Suisse
Montagne

Valais: les dessous de la disparition des 6 randonneurs

Le Valais est sous le choc: six randonneurs ont disparu à ski ce week-end à la Tête-Blanche, entre Zermatt et Arolla. Récit.
Jusqu'à neuf hélicoptères de sauvetage ont été mobilisés — en vain.Image: keystone

Randonneurs morts en Valais: «Je ne serais jamais parti avec des clients»

Le Valais est sous le choc: six personnes ne sont pas revenues de leur randonnée à ski ce week-end. Selon les experts, le changement de temps était prévisible et l'équipement des victimes était manifestement insuffisant.
12.03.2024, 06:0412.03.2024, 17:05
Stephanie Schnydrig et Julian Spörri / ch media
Plus de «Suisse»

Le temps était encore clément lorsque les six randonneurs à ski sont partis de Zermatt samedi matin. Leur objectif? Franchir le col de la Tête Blanche, à 3590 mètres d'altitude, pour rejoindre Arolla en une journée seulement — une randonnée monstre de près de 2000 mètres de dénivelé sur un terrain de haute montagne. Il était pourtant clair qu'une violente tempête de neige se préparait.

En effet, le temps s'est ensuite très vite dégradé et le drame a débuté pour cette famille valaisanne. Les trois frères, leur oncle, un cousin et une amie du canton de Fribourg ne sont jamais arrivés à Arolla.

«Les victimes ont tout fait pour se protéger»
Christian Varone, commandant de la police cantonale valaisanne

Visiblement, les randonneurs à ski ont tenté de construire une grotte pour se protéger du vent et du froid.

Les services météorologiques ont mis en garde

Pour Anjan Truffer, guide de montagne et chef des secours de Zermatt, c'est clair: «On ne part pas pour de telles randonnées avec des conditions météo pareilles». Que le mauvais temps soit arrivé une heure plus tôt ou plus tard que prévu ne joue absolument aucun rôle, déclare le guide de montagne.

«Je ne serais jamais parti avec des clients pour cette excursion, ou si je l'avais fait, j'aurais fait demi-tour bien plus tôt»

Avant le week-end, MétéoSuisse avait mis en garde contre des rafales de vent pouvant atteindre 130 km/h dans la région du Valais, ainsi que contre des «précipitations fréquentes» qui deviendraient abondantes samedi soir. «Les prévisions se sont réalisées comme nous l'avions prévu», constate Sarah Baumann de MétéoSuisse. Des pointes de vent de 129 km/h ont été mesurées au Gornergrat, au-dessus de Zermatt, à 3100 mètres d'altitude.

Le fait que le temps puisse rapidement se dégrader en montagne n'a rien d'exceptionnel en soi, précise Christian Varone. Il rappelle qu'il faut toujours rester humble: «C'est la montagne qui décide».

epa11213717 Commandant of the Valais Cantonal Police Christian Varone (L) speaks during a press conference following the discovery of five ski tourers, who had died near Tete Blanche in the Swiss alps ...
Le commandant de la police valaisanne Christian Varone donne des informations sur le drame.Image: keystone

La dégradation du temps de ce week-end s'explique par la situation de barrage au sud et le puissant foehn qui soufflait au nord des Alpes. Ce duo — situation de barrage et fœhn — n'est pas rare, car les deux sont liés. Le fœhn qui se manifeste au nord et qui descend les versants nord des montagnes en provenance du sud apporte de l'air exceptionnellement chaud jusque loin dans les Préalpes. Les montagnards doivent toutefois s'attendre à de fortes rafales de vent, voire à des rafales de la force d'un ouragan (plus de 117 kilomètres par heure). Lorsque le foehn s'effondre, c'est le signe certain d'un changement brutal de météo.

