C’était mieux avant? Et comment! Ce cri du cœur émane d’usagers des abords de la gare de Neuchâtel, transformés en «zone de rencontre» par l’exécutif du chef-lieu neuchâtelois. Une pétition, entre autres signée par des commerçants agacés d’un chiffre d’affaires semble-t-il en baisse, reproche au nouvel aménagement, en place depuis le mois d’avril, de faire la part belle aux piétons au détriment des automobilistes.
De grandes poutres en bois posées à même le sol donnent à l’endroit un petit air de forum. De forum ou de future «zone de deal», comme s’en plaint un citoyen neuchâtelois? Son post publié dimanche sur Facebook, photo à l’appui, a beaucoup fait causer. La plupart des commentaires vont dans son sens.
Les critiques portent surtout sur le choix des autorités de la Ville de piétonniser un secteur qui comprenait il y a trois mois encore quelques dizaines de places de parc en surface. Bien que payantes, elles étaient jugées pratiques pour déposer des voyageurs ou venir en chercher, ou encore pour se garer le temps d’une course.
Le lieu n’en était pas moins «congestionné» par les voitures, affirmait le conseil communal, fort d’une étude menée auprès des riverains. D’où la transformation en «zone de rencontre» de cette partie de l’Espace de l’Europe, côté est de la gare, là où s’élève la tour de l’Office fédéral de la statistique (OFS) et où s’étire la Haute-Ecole ARC Neuchâtel Berne Jura.
Les sceptiques s’interrogent: une gare a-t-elle vocation à favoriser les rencontres? N’est-elle pas plutôt un lieu de passage, où l’on entre et d’où l’on sort sans spécialement s’attarder? Ne pouvait-on pas faire en sorte de limiter la circulation tout en maintenant un nombre raisonnable de places de stationnement? Est-ce à vélo qu'on se rend à la gare chargé de bagages?
Il y a bien une enfilade pour voitures réservée à la dépose rapide de voyageurs. Son nom: «kiss and rail» (bisou et bon voyage). C’est gratuit. L’inconvénient est qu’il faut faire vite. Pas le temps d’accompagner son père ou sa mère sur le quai, d’acheter un magazine ou une branche de chocolat au kiosque avant de regagner sa voiture.
Certains ne s’empêchent pas de marquer l’arrêt plus longtemps qu’il ne faudrait, obligeant ceux qui suivent à poireauter, car sortir de la file est impossible en raison d’un parcours piqueté de poteaux. En l'état, le concept imaginé par le dicastère de la mobilité à la Ville de Neuchâtel est loin de faire l’unanimité.
Les personnes à l’origine du nouvel aménagement font valoir la présence de deux parkings: l'un, en surface, situé à l'est de la gare et au nord du bâtiment de l'OFS, «d'une capacité d'environ 150 places, mais visiblement peu utilisé, ce qui est dommage»; l'autre, souterrain, placé à l’ouest de la gare. Tous deux sont gratuits les vingt premières minutes. Sauf que, de l’avis d’un certain nombre d’automobilistes, le parking souterrain, où l’on circule à l’étroit et dont les voies d’accès ne sont pas des plus aisées, n’a pas le côté pratique des emplacements de surface d’avant la transformation décidée par l’exécutif neuchâtelois. De plus, il affiche parfois complet. Quant au parking jouxtant l'OFS, il ne fait pas face à la gare et n'est pas accessible par les voitures venant de l'ouest de la gare en raison d'un sens interdit.
Heureusement pour les réfractaires au nouveau dispositif, tout cela est à l’essai. Autrement dit, la «zone de rencontre», avec ses poutres au sol, pourrait disparaître et des places de parc réapparaîtraient aux endroits qui étaient auparavant les leurs. L’affaire est délicate. Chez les autorités en charge du dossier, de tendance vert’libérale, on ne souhaite pas pour l'heure intervenir publiquement.
Les opposants au réaménagement d'avril affûtent leurs arguments. Ils portent plutôt les couleurs libérales-radicales et siègent au conseil général, le «parlement» de la Ville emmené par une majorité rose-verte. «Nous devons nous voir mercredi pour parler de ça», souffle-t-on, sous couvert, là aussi, d’anonymat.
Le seul qui accepte dans l'immédiat de s’exprimer au grand jour est l’élu à la sécurité au sein de l’exécutif, Didier Boillat, PLR. Non pas sur la «zone de rencontre» proprement dite, qui n'est pas de son ressort et dont la création relève d'une «décision collégiale», dit-il, mais sur les craintes qu’elle ne favorise l’implantation de points de deal.
Hasard du calendrier, la «zone de rencontre» a été aménagée au moment même où une installation artistique prenait corps à l’emplacement d’un ex-rond-point situé dans les parages. Soit un regroupement de bétonnières de chantier, pensé par l’artiste genevois Adrian Fernandez Garcia comme un hommage aux communautés étrangères, «véritables bâtisseuses de la Suisse que l’on connaît», relatait Arc Info en mai. De l’eau s'en échappe par un jet et termine son cours dans les égouts, persiflent les mauvaises langues.
Outre l’esthétique de cette installation artistique, involontairement dans le thème des longues poutres réparties au sol, ces voix critiques dénoncent là une entorse aux principes anti-gaspi censés animer les concepteurs de l’ensemble des transformations précitées.
Les bétonnières, expo éphémère, auront disparu en septembre. La zone de rencontre aussi? A Paris, où la mairie avait pareillement garni des places de poutres en guise de bancs, appelées Mikado, les dégradations furent telles qu'elle a décidé, l'an dernier, de les retirer.
*Le présent l'article a été modifié mercredi matin 19 juillet: actuellement, il n'y a pas qu'un seul parking (le souterrain, situé à l'ouest de la gare), comme nous l'écrivions hier, il y en a deux, en comptant également celui situé à l'est de la gare, précisément au nord de l'Office fédéral de la statistique.