C'est décidé! En février, je ne poserai pas un orteil dans un magasin de grande distribution alimentaire. Bye bye mes chers Coop et Migros, je me tourne désormais vers les petits commerces locaux.
Ce mardi 1er février 2022, j'ai peur. Pendant que d'autres citoyens du monde souffrent de la guerre, de la faim ou de l'oppression politique d'un dictateur, moi, Marine Brunner, pseudo-Lausannoise-cucul-la-praline, je tremble... parce que pendant les 28 prochains jours, je vais devoir survivre sans mes yaourts M-Budget ou mes chips Fine Food préférées.
Il va donc falloir me faire plaisir autrement.
Pleine de résignation, mais de bonne volonté, je me lance à la quête de magasins capables de pimper mon dîner du soir même.
Au menu? Des lasagnes maison. Il faut bien commencer par une perspective pas trop déprimante.
Pour la viande, bonne nouvelle: le commerce le plus proche est une petite boucherie halal, située à littéralement 100 mètres de mon appartement. La viande de bœuf dans mon panier en jute, et hop! bourrée d'optimisme, direction la seconde étape: un caviste.
La tenancière est charmante, bonne conseillère et me fournit tout un tas d'indications indispensables à la bonne ouverture et dégustation de ce petit-rouge-italien-assez-fruité-mais-avec-du-caractère-et-qui-accompagnera-divinement-bien-mes-lasagnes-dans-des-conditions-optimales. Me voilà conquise.
Et voici 85 francs déboursés dans un gin local, un vin bio-dynamique et un bocal de rillettes de poulet rôti artisanal. Il en faut peu (ou beaucoup) pour me dire que finalement, c'est pas si dur de vivre sans supermarché, non?
Erreur grossière.
Le soir même, en charmante compagnie, je suis toute fière de déposer ma bouteille de vin à 25 balles et mes rillettes sur la table, le tout accompagné d'une baguette du boulanger déjà trop sèche (mais ô combien locale).
Première gorgée. Silence pesant.
Je m'étrangle. Pour être honnête, j'avais rarement goûté un truc aussi atroce. Ce n'est pas du vin. Mais un jus rouge et amer qui vous scie le palais en deux. Et pourtant, je suis loin d'être une experte (en général, c'est tout juste si je remarque qu'il a un goût de bouchon).
Tant pis, nous nous reportons sur les appétissantes rillettes de poulet rôti et le gin (très bon, lui).
Mais voilà qu'au moment d'ouvrir ledit bocal...
Blocage.
Environ 243 tentatives d'ouverture infructueuses, une baignade dans une marmite d'eau bouillante (sur conseil de Google), quelques outils (couteau, fourchette, tournevis) plus tard, nous ne sommes pas foutus d'ouvrir cette merde. Tout juste si on finira par érafler le couvercle – manquant, au passage, de me faire perdre une main.
Avant de décider de jeter le pot du troisième étage, nous avons enfin trouvé une solution.
Conclusion: après avoir été secouées, maltraitées, réchauffées malgré elles dans une casserole d'eau bouillante, les rillettes ont été aussi bonnes qu'elles pouvaient l'être. Heureusement encore que la platée de lasagnes était là pour reporter mon sentiment de bourgeoise frustrée.
En cette deuxième journée de défi, je refuse de m'arrêter à ces menues difficultés. Qu'est-ce que du vin tourné et un pot de rillettes au goût de sang, finalement?
De plus, la tâche d'assurer mes besoins alimentaires vitaux pourrait s'avérer un peu plus facile: le mercredi, à Lausanne, c'est marché. Au final, c'est comme un supermarché, mais dont les rayons seraient dispersés dans les rues polluées du centre-ville. Pratique.
Douze ruelles escarpées plus tard, j'ai mis la main sur des brocolis, du chou-fleur violet, une laitue et une botte de persil. Le choix est vaste et je n'ai strictement aucune idée de ce que je vais faire de ces achats compulsifs (oui, pour moi, le chou-fleur peut être compulsif), mais je me sens inspirée et il faut bien que je remplisse le frigo.
Entre le vendeur de légumes qui m'invite allègrement chez lui pour lui faire à bouffer le soir même (c'est ce qu'on appelle être direct) et le couple de boulangers sur la place de la Riponne qui me refourgue (de force) 500 grammes de pain au levain avec un rabais sur le prix officiel que je ne comptais pas dépenser, je suis comblée.
Je déniche aussi un fantastique fromage de chèvre dans une laiterie et une petite barquette de demi-crème qui m'aurait coûté deux fois moins cher en supermarché. Mais je suis contente. Et fière de moi.
