Dans le quartier, les habitants ayant l'âge des souvenirs ont en mémoire des images de Nemo Mettler jouant du violon devant la gare du funiculaire. Il avait 5 ans et déjà du culot, avec son chapeau posé par terre pour la monnaie. «On ne peut pas dire qu’il jouait juste, mais il était adorable», raconte une voisine. «Réservé, Nemo? Ah non, effronté, plutôt», ajoute une autre. Une troisième confirme:
On pense, mais ça remonte à plus loin encore, au petit personnage tapant frénétiquement sur son tambour, dans le film du même nom, Palme d’or à Cannes en 1979. Tout est plus gai à présent que dans cette histoire bouleversante d’avant-guerre. A ceci près que Nemo a, lui aussi, quelque chose de bouleversant. Ce petit truc en plus qui a conquis l’Europe.
C’est ici, à Bienne la bilingue, à la rencontre des rues du Stand et de la Source, au pied du «Seilbahn» montant à Evilard, que l’histoire du vainqueur de l’Eurovision 2024 a commencé. La maison familiale, avec son mur d’enceinte et son grand jardin, est toute proche. L’ancienne start-up fondée par les parents, Brainstore, vendeuse d’idées, un concept osé qui fut prospère, a gardé son enseigne. Nemo a une sœur cadette, Ella, photographe, formée à New York, où l'avait accompagnée son père. La mère est journaliste.
Bienne l’horlogère est réglée à l’heure de Nemo. Personne n’ignore sa victoire, samedi dernier à Malmö, en Suède, avec sa chanson «The Code», un titre à clé. «J’ai regardé l’Eurovision pour lui, parce qu’il est de Bienne, son show était super», réagit Karin, la soixantaine, qui préfère toutefois la country. Lars, jeune serrurier, applaudit aussi le prodige de 24 ans:
Charlotte, une ado, s’apprête à monter dans un bus: «Je l’ai déjà vu chanter, il était venu dans notre classe, il n’était pas habillé comme ça.» «Comme ça», avec une petite jupe, des collants et un haut bouffant. A Malmö, Nemo a laissé éclater sa «non binarité», transposée dans le pronom «iel» en français.
«C’est égal si on est homo, hétéro, non binaire», commente Daniel Schneider, 65 ans, figure de la scène alternative biennoise, l’un des patrons du Saint-Gervais, café mythique de la vieille-ville, où nous le rencontrons ce vendredi matin 17 mai. En 2016, Nemo est passé par-là, à l’étage, au Singe, une salle avec son sol en bois et des appliques aux murs, sa petite scène et son bar à l’opposé. Dans ce décor de cabaret, Nemo avait mélangé rap et reggae, dans le souvenir de Daniel Schneider. Qui se rappelle encore du jeune Mettler à Pod’Ring, le festival de la vieille-ville. Admiratif, il dit:
L'effet magique de Bienne? Ingénieur du son renommé, Daniel Schneider était parti vivre à Zurich, il est revenu dans son Seeland natal.
«Fier de Nemo», Lucas, le jeune serveur berlinois du Saint-Gervais, ne lésine pas sur les compliments: «Bienne, c’est un petit Berlin.» Le roi de Malmö réside aujourd'hui dans ce grand Bienne qu'est la capitale allemande.
C’est un fait, Nemo, avec ses airs d’Henri III échappé du «Magicien d’Oz», a tapé dans l’œil des loulous du samedi soir.
Dans la région, jusqu’à Soleure et jusqu’à Berne, les festivals de l’été l’ont mis à l’affiche, parfois deux dates à la suite. Le maire Erich Fehr, qui est allé l'accueillir dimanche dernier à l'aéroport de Zurich, veut lui organiser une réception officielle. Assis à l’extrémité d’une grande table, dans sa mairie, il dit:
A quel type d’événement pense-t-il? «Un rassemblement ou alors un défilé.» Rien n’est encore arrêté. En 2017, le socialiste et ses équipes avaient reçu Nemo une première fois, après sa victoire aux Swiss Music Awards, l'incroyable talent avait 18 ans. Il y a quelques jours, le maire a posté une photo de ce moment sur sa page Facebook.
«Plus hockey sur glace que musique», Eric Fehr va devoir penser paillettes en vue du prochain concours Eurovision de la chanson. L’axe Bienne-Berne-Thoune est sur les rangs pour contrer les voraces, Zurich et Genève.
Dans l’euphorie de la victoire de Nemo, Erich Fehr a évoqué la possible reconnaissance légale de la non binarité revendiquée par Nemo.
Le professeur de sport Pascal Georg a eu Nemo comme élève à l’école secondaire Rittermatte. «Il n’était pas très fort en foot. Il a marqué un seul but en trois ans. Quand cela est arrivé, toute la classe l’a fêté», raconte-t-il, la pause de midi ayant sonné dans cet établissement scolaire germanophone.
Il y a eu des questions dans la classe après la victoire de Nemo à l’Eurovision.
Beaucoup des Biennois interrogés n’ont découvert que récemment, avec sa chanson «The Code», la non binarité revendiquée de Nemo. Au fond, qu’importe! Tout le monde loue le petit truc en plus de Nemo.