L’endroit est tout trouvé. Cet après-midi, le soleil brille avec insolence au-dessus du cimetière de Clarens, le long de la cime des pins et des pelouses indolentes. Au loin, les montagnes font trempette dans le Léman. Un décor de carte postale si écœurant de sérénité qu’il en donne presque la nausée.
Entre les arbres, quatre tombes.
Elles appartiennent à une ophtalmologue de 41 ans, sa sœur jumelle orthodontiste, l'époux de cette dernière, un polytechnicien de 40 ans, et à la petite fille du couple, 8 ans. Il y a un mois, tous les quatre ont plongé du septième étage d'un immeuble de Montreux. Un drame qui a laissé derrière lui un unique survivant - l'ado de 15 ans dans le coma, mais dont l'état de santé «s'améliore», d'innombrables questions sans réponses et un silence de mort.
Alors, cet après-midi 28 avril 2022, personne ne sait vraiment à quoi s'attendre pour ce dernier adieu. La conclusion d'un drame qui a laissé la ville de Montreux traumatisée? Pas vraiment. Ou pas encore. Il faudra attendre celle des autopsies et de l'enquête.
A 13h41, très exactement, tout est prêt. La croque-mort dépose un large bouquet de fleurs sur la terre fraîchement retournée. Un ensemble, en vrac, de pensées jaunes et d'hortensias marron. Tant que l’intention est là.
Tout est calme. Un peu trop. Les minutes s'étirent. Quand survient, enfin, une première visite. Un petit groupe d'ex-collègues de travail de la clinique de l’Oeil, où l'une des sœurs jumelles a exercé. Mâchoires et rangs serrés, ils se plantent devant les modestes panneaux blancs qui font office de stèles provisoires.
L'une des collègues étouffe un sanglot, bien vite enlacée maladroitement par sa collègue. «Incompréhensible!», souffle-t-elle entre deux larmes.
Ce seront les seules versées cet après-midi.
A 13h50, quelques représentants de la municipalité et du conseil communal, dont le syndic Olivier Gfeller, ainsi qu'une poignée de journalistes à l'affût, flanqués de photographes prêts à dégainer, font leur arrivée sur les pelouses du cimetière. De rares habitants de Montreux se joindront à cette assemblée clairsemée. Une trentaine de personnes en tout. Chacun avec la même question dans un coin de la tête: pourquoi?
Une trentaine de minutes de calme, tendu et embarrassé. Finalement, Olivier Gfeller et ses collègues s'avancent et, soigneusement alignés devant les tombes, observent une minute de recueillement. Aucun discours ne sera prononcé.
Et puis? Et puis, rien. Le Matin révèle que les proches endeuillés de la famille ont précédé l'hommage public. La cérémonie, conduite par un imam, s'est tenue en fin de matinée, à l’abri des regards. «Vers 13 heures, à bord de deux voitures, les proches endeuillés ont quitté les lieux. En nous approchant, ils nous ont gentiment fait comprendre qu’ils ne souhaitaient pas échanger un seul mot. Ils nous ont également fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas être photographiés», raconte la journaliste Evelyne Emeri.
Médias et représentants politiques quitteront les lieux autour de 14h30, sous les croassements des corneilles. Un mélange confus de frustration, d'accablement et d'incompréhension au creux de l'estomac. On aurait pu tout aussi bien s'attendre à voir s'amasser plusieurs centaines de personnes pour se recueillir devant les quatre tombes de cette famille. Il n'en a rien été. Il est l'heure du repos.