«Compte tenu du délai de recours de trois jours, nous avons déployé beaucoup de moyens en peu de temps. Nos démarches ont été faites en parallèle de celles des Femmes socialistes», expliquent Camilla Jacquemoud et Léna Nussbaumer-Laghzaoui, avocates ayant rédigé le recours pour les Vert-e-s à Genève. Pour rappel l'Office fédéral des assurances sociales a révélé publiquement, mardi 6 août avoir découvert des erreurs de calcul dans ses projections. Ces erreurs ont provoqué une surestimation de quatre milliards des dépenses de l'AVS en 2033.
Suite à cette annonce, les avocats des Femmes socialistes et des Vert-e-s ont rédigé les recours appelant à une annulation de la votation sur l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes et les ont adressés au gouvernement respectif de quatre cantons. Que contiennent ces recours? Quels sont les arguments principaux et quelle est la procédure usuelle? On vous explique tout.
Les Vert-e-s ont été les premiers à annoncer, mercredi 7 août, vouloir recourir, suivis par les Femmes socialistes. C'est chose faite. Du côté des Vert-e-s, deux recours ont été adressés, l'une dans le canton de Genève et l'autre dans le canton de Zurich. Les plaignantes sont Valérie Walther-Palli (GE) et Katharina Steiner (ZH), «des personnes directement concernées» selon la communication du parti. La présidente des Vert-e-s, Lisa Mazzone (GE) et la conseillère nationale Katharina Prelicz-Huber (GE) figurent également parmi les recourantes.
Du côté des Femmes socialistes, deux recours ont été déposés, l'un effectué dans le canton de Neuchâtel avec la conseillère nationale Martine Docourt (NE) ainsi que Silvia Locatelli (NE), puis dans le canton de Berne avec la conseillère nationale et présidente des Femmes socialistes Tamara Funiciello (BE).
La voie de recours doit se faire devant les gouvernements cantonaux, dans les trois jours, après la communication de la découverte de l'erreur, soit le 9 août 2024. Délai respecté par les Vert-e-s et les Femmes socialistes. Il s'agit là de la première étape, mais au final, c'est le Tribunal fédéral qui décidera. «La procédure nous impose d'agir d'abord devant le Conseil d'Etat, mais celui-ci rendra une décision d'irrecevabilité, car il constatera que les irrégularités dépassent le cadre du canton», explique Baptiste Hurni, avocat ayant corédigé le recours de Martine Docourt (NE) ainsi que Silvia Locatelli (NE).
Les quatre cantons sollicités devraient rendre leur décision d'ici à une dizaine de jours. Lorsque la décision des gouvernements cantonaux sera communiquée, les plaignantes auront alors cinq jours pour porter leur recours auprès du Tribunal fédéral à Lausanne.
Son confrère Baptiste Hurni abonde: «Le Tribunal fédéral n'est pas un tribunal qui prend du temps dans ses décisions, de plus il existe deux jurisprudences en la matière, il devrait rendre sa décision avant la fin de l'année».
Les Femmes socialistes et les Vert-e-s ont les mêmes arguments pour soutenir leur recours, les voici:
Les chiffres officiels communiqués par le Conseil fédéral pour fonder son argumentation durant la votation de 2022 sur l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes sont erronés et ont été trop alarmistes. «C'est un argument phare, car toute la communication officielle sur cette votation se fondait sur ces chiffres», explique Baptiste Hurni. Dans le recours qu'il a rédigé avec Romain Dubois, il pointe la communication du Conseil fédéral qui est axée sur les coûts de l'AVS:
Dans le recours des deux partis, on cite de nombreux exemples de la communication du Conseil fédéral, notamment le tout ménage concernant la votation de septembre 2022, qui tablait sur une économie de 4,9 milliards de francs d'ici 2032.👇
L'avocat Baptiste Hurni insiste: «l’économie présentée par la votation d’AVS21 devait être de 4,9 milliards en 10 ans. L'erreur de projection, quant à elle, représente un montant en faveur de l’AVS de l’ordre de 10,144 milliards en dix ans, c’est-à-dire plus de deux fois l’économie prévue par AVS 21.»
Le second argument des recourantes réside sur la motivation première de la réforme AVS 21. En effet, dans leur argumentaire, les avocats veulent démontrer que les chiffres erronés ont eu une influence majeure sur le vote, car celui-ci était essentiellement basé sur des questions financières.
