La thématique de l'approvisionnement énergétique est sur toutes les lèvres en Europe. En Suisse, le Conseil fédéral a évoqué une ligne rouge psychologique, celle de possibles rationnements de gaz et d'électricité en cas de pénurie, prévus dans le plan «Ostral».
On parle de «délestage cyclique», mais il s'agit bien de coupures de courant, pouvant durer jusqu'à quatre heures. Si c'est une mesure dont l'application serait exceptionnelle, le spectre du rationnement énergétique est agité.
Dans d'autres coins du monde, pas si loin de nous, la pénurie énergétique est pourtant la norme. Au Liban, à cause d'une crise politique et sociale sans précédent et d'une pénurie importante de carburant, le courant est coupé plusieurs heures, tous les jours.
Megan Ferrando, une Française qui travaille pour une ONG active dans le secteur de l'eau à Zahlé, une ville située à l'est du pays et proche de la frontière syrienne, nous explique comment la vie suit son cours au milieu des coupures de courant régulières.
Vous travaillez depuis quelques mois au sein d'une ONG dans la ville de Zahlé, au Liban. Le pays connaît des coupures de courant quotidiennes. Pouvez-vous nous en dire plus?
Megan Ferrando: Le courant est coupé plusieurs fois par jour, à des heures fixes: de 2h à 6h dans la nuit, le matin de 8h30 à 10h30 et l'après-midi de 14h30 à 16h30. Je tiens à dire que nous avons de la chance dans cette région, car les coupures sont planifiées. Dans d'autres parties du pays, les coupures de courant sont irrégulières, ce qui rend les choses beaucoup plus difficiles. À Beyrouth, le courant est coupé durant de longues heures, mais cela dépend encore des quartiers.
Comment vous organisez-vous avant que le courant ne soit coupé?
On charge tous ses appareils électroniques à fond, ce qui permet sans problème de tenir deux heures. Je suis arrivée ici avec une batterie externe, au cas où, mais au final cela ne m'a pas servi.
Les magasins sont toujours ouverts. Par exemple, on peut aller faire ses courses à 15h dans une enseigne où il n'y aura pas de lumière.
Comment est-ce que cela fonctionne avec certains appareils qui ne peuvent pas être débranchés, comme les congélateurs?
À ce moment-là, il faut activer une génératrice qui va prendre le relai après la coupure de courant. Pour les frigos, ce n'est pas forcément un problème, celui-ci reste suffisamment froid durant la coupure et recommence à fonctionner dès que l'électricité revient. Mais il est impossible de faire descendre ou monter les stores à ce moment-là, par exemple.
Y a-t-il d'autres sources d'énergie utilisables durant ces coupures?
Dans plusieurs ONG occidentales, comme celle où je travaille, des panneaux solaires sont installés sur le toit. Les personnes qui ont de l'argent peuvent s'acheter une génératrice et la faire tourner avec de l'essence pour maintenir certains appareils électriques branchés.
Le réseau téléphonique fonctionne-t-il? Est-il possible, par exemple d'appeler les urgences lors des coupures?
Oui, le réseau fonctionne, y compris pour la 4G. Il suffit juste d'avoir prévu assez de batterie sur son téléphone. Les gens passent leur temps sur WhatsApp et leur écran, il n'y a aucune différence avec les moments où le courant est actif. Au besoin, on utilise le réseau mobile comme routeur sur notre ordinateur, si on doit absolument se connecter.
On pourrait penser que cette pause d'électricité serait bienvenue pour se déconnecter un peu des réseaux, mais non, ça ne change rien.
Quelle est la situation avec les coupures de nuit?
On ne les remarque quasiment pas en semaine, parce que ce sont les heures où on dort. Le week-end, pour la vie nocturne, la situation peut être un peu différente. La première fois que ça m'est arrivé de nuit, c'était dans un bar. Il y avait de l'ambiance et de la musique et, d'un coup, vers 2h, les lumières se sont éteintes et la musique s'est arrêtée. Personne n'a averti les clients un peu à l'avance.
On s'y fait, avec le temps. Maintenant, cela m'incite plutôt à rentrer. Je sais qu'à Beyrouth, il a des clubs où quand le courant tombe, une génératrice est prête à être mise en marche dans la minute et tout reprend comme si de rien n'était. Il faut dire qu'économiquement parlant, des boîtes ou bars ne peuvent pas se permettre de faire une croix sur leurs clients la nuit.
Comment pensez-vous que la population d'un pays européen réagirait en cas de pareilles coupures?
La grande différence, c'est la confiance de la population envers le gouvernement. Ici, ce n'est pas le cas et l'énergie est tombée en mains d'acteurs privés qui facturent leurs services, parfois à prix d'or. Les gens sont devenus débrouillards.
C'est un peu comme le Covid: si on nous avait dit quelques mois auparavant qu'on devrait vivre confinés, on aurait jugé cela impossible. Et au final, quand il faut le faire, ça se passe plutôt bien.