L'humain, c'est quand même ce qui fait l'intérêt de cette aventure. La preuve: quand je retourne bredouillante chez la caviste qui m'a imposé son vin imbuvable à 25 balles, elle me propose avec gentillesse de la remplacer par une autre bouteille de mon choix. Un geste que n'aurait jamais pu se permettre le conseiller en vins de Coop ou Denner (ou peut-être parce que deux mois plus tôt, il était spécialiste clés USB à la Fnac).
Le soir même, je savoure mon fromage de chèvre, mon pain au levain et mes pâtes avec une certaine satisfaction. Le vin (le mien), ce sera quand j'aurai retrouvé une dignité œnologique.
Où est-ce qu'on trouve de quoi s'essuyer, quand on bannit les grands distributeurs?
Là, panne sèche d'inspiration. Heureusement, un détour par l'une des nombreuses petites épiceries de quartier suffit à me rassurer: ces échoppes ouvertes 7/7, quasiment 24/24, me permettront d'assouvir mes besoins primaires en Coca Zéro, chewing-gum Mentos à la menthe et serviettes hygiéniques. Le vendeur, un vieux monsieur nord-africain au sourire affable et rassurant, est mon nouveau meilleur ami. Mon confident. (Même s'il ne saura jamais pourquoi.)
Figurez-vous que j'adore les pommes Jazz de la Coop. Elles sont brillantes, croquantes, acidulées, avec une texture idéale.
L'appel généreux d'Alberto m'inspire. Après tout, si ce n'est pas moi qui achète, ce n'est pas vraiment fauter, mmh? Eh ben non: mes collaborateurs ont un sens du professionnalisme et un zèle infiniment supérieurs au mien.
Bref, tout ça pour dire qu'au terme de son passage à la Coop, Alberto revient sans ma pomme. C'est à moi de me débrouiller, d'une manière ou d'une autre. Direction le magasin «Bio c bon», repéré sur Google.
Miracle: il y a tellement de produits que j'ai presque l'impression de retrouver la civilisation: des couches-culottes bio, du tofu fumé bio, des raviolis bio, de la salade bio... et même des pommes bio! Bon, pour les Jazz, autant dire que je peux rêver.
Je rentre au travail le cœur léger et le panier plein, avec des carottes et des fruits sans pesticide, payés infiniment plus cher qu'ailleurs.
Mon rêve s'effondre. Impossible: j'ai quand même pas marché deux kilomètres pour de foutues pommes bio, moches et farineuses, et qu'on me dise que j'ai (déjà) loupé mon boycott du capitalisme.
Bref, quatre jours après le début de mon défi, la remise en question est totale: même les magasins bio seraient indignes de confiance.
Peut-être que je devrais songer à arrêter de manger. (Et à racheter des sparadraps.)
Samedi, liberté, soleil éclatant et comme une envie de randonnée. Parce que le week-end, les bobos citadins ont besoin de prendre l'air, (d'avoir l'impression de) retourner à leurs racines en allant au contact de la nature.
Mouais.
Ben je lance ici un appel aux petits commerces lausannois d'ajouter de bons vieux cervelas à leur panel. Pas moyen de trouver des saucisses douteuses ailleurs que dans une Pronto.
Dieu merci, le samedi et la balade sont saufs: quelqu'un d'autre y a pensé. (Y compris aux marshmallows, tout droit venus de chez Denner.) J'assouvis mon besoin en graisses animales bizarroïdes et sucres transformés peu recommandés.
Le soir même? Crêpes party. Youpi! Mais comment on fait le samedi soir pour se procurer des œufs, du lait et du fromage râpé à la der'? Là encore, sans un bon shop de gare, autant abandonner l'idée.
Dimanche sonne comme une libération. Aucune tentation nulle part. Je peux errer dans les rues du centre-ville sans risquer de pénétrer sans réfléchir dans l'antre du Diable.
Envie? Un flan pâtissier.
Liste de courses? Rebelote: œufs, lait, beurre, sucre...
Cette fois, au lieu de foncer à la Pronto comme un dimanche usuel, c'est dans une échoppe pakistanaise que je trouverai les indispensables ingrédients.
Décidément, ces magasins de quartier sont formidables. On y trouve en plus plein de produits supers. Dont ce curieux mélange de pâtisseries qui ressemblent, à s'y méprendre, à des bombes pour le bain Lush.
Allez, dans mon panier en jute!
Le flan est dans le four. (Et moi dans le doute.)
A dimanche prochain!