L'Etat qui bloque un site d'information durant plusieurs heures sans raison? Non, nous ne sommes pas en Chine ou en Russie, mais bien en Suisse: de mardi soir à mercredi midi, ce n'est rien de moins que le site d'information le plus consulté du pays, 20 minutes, qui a été bloqué par les autorités.
Les versions française et allemande du site se sont vu empêchées d'accès par ses lecteurs par l'Office fédéral de la police, alias Fedpol. Ou, plus précisément: le lien URL du site commençant par «www». Pendant ce temps, l'application, elle, fonctionnait toujours correctement.
L'institution s'en est excusée et a expliqué avoir commis une erreur dans la gestion de sa «liste de blocage». «L'erreur a été immédiatement corrigée», explique-t-elle sur le réseau X.
Le site web de @20min a été partiellement inaccessible d'hier soir à aujourd'hui midi. Il figurait par erreur sur une liste de blocage de fedpol. L'erreur a été immédiatement corrigée. Des clarifications sont en cours. Nous présentons nos excuses à @20min et à ses lecteurs.
— fedpol (@fedpolCH) July 3, 2024
Enfin, par «immédiatement», comprendre: «immédiatement après que Fedpol en a été informé», nous indique son porte-parole, c'est-à-dire après plusieurs heures. Ce n'est d'ailleurs pas Fedpol qui a remarqué l'erreur: c'est l'Office fédéral de l'informatique et des télécommunications qui a «attiré l'attention» au sujet de l'erreur.
Alors, que s'est-il passé? Fedpol dispose-t-elle d'un «bouton rouge» permettant de bloquer immédiatement le moindre média? C'est un peu plus compliqué que ça.
Contactée, Fedpol indique que 20 minutes a été mis sur une «liste noire, sur laquelle figurent tous les domaines connus qui diffusent des contenus pornographiques interdits». Comme la «pornographie enfantine et animale». Comprendre: pédophile et zoophile.
Mais comment le site de 20 Minutes s'est-il retrouvé sur cette liste? Une photo mal analysée par un algorithme de Office fédéral de la police aurait-elle pu faire tomber le plus grand site d'information suisse dans la pire des listes? Rien de tout ça.
Il ne s'agit rien de moins qu'une erreur lors d'un test. «Le blocage est dû à une erreur d'utilisation de Fedpol», reconnaît volontiers l'office fédéral. «Plusieurs fois par année, le système est testé pour vérifier s'il est toujours capable de gérer les techniques web les plus récentes», indique son porte-parole.
Hors, lors de ce dernier test, 20 minutes a été utilisé – parmi d'autres – comme «benchmark», c'est-à-dire comme adresse de référence pour effectuer l'essai. Une des raisons qui explique ce choix est notamment qu'il s'agit d'un site «à jour au niveau technique». Le test aurait dû, selon toute logique, se conclure en gardant le site d'info dans la «bonne liste». Sauf que ça ne s'est pas passé comme prévu.
Le problème ne s'est pas arrêté là, puisque «Fedpol ne bloque pas lui-même les sites web, mais met la liste noire à disposition des fournisseurs d'accès Internet suisses, à qui incombe la mise en œuvre du blocage technique». Autrement dit, un autre tiers était encore présent dans l'équation: le fournisseur d'accès de TX Group (anciennement Tamedia), qui édite 20 minutes.
Ce site gratuit est financé par la publicité en ligne. Son accès sur le net bloqué, cela veut dire de nombreuses publicités non affichées et une baisse des recettes publicitaires durant la panne. Le média peut-il demander un dédommagement financier à la Confédération?
Contacté, le rédacteur en chef de 20 minutes, Philippe Favre, préfère ne pas commenter l'affaire. «Le cas est étudié au siège de TX Group, à Zurich, où on décidera de la suite à donner», y compris pour le volet des indemnisations, précise-t-il.