au passage cette croix suisse «stylisée» avec un fruit exotique, un autre internaute bloque sur un détail qui éloigne encore un peu plus PostFinance de l'idée du fleuron helvétique: cette étrange couleur «pétrole», qui hésitera toujours entre le bleu et le vert, mais qui n'a plus rien du rouge emblématique de La Poste.
Pour couronner le tout, ce visuel n'a rien d'inédit. Une rapide recherche inversée sur Google Image permet de réaliser que les croix arrondies sont légion. Pour l'entreprise suisse, rien de bien grave, étant donné qu'il y a la mention de PostFinance juste à côté: «Nous ne sommes pas seulement une marque illustrée, mais aussi une marque verbale», se justifie la filiale bancaire de La Poste, sur le réseau social d'Elon Musk. Soit.
Un argument qui ne convainc pas un certain «Ba🚁bouille🙃», qui appuie sur le montant que PostFinance a dû débourser pour un logo aussi «original».
Pour l'entreprise, c'est une gifle. Alors, forcément, depuis le début de la semaine, son community manager transpire à grosses gouttes pour défendre ce ravalement de façade. La couleur pétrole? «Elle fait partie depuis longtemps de notre identité visuelle.» (On cherche encore.) Et le logo? «Les quarts de cercle incurvés représentent le dynamisme et le mouvement.» Soit, mais pourquoi s'éloigner autant de la Suisse? «Ne vous inquiétez pas, nous sommes toujours aussi suisses. La croix reste également parmi nous, simplement représentée un peu différemment!»
Enfin, pourquoi fallait-il tout bouleverser?
Nous y voilà. Le numérique. Sur la plateforme X, PostFinance en a profité pour dévoiler une courte animation, censée plonger l'entreprise dans le grand bain du futur.
🎉 Unser Markenauftritt erhält eine Auffrischung! Das neue Logo repräsentiert eine PostFinance mit Finanzdienstleistung für eine moderne, innovative Schweiz und wird rollend sowohl digital als auch offline bis 2025 eingeführt. 💛 Mehr Infos: https://t.co/ymQIMiMW2C pic.twitter.com/J1Go5XdpHy
— PostFinance (@PostFinance) February 24, 2024
Mais ce rafraîchissement est-il réellement «moderne»? Au bout du fil, Chris Gautschi soupire, avant de relativiser l'esprit Black Mirror de la marque suisse: «Il faut toujours se méfier de la définition de la modernité. A sa manière, un fauteuil du Corbusier est encore fondamentalement moderne. Ici, PostFinance récupère simplement les codes typographiques que l’on retrouve dans des marques numériques comme Uber ou Meta».
De son côté, force est de constater que PostFinance a compris aussi vite que ses clients le peu d'excitation que suscite son nouveau visage. Quelques heures après l'avoir brandi fièrement sur X, le compte officiel de l'entreprise a fait amende honorable. Un abandon qui peut surprendre.
En fin de compte, à l'instar du Groupe Mutuel en 2022, PostFinance a fortement adouci les angles de sa devanture, quitte à perdre le sérieux qu'impose son cahier des charges et nous faire oublier qu'elle est une banque. Pour l'anecdote, la compagnie d'assurance parlait à l'époque d'un logo qui évoque la «sérénité et la bienveillance». Sans doute pour faire oublier le choc de la prime à la fin du mois.
C'est l'époque qui veut cela.
Pour la filiale bancaire du géant jaune, qui fricote déjà avec des timbres en NFT et vient tout juste de dégainer une nouvelle offre dans les cryptomonnaies, l'ancrage national n'est donc plus une priorité. Mais comme le rappelle très bien le graphiste Chris Gautschi, PostFinance a beau tout faire pour s'éloigner de ses racines, «les clients continueront à penser qu'ils ont un compte à La Poste».