«Nous n'avions absolument aucune visibilité»

A part les six randonneurs piégés, la plupart des alpinistes ont renoncé à une excursion dans la région de la Tête Blanche. C'est du moins ce que laisse supposer un coup de fil à la cabane Bertol:

«Sur 37 clients inscrits, tous sans exception ont renoncé»
Florence Schenk, gardienne de la cabane

La cabane se trouve à environ 3300 mètres sur une arête rocheuse que l'on franchit normalement lorsqu'on veut se rendre de Zermatt à Arolla — également lors de la Haute Route, une traversée à ski de plusieurs jours à travers les Alpes valaisannes, et pendant la Patrouille des Glaciers (PdG), une course de ski de randonnée sur 4000 mètres de dénivelé.

Les six Romands ne sont jamais passés par la cabane de Bertol, affirme Florence Schenk. Samedi, un membre de la famille inquiet l'avait contactée pour lui demander des renseignements, car ses proches n'étaient pas arrivés comme prévu à Arolla. «Nous n'avions absolument aucune visibilité et la tempête soufflait jusqu'à 150 km/h autour de la cabane», raconte la gardienne.

Le membre de la famille a alors alerté la police cantonale et l'Organisation cantonale valaisanne des secours (OCVS) à 16h03. A ce moment-là, le groupe était encore en vie: à 17h19, un membre a réussi à composer le numéro d'urgence. Les sauveteurs ont ainsi pu obtenir les coordonnées des disparus: ils se trouvaient dans une zone située à environ 3500 mètres d'altitude, dans le secteur du col de la Tête Blanche.

Les victimes s'entraînaient probablement

Mais dans un premier temps, il était difficile d'envisager un sauvetage.

«Les conditions météorologiques étaient catastrophiques»
Christian Varone, commandant de la police valaisanne

Il y avait beaucoup de vent et la visibilité était mauvaise. «Il n'y avait absolument pas de bonnes conditions pour voler», ajoute Anjan Truffer. Des sauveteurs à ski sont partis de Zermatt et d'Arolla à la recherche des disparus. Mais eux aussi ont dû interrompre leurs recherches vers 22 heures en raison du mauvais temps et du fort risque d'avalanche. Le dimanche, la tempête et la neige ont continué à tomber et ce n'est qu'en début de soirée que le temps s'est amélioré.

Vers 18h30, des secouristes ont pu être déposés par hélicoptère à proximité de la cabane Dent-Blanche et se sont rendus sur le lieu de l'accident. C'est là qu'ils ont trouvé les cinq morts. «Nous avons travaillé 24 heures sur 24 pour tenter l'impossible», affirme Christian Varone. Au total, neuf hélicoptères, un Super Puma de l'armée et 35 sauveteurs ont été engagés dans les recherches.

La sixième personne est toujours portée disparue. Anjan Truffer, chef des secours, suppose que cette personne n'avait peut-être pas de détecteur d'avalanche qui aurait permis de la localiser. Il est également possible que l'appareil n'ait pas été allumé ou que les piles soient vides.

epa11214528 The Tete Blanche mountain snow field where five bodies were found (C) is pictured, in the Swiss Alps, near Sion, Switzerland, 11 March 2024. Five cross-country skiers who went missing duri ...
La Tête Blanche dans le canton du Valais.Image: keystone

A croire la liste de départ de la Patrouille des Glaciers, une partie des six randonneurs se préparait à la prestigieuse compétition. D'ailleurs, Anjan Truffer raconte que les victimes étaient habillées comme des coureurs: elles portaient donc de fines combinaisons qui ne procurent pratiquement pas de chaleur. Lorsque les températures descendent en dessous de zéro et qu'une tempête de neige fait rage, le corps se refroidit rapidement.

«Nous savons malheureusement trop bien que les gens partent parfois en montagne avec des vêtements inadaptés»
Anjan Truffer

A ses yeux, cela va dans le même sens que les coureurs de trail qui, en été, couraient sur le Cervin en baskets.

