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3 femmes brisent le tabou de l'incontinence

«Je ne fais que pleurer»: 3 femmes brisent le tabou de l'incontinence

En Suisse, un demi-million de personnes souffrent d'incontinence. Par crainte que l'urine ou les selles ne s'écoulent soudainement le long de leurs jambes, elles s'isolent. Une équipe de recherche zurichoise leur promet de l'espoir.
03.02.2024, 15:5616.05.2024, 15:27
Annika Bangerter / ch media
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Marianne (prénom d'emprunt), 77 ans, ne sort de chez elle que lorsqu'elle est constipée. Pour le devenir, elle avale des médicaments. Parfois quotidiennement. L'Imodium ou les gouttes d'opium lui permettent d'éviter sa plus grande peur. En effet, Marianne est incontinente. Elle ne peut pas retenir ses selles et ne sent pas non plus quand elle a besoin d'aller aux toilettes.

La première fois qu'elle a perdu le contrôle de ses intestins, il y a environ douze ans, elle a pensé que c'était dû à la nourriture. Mais cela ne s'est pas arrêté à un incident unique. Au bout de six mois environ, elle a consulté un médecin. Le diagnostic est tombé: le muscle terminal de son intestin ne fonctionne plus correctement.

Elle a reçu un stimulateur intestinal. Grâce à la neurostimulation, Marianne devait savoir quand elle devait aller aux toilettes. Mais:

«Malheureusement, dans mon cas, cela n'a servi à rien»

C'est pourquoi elle a recours depuis à des comprimés. «Je sais qu'il ne faut pas les prendre régulièrement. Cela me donne aussi des crampes et des maux de ventre. Mais dans ma situation, ils sont un moindre mal.» Sinon, elle s'isolerait complètement sur le plan social.

Une affection très répandue

Elle n'est pas seule à avoir été diagnostiquée. L'incontinence, qu'il s'agisse de selles ou d'urine, est très répandue. En Suisse, on estime qu'environ un demi-million de personnes sont concernées. Il est fréquent que le sphincter de la vessie ne fonctionne plus correctement. L'urine s'écoule par exemple lorsqu'on soulève une charge lourde, qu'on tousse ou qu'on rit.

Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à souffrir d'incontinence urinaire. Soit parce que leur sphincter a été blessé lors d'un accouchement, soit – ce qui est beaucoup plus fréquent – parce que la ménopause a bouleversé leur équilibre hormonal.

Un stress permanent

Monica (prénom d'emprunt), 69 ans, a vécu les deux types d'incontinence. Elle qui courait le marathon et faisait du triathlon ne pouvait plus faire 200 mètres de jogging après la naissance de son troisième enfant sans être victime d'une fuite. Grâce à un entraînement ciblé du plancher pelvien, elle a pu temporairement maîtriser l'incontinence urinaire. Elle raconte:

«Mais ensuite est arrivée la ménopause. C'était le point de rupture. A partir de là, plus rien n'a aidé»

Et l'incontinence fécale est venue s'ajouter à l'incontinence urinaire. Ces deux problèmes se sont aggravés au fil des ans. Même en se promenant, elle n'arrivait plus à contrôler complètement son urine et ses selles. Elle explique:

«C'est très lourd psychologiquement et c'est un stress permanent»

Elle sort tout de même et fait du sport. Elle ne veut pas s'en priver. Lorsqu'elle est en déplacement, elle sait toujours où se trouvent les toilettes les plus proches. Elle a toujours sur elle des lingettes humides, du papier toilette et des slips de rechange. Et ses sous-vêtements sont rembourrés.

Quelles solutions?

Toujours est-il qu'il y a trois ans, Monica a été opérée pour remonter un peu sa vessie et depuis, son incontinence urinaire s'est améliorée. Le taux de réussite de telles opérations est relativement élevé, explique Karin Kuhn, directrice de la Société suisse pour l'incontinence urinaire:

«Une telle intervention n'est pas nécessaire dans tous les cas. La première étape en cas d'incontinence d'effort consiste en des thérapies conservatrices comme la physiothérapie, la mise en place d'un pessaire ou l'électrostimulation».

Selon la gravité, l'incontinence d'effort peut ainsi être maîtrisée. Il existe d'autres formes de traitement pour l'incontinence due à une vessie hyperactive. Celle-ci peut être abordée par un entraînement ciblé de la consommation de liquides et de la vessie, ainsi que par des médicaments qui détendent la vessie. Karin Kuhn détaille:

«Les personnes concernées ne sont pas toujours condamnées à vivre avec leur incontinence urinaire. Toutefois, il n'existe pas une forme de thérapie unique, mais un spécialiste doit adapter le traitement à la forme d'incontinence de chacun».

Pour pouvoir contrôler ses selles, Monica s'est fait opérer une deuxième fois. Son rectum a été soulevé à l'aide d'un filet. Mais cette opération a eu un effet mitigé. Il lui reste maintenant la possibilité d'un stimulateur intestinal ou – si son état se dégrade fortement – la pose d'un anus artificiel.

