Il n’y en aurait plus que pour la lettre T. T comme trans. Les L, les B et les G, pour lesbiennes, gays et bisexuels, du moins une partie d’entre eux, ne s'y retrouveraient plus dans les combats LGBT actuellement menés. Juin, le mois des marches des fiertés, sera-t-il celui des divisions exposées au grand jour?
En France, le T a disparu du Coin des LGB, un groupe Twitter relativement confidentiel, comparé à son grand frère anglophone, pour qui «l’idéologie TQ++ nuit aux LGB». Q renvoie ici à queer, soit une personne dont l'orientation ou l'identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants, selon une définition large. Nous n’en saurons pas plus sur le Coin des LGB. A peine lui avions-nous envoyé un message, qu’il nous a bloqué.
Le T n’a pas sauté du groupe Twitter Fiertés Citoyennes, une «association LGBT+ militante et non-partisane, qui se mobilise dans le respect de l’universalisme et des principes de laïcité, d’égalité et de solidarité», selon sa propre description. Le T n’a pas sauté, mais il est en quelque sorte sous surveillance. Arnaud Abel, président et membre fondateur de Fiertés Citoyennes:
Explication: alors que les lettres LGB rendent compte d’orientations sexuelles et de combats menés pour le droit de vivre librement sa sexualité, homo ou bi, la lettre T tourne autour de l’identité de genre, qui ne préjuge pas, elle, de pratiques sexuelles.
Ce distinguo, et parfois ce fossé, se retrouve et s’incarne principalement dans deux drapeaux: d’un côté, l’historique «rainbow flag», aux couleurs de l’arc-en-ciel, conçu en 1978; de l’autre, l’inclusif ou «Progress Pride», qu’on pourrait traduire par «fierté et progressisme», apparu récemment, en 2018.
Au classique LGBT, les quatre lettres ayant mené de front les luttes émancipatrices originelles, à la fin des années 60, avant que n'apparaissent des divergences, répond depuis peu le LGBTIQ+, I signifiant «intersexuel». Un terme relatif aux caractères sexuels biologiques, en l’occurrence mal définis, d’un individu, à sa naissance.
Avec son triangle s’enfonçant tel un saillant dans les couleurs de l’arc-en-ciel, le «Progress Pride» ressemble au drapeau de l’Afrique du Sud. Il charrie un univers «non binaire», en opposition ou en complément au monde binaire, celui des hommes et des femmes «cis». Autrement dit, à l’aise dans leur identité de genre «assignée à la naissance», selon un vocabulaire politiquement engagé, généralement à gauche ou à l'extrême gauche, celui des LGBTIQ+. Le «Progress Pride», enfin, recouvre une dimension intersectionnelle, celle de la convergence des luttes minoritaires, y compris de «races» et de religions, ce qui inclut les femmes voilées.
Arnaud Abel, laïque, républicain, ne se reconnaît pas dans ces définitions élargies. «Pour moi, il n’y a qu’un seul drapeau, l’historique et universel LGBT, le rainbow flag», soutient-il comme on déclare sa foi. Le président de Fiertés Citoyennes développe son propos:
Arnaud Abel ajoute:
Cet appel à l’union, on l’entend à Genève, qui accueillera la marche des fiertés le 10 juin. On l’entend, mais on se garde de tout discours clivant. D’abord, comme Arnaud Abel en France, Eric Amato, le coprésident de la Fédération genevoise des associations LGBT, affirme qu’«on ne peut pas, historiquement, séparer les combats des personnes gays, lesbiennes ou bi, de ceux des personnes trans». L’irruption, ensuite, du drapeau inclusif dans la cause LGBT ne préoccupe pas le Genevois. Mais il comprend pourquoi certains s’inquiètent en le voyant:
Une crainte qui ne serait pas justifiée:
«La seule tension qu’on peut avoir, reprend le coprésident de la Fédération genevoise des associations LGBT, c’est avec une association d’activistes guidée par la peur de l’autodétermination des personnes trans, l’AMQG, l’Association pour une approche mesurée des questions de genre, qui fait plus de mal que de bien en propageant des peurs et des propos éloignés des réalités et connaissances scientifiques.» L’association en question ne sera probablement pas d’accord avec cette présentation.
Mo, 30 ans, est né femme. Il a transitionné. «Je trouve dommage que toutes les lettres de LGBTIQ+ n’aient pas encore les mêmes droits que les lettres qui ne se trouvent pas dans cet acronyme», dit-il. Et d’enchaîner:
Mo a prévu de se rendre à la pride genevoise du 10 juin.
Fiertés Citoyennes, pour l'heure une trentaine de personnes, «plus entre 35 et 40 ans qu’entre 25 et 30», précise Arnaud Abel à regret, tant il est important d'avoir des jeunes lorsqu’on mène un combat militant, devrait prendre part à la marche des fiertés parisienne du 24 juin. L'association n'y a pas que des amis. Avec son profil laïque militant, Fiertés Citoyennes fait face à des accusations d'«homonationalisme», un synonyme d'extrême droite.
La tension entre «universalistes» et «inclusivistes» est palpable à l'approche de la pride parisienne. En témoignent les échanges sur le compte Twitter Tilo_fr, qui n'est pas membre de Fiertés Citoyennes:
Regardez les menaces que je reçois de la part de ces crapules #LGBT #Gay #loveislove #love #Pharos #homophobie #Racialisme #Violence #Pride #PrideMonth #PrideMonth2023 pic.twitter.com/YPs2Snrede
— Tilo_fr 🇪🇺🇺🇦🇫🇷🏳️🌈Le Fédéraliste (@Super_Yoyo_fr) June 1, 2023
Un membre de Fierté Citoyennes portant un t-shirt «Je suis Mila», du nom de la jeune femme victime d'une campagne de harcèlement après qu'elle avait insulté le «prophète» dans un chat où elle était prise à partie, a précédemment été agressé par des queers n'admettant pas qu'on puisse manquer de respect aux religions, spécialement à l'islam, rapporte Arnaud Abel. «Mais nous avons du répondant», prévient-il, avec une pointe d'humour, à trois semaines de la marche parisienne. Qui, cette année, se fera sans chars, sobriété écologique oblige. A Genève, le pont du Mont-Blanc sera pavoisé aux couleurs LGBT, les classiques comme les nouvelles, en principe.