Sa casquette noire profondément enfoncée sur la tête, il tente de dissimuler son visage face aux caméras de la télévision locale. On ne peut distinguer que les coins de sa bouche tombante, lorsque l'accusé monte les escaliers du tribunal, menotté et vêtu d'une veste polaire rouge.
Un peu plus tard, c'est un homme chauve et portant d'épaisses lunettes que l'on retrouve dans la salle d'audience. Un informaticien de 47 ans. On lui reproche d'avoir exploité sur le darknet un forum baptisé Babyclub. Depuis 2020 et pendant trois ans, 4510 images et vidéos de pornographie enfantine de «bébés et de très jeunes enfants» ont été partagées via cette plateforme. D'autres fichiers illégaux ont été échangés via des messages et des salons de discussion. Sur les disques durs de l'accusé, la police a découvert environ 1,4 million de fichiers.
En outre, le prévenu est également accusé de production de matériel pédopornographique. Il ne se contentait donc pas simplement de partager du contenu pédopornographique, mais également de le produire puisque, selon la justice, le quadragénaire se rendait dans des parcs publics les jours de beau temps avec une caméra cachée dans son sac à dos et filmait des enfants nus en train de se baigner. Au total, 45 fichiers à caractère pédopornographique ont ainsi été créés en 97 jours.
Le suspect en a partagé un grand nombre sur son forum. Il les a notamment envoyés à un utilisateur connu sous le nom de Misspiggy. Seulement voilà, ce dernier avait lui-même été démasqué à l'automne 2022, et un agent infiltré en Allemagne avait repris son compte depuis. La police allemande a alors informé ses collègues en Suisse, et le 1er février 2023 à 9h34, la police cantonale argovienne a finalement arrêté le prévenu dans l'appartement où il vivait avec sa femme. Six mois plus tard, le ministère public annonce le succès de l'enquête.
Dans les grandes lignes, l'accusé ne conteste pas les reproches qui lui sont faits. Il ne rejette que des détails. Des 35 utilisateurs enregistrés sur le Babyclub, quinze étaient des comptes tests. Et seul 20% des 1,4 million de fichiers présents sur ses disques durs seraient des originaux, le reste étant des copies de sauvegarde.
«Etiez-vous fier de votre forum?», demande le juge.
Il n'a jamais réellement abusé d'enfants, dit-il, les mains sur les genoux, le dos légèrement courbé.
Quand il parle, c'est de manière objective, presque lisse, comme s'il expliquait un nouveau logiciel à un client. Ce n'est que lorsque le juge lui parle des historiques de chat dans lesquels l'accusé et d'autres utilisateurs ont échangé des fantasmes, qu'il semble décontenancé. Sa voix se casse, il s'essuie les yeux avec les mains.
Il avoue regretter ses actes. «Le remords n'est-il arrivé qu'à partir de ce moment-là?», demande le juge. «Non, en fait, j'ai toujours eu un mauvais pressentiment»
«Votre honte est-elle devenue plus importante pour vous que vos délits?» «Oui». L'accusé se dit désormais heureux de suivre une thérapie une fois par semaine.
«Il était le Pablo Escobar de la pornographie enfantine», déclare le procureur dans son réquisitoire. Et de décrire le forum comme une couveuse pour pédophiles favorisant la rediffusion des contenus à large échelle. Le prévenu doit donc aussi répondre d'actes de complicité. Le procureur demande une peine d'emprisonnement de six ans ferme, une mesure ambulatoire et une expulsion de dix ans.
L'avocat de la défense accepte l'expulsion, estimant cependant que la comparaison avec Pablo Escobar va trop loin.
Dans sa plaidoirie d'une heure et demie, l'avocat de la défense reproche aux enquêteurs différentes lacunes: il met par exemple en doute les compétences de la police scientifique ou le programme avec lequel les fichiers ont été analysés. Comme son client est disposé à suivre une thérapie et qu'il coopère, il réclame une peine d'emprisonnement de deux ans et demi, dont la moitié avec sursis.
Le juge suit en grande partie le ministère public et condamne l'informaticien à une peine de prison de cinq ans ferme. Une expertise a révélé une légère diminution de la capacité de contrôle, ce qui a permis d'alléger la sentence. S'y ajoutent les frais de procédure, une expulsion de dix ans et une mesure d'accompagnement de l'exécution.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)