Angoisses, solitude et dépressions

Fabienne, 42 ans, souffre quant à elle de la maladie de Crohn, une maladie inflammatoire chronique de l'intestin. Elle a donc beaucoup de diarrhées. Lors d'un accident il y a une dizaine d'années, elle s'est fracturé une vertèbre dorsale et s'est blessée au niveau des nerfs du dos. Pendant trois semaines, elle n'a plus rien ressenti à partir de la hanche. Aujourd'hui, elle peut à nouveau marcher, mais elle est incontinente.

Pour pouvoir contenir son urine, elle a besoin de six couches par jour, mais elle a «toujours peur qu'elles ne tiennent pas». L'incontinence fécale est très grave pour elle:

«Tout le monde le sent»

Et comme ses selles ne sont pas solides, elles coulent souvent le long de ses jambes. Pour pouvoir travailler une demi-journée, elle se fait un lavement le soir et le matin. C'est extrêmement fatigant.

Après le travail, Fabienne mange à midi, mais n'ose plus sortir ensuite. Après environ deux heures, la diarrhée commence généralement. Elle raconte:

«Parfois, il y a des jours où je ne fais que pleurer parce que je fais toujours pipi dans ma culotte. Au bout d'un moment, on ne supporte plus ça»

Des études le confirment: l'incontinence diminue la qualité de vie et peut entraîner des angoisses, une solitude et des dépressions.

Un problème environnemental

L'incontinence n'est pas seulement pénible pour les personnes concernées. Elle entraîne également des coûts élevés, comme l'a montré début novembre une étude de l'Association européenne d'urologie. La prise en charge de l'incontinence coûterait environ 69,1 milliards d'euros en Europe. Et elle est un problème environnemental.

Daniel Eberli dirige la clinique d'urologie de l'hôpital universitaire de Zurich et mène des recherches sur l'incontinence. Outre la dimension médicale, il évoque également la dimension écologique: aux Etats-Unis, les couches pour adultes représenteraient 18 millions de tonnes de déchets. Cela représente 7% de l'ensemble des déchets. En comparaison, les couches pour bébés ne représentent que 2%.

Une nouvelle approche thérapeutique

Depuis 19 ans, Daniel Eberli mène des recherches sur une approche inédite: la guérison de l'incontinence par une thérapie à base de cellules souches. Sept femmes ont été traitées lors d'une première étude clinique à l'Hôpital universitaire de Zurich; une deuxième étude est actuellement en cours avec 70 participantes. Il raconte:

«J'ai beaucoup d'espoir que cette recherche aboutisse à une percée. Les réactions des premières participantes ont toutes été positives»

Une femme lui a rapporté qu'elle pouvait même faire du trampoline sans perdre d'urine – l'épreuve reine pour le plancher pelvien. Les examens neurologiques ont également confirmé les impressions personnelles.

Lors de la thérapie par cellules souches, un peu de tissu musculaire est prélevé sur le mollet de la patiente. Des cellules souches musculaires en sont extraites et multipliées en laboratoire. Il faut environ quatre semaines pour que suffisamment de cellules souches se développent et soient ensuite injectées dans le sphincter de la vessie de la patiente. Daniel Eberli explique:

«Les autres possibilités de traitement de l'incontinence – comme l'injection de tissu conjonctif ou de silicone – ne s'attaquent pas au problème fondamental de la faiblesse du sphincter»

A savoir que les personnes concernées ne peuvent plus contracter correctement le muscle. L'idée de la thérapie par cellules souches est au contraire que les propres cellules du corps reconstruisent et régénèrent le muscle.

La thérapie est peu invasive, dit Daniel Eberli, mais «la technologie qui se cache derrière est complexe, ce qui rend toute la procédure coûteuse». Actuellement, tout est fait manuellement, du prélèvement des cellules à leur multiplication et à leur préparation pour l'injection. C'est pourquoi l'équipe de Daniel Eberli mène en parallèle des recherches sur un système robotisé, ce qui permettrait de réduire les coûts.

Elles veulent briser le tabou

Si tout se passe comme prévu, l'étude sera terminée dans trois ans. Mais qu'en est-il des patientes qui souffrent d'incontinence fécale? Selon Daniel Eberli:

«Le mécanisme du sphincter intestinal est plus complexe que celui de la vessie»

Un traitement de l'incontinence fécale au moyen de cellules souches est certes envisageable, mais il nécessitera de nombreuses années de recherche supplémentaires.

Un nouveau système de sphincter artificiel et élastique, implanté chez des patients dans le cadre d'une étude internationale à Vienne, Bielefeld et Madrid, est toutefois porteur d'espoir. Jusqu'à présent, dix personnes ont bénéficié de ce traitement.

Les personnes concernées comme Marianne et Monica poursuivent un autre objectif. Elles veulent briser le tabou de l'incontinence et mettre en réseau les personnes concernées. Monica déclare:

«Il faut du courage et de la force pour parler de l'incontinence avec d'autres personnes»

Mais si la personne concernée en parle, son interlocuteur s'ouvre souvent à elle et lui fait part des mêmes problèmes.

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