Outre de bons vêtements, Truffer souligne l'importance d'un matériel adéquat pour s'orienter: «Le smartphone ne fait pas partie des outils appropriés». En effet, par un froid glacial, la batterie ne tient que quelques heures tout au plus. «Le mieux pour l'orientation, ce sont les appareils GPS, avec des piles de rechange», conseille l'expert. La variante «à l'ancienne» avec carte et boussole est également une possibilité. Le plus important reste de maîtriser son matériel d'orientation. Mal utilisés, même les appareils les plus modernes ne servent à rien.

Les souvenirs de 2018 refont surface

Cet accident tragique rappelle fortement la tragédie de 2018 au Pigne d'Arolla. C'est ce que confirme le chef des secours:

«Bien sûr, on commence tout de suite à faire des parallèles, notamment parce que les prévisions météorologiques étaient presque identiques».
Anjan Truffer
HANDOUT - 14 Skitourenfahrer sind am Sonntag, 29. April 2018 oberhalb von Arolla VS, in der Region "Pigne d'Arolla", in eine Schlechtwetterfront geraten und mussten die Nach ...
Un drame similaire s'est produit au Pigne d'Arolla il y a six ans.Image: KANTONSPOLIZEI VS

A l'époque, un groupe de dix randonneurs à ski parcourait un tronçon de la Haute Route, à savoir celui qui relie la cabane des Dix à la cabane des Vignettes, au-dessus d'Arolla. La veille, il était déjà clair qu'un front de mauvais temps allait traverser la région, apportant avec lui une mauvaise visibilité, des chutes de neige et des vents forts.

Lorsque les alpinistes sont partis le jour fatidique du 29 avril 2018 à 6h30, il faisait encore beau. Mais peu après, l'orage s'est abattu sur les randonneurs. Au lieu d'abandonner, le groupe a continué à errer en direction du sommet et est finalement descendu en direction de la cabane des Vignettes, qu'il n'a jamais atteinte. Pendant la nuit, sept randonneurs sont morts de froid, à environ 550 mètres de la cabane qui les aurait sauvés.

En ce qui concerne l'accident de la Tête Blanche, l'enquête du Ministère public valaisan sur les circonstances exactes du drame se poursuit. La procureure générale Beatrice Pilloud met en garde contre toute condamnation hâtive des personnes impliquées dans l'accident. Par respect pour l'entourage des victimes et pour les victimes, il ne faut pas tirer maintenant de «conclusions toutes faites».

Pendant ce temps, dans la commune d'origine des victimes, le choc est profond:

«Lorsque la police a confirmé la mort des cinq randonneurs, nous nous sommes mis à l'écoute de l'énorme souffrance de la famille. Toute la commune a peu dormi ce week-end».
Sébastien Menoud, président de la commune de Vex

La famille est connue dans ce village de 1800 habitants, elle est engagée dans différentes associations et en politique. L'une des victimes est membre du conseil communal de Vex depuis le 1ᵉʳ mars dernier.

«La population et les autorités vont faire preuve de beaucoup de solidarité, mais cela ne remplacera jamais les personnes décédées»
Sébastien Menoud

Traduit et adapté par Noëline Flippe

De gros moyens ont été déployés pour retrouver les victimes à Tête Blanche
Video: watson
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
L'armée suisse et l'Ukraine risquent de ne jamais voir leurs milliards
Le Parlement va-t-il voter un fonds spécial pour l'Ukraine qui pourrait contourner le frein à l'endettement? C'est ce que souhaite la gauche. Celle-ci a une chance de réussir si le Centre se rallie à elle. Mais les avis sont partagés.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie ne finit pas d'avoir un impact sur la politique suisse. Tout d'abord sur la politique de défense: si le Parlement s'était rapidement mis d'accord pour augmenter les dépenses de l'armée, c'est plus compliqué dans la pratique. Au sein de la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats, les membres du Centre, du PS, des Verts et des Vert'libéraux se sont mis d'accord sur la création d'un fonds spécial: l'armée suisse devrait recevoir 10,1 milliards de francs supplémentaires d'ici 2030.

L’article