Léna Nussbaumer-Laghzaoui et Camilla Jacquemoud développent une liste non exhaustive d'articles relayant les informations de la Confédération sur les économies potentielles de la réforme AVS 21. «Il est compréhensible que les médias aient relayé ces chiffres parce qu'ils étaient considérés comme étant absolument fiables. Je rappelle qu'il s'agissait de projections et qu'elles n'ont pas été présentées comme telles», ajoute l'avocate. Les recours respectifs citent, entre autres, des extraits des journaux et émissions de la RTS, des articles de presse du Temps, de la NZZ, de 24 Heures, de watson ainsi qu'Heidi.news.
Pour étayer leur propos, Baptiste Hurni et Romain Dubois expliquent que les analyses électorales effectuées avant et après la campagne «démontrent l'influence déterminante des arguments financiers sur le vote des citoyens et citoyennes». Ils prennent pour exemple un sondage post-électoral VOX «qui constate que les arguments financiers ont été déterminants pour 30% des votants et ont compté dans la décision pour 41% d'entre elles et eux».
Le troisième argument important pour les plaignantes réside dans le résultat serré de la votation.
Selon les deux recours, le Tribunal Fédéral a déjà qualifié de serré un résultat de 50,8%, à savoir une différence de voix de 55 072 dans le cadre de l'initiative PDC sur l'imposition des couples mariés. Dans le cas de l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes, la réforme a été acceptée à 50,5%, soit une différence de voix de 31 195. «L'équivalent d'une ville, une très faible majorité», note Maître Camilla Jacquemoud qui ajoute que le résultat serré n'est pas une condition sine qua non pour que le Tribunal Fédéral se penche sur un recours.
Le Tribunal fédéral peut se référer à deux jurisprudences pour prendre sa décision. La première datant de 2011 concerne le vote sur la fiscalisation des entreprises (votation RIE II) et une seconde jurisprudence datant de 2019 sur l'initiative PDC intitulée «pour le couple et la famille – Non à la pénalisation du mariage». Pour le premier cas, le Tribunal fédéral a reconnu une violation des droits politiques, mais a renoncé à annuler la votation, stipulant que la réforme était déjà entrée en vigueur.
Dans le cas qui nous intéresse, les Femmes socialistes et des Vert-e-s, s'attachent à la seconde jurisprudence, soit l'annulation du vote sur l'initiative PDC. En effet, le tribunal fédéral avait décidé en 2019 de l'annulation de la votation sur les couples mariés. Une première.
Les arguments du Tribunal fédéral étaient, d'une part, la violation des droits politiques des électeurs, mais aussi, de manière plus pragmatique, le fait que l'annulation ne produisait aucun effet négatif. En effet, l'initiative ayant été rejetée, elle n'a entraîné aucune réforme. Pour les avocats des recourantes contre la votation de l'augmentation de l'âge de la retraite, la question de la sécurité du droit ne s'oppose pas à une annulation, car la principale mesure de la réforme AVS 21 qui est le relèvement de l'âge de la retraite des femmes, n'a pas encore été effectuée.
Camilla Jacquemoud ajoute que «renoncer à une annulation pour la seule raison que la réforme déploie déjà certains effets et alors que l’OFAS a attendu près de trois mois pour communiquer son erreur reviendrait à encourager une politique du fait accompli».
Les avocats des recourantes ne souhaitent pas émettre d'hypothèses concernant les conséquences politiques d'une annulation du vote de 2022. Baptiste Hurni qui est aussi conseiller aux Etats confirme qu'à ce stade, il est difficile d'avoir des revendications autres que celle de revoter. «Mais il appartient au Conseil fédéral de travailler sur les conséquences de cette grave erreur», note-t-il.
Le Tribunal fédéral décidera ou non d'une annulation du vote, mais il n'imposera pas une nouvelle votation. Et au politique expérimenté de conclure qu'il serait improbable que l'exécutif propose exactement le même vote en cas d'annulation. «Notre système politique nous permet de négocier et de trouver des compromis, si le vote est annulé, le Conseil fédéral peut revenir avec des compensations par exemple ou proposer une nouvelle réforme, la balle sera de toute façon dans son camp».