La montagne décide, elle est intraitable, elle renvoie à l’humilité et vous retire la vie si elle le veut. C'est la terrible expérience vécue par cette équipe de six randonneurs sur un secteur connu comme très, très dangereux lorsqu'il est balayé par de mauvaises conditions.
Les malheureux ont découvert le déchaînement de Mère Nature, avec des températures glaciales de -30 degrés durant la nuit. Le vent, selon les spécialistes météo, a commencé à s'intensifier aux alentours de midi, avec des rafales allant jusqu'à 100 km/h.
Surtout, Tête Blanche est un endroit connu pour devenir un enfer quand la météo en décide ainsi. Ceux qui ont déjà fait un poil d'alpinisme dans des conditions dantesques connaissent cette sensation de se faire avaler par la force des éléments, de voir sa visibilité se réduire. André «Dédé» Anzévui, guide chevronné d'Arolla, en parle comme «une machine à laver» lorsque la tempête détale à Tête Blanche, où les vents peuvent passer de 60 à 150 km/h en un claquement de doigts.
Le guide valaisan décrit un secteur balayé par «une conjonction de différents courants», dont le foyer de mauvais temps vient essentiellement du Simplon, qui ensuite vient de la Vallée de Saas et se déverse dans la Vallée de Zermatt, sans oublier celui venant du versant italien. Lors du drame, le foehn, qui vient du secteur sud, était «brisé par des sommets à 4 000m», renseigne André Anzévui.
Tête Blanche est un lieu où chaque décision doit être prise rapidement, sans tergiverser. Le Valaisan assure que beaucoup de guides sont très empruntés dans le secteur lorsque le mauvais temps fait son apparition. Et faire demi-tour n'est pas chose aisée. «La décision doit être prise très rapidement, car le temps que vous enlevez les peaux de phoque, tout peut changer». Tête Blanche ne permet pas l'indécision.
24 Heures rappelait que le sommet s'était déjà transformé en tombeau pour de nombreux montagnards expérimentés. Deux Valaisans de 66 et 54 ans, en avril 2000, y avaient trouvé la mort. Ils étaient, eux aussi, partis à la conquête de Tête Blanche pour se préparer avant la Patrouille des Glaciers. On y recense également un drame en 1949 (trois personnes tombées dans une crevasse), lors d'une édition de la mythique course d'alpinisme et une tempête qui a provoqué 101 cas de gelure.
Le secteur est-il maudit? Jean Troillet, le mythique alpiniste valaisan, répond:
Or la météo transforme le versant en un désert de neige qui prend la forme d'un mirage glacial. Le guide avoue avoir vécu une situation similaire sur le glacier d'Otemma (VS), autre point de la Haute Route, qualifiant l'expérience d'un «grand creux où tout devient difficile».
Le samedi 9 mars 2024, le piège mortel s'est refermé sur les six membres de la cordée, âgés de 21 à 58 ans, qui préparaient la PDG.
Jean Troillet souligne également que les alpinistes «se sentaient peut-être très forts». Un propos appuyé par André Anzévui, qui connaissait bien les victimes, assurant qu'elles avaient «l'intention d'aller vite».
«Au bureau des guides d'Arolla, Tête Blanche est une randonnée considérée comme facile», souffle André Anzévui. Mais une telle tempête de foehn vous joue des tours, sachant que vous ne voyez ni les crevasses ni les à-pics.
Rémi Bonnet, vainqueur de la PDG en 2022, confirme que de telles conditions changent radicalement le décor idyllique des lieux.
Le spécialiste fribourgeois d'alpinisme connaît bien Tête Blanche, mais ne l'a jamais avalée dans de mauvaises conditions. «C'est une longue montée avec une bonne visibilité. Ce n’est pas une ascension difficile, elle est à la portée de tout le monde.»
Rémi Bonnet rappelle que ce n'est pas comparable avec le drame qui s'est joué le 9 mars: «On ne peut pas comparer avec la PDG où tout est sécurisé».
Une autre zone d'ombre demeure: le versant est-il un «trou noir» pour le réseau? Selon Rémi Bonnet, «la connexion était bonne lors de son ascension». Si la batterie a souffert avec le froid mordant, comme le soulignaient les autorités, le Fribourgeois avance un autre élément:
Comme l'expliquait le commandant de la police valaisanne Christian Varone, il faut parfois s'incliner face à la nature. André Anzévui confirme que les victimes connaissaient suffisamment l’endroit: «C’étaient des guides chevronnés sans diplôme».