L'office fédéral des assurances sociales (Ofas) s'est trompé de quatre milliards dans ses calculs des projections des dépenses de l'AVS prévues pour 2033. Cette erreur, qualifiée «d'importante, significative et grave» par la ministre de l'Intérieur, Elisabeth Baume-Schneider, va mener à une enquête administrative. Les réactions ne se sont pas fait attendre, l'Union syndicale suisse remet en question le résultat du vote de septembre 2022 sur le relèvement de l'âge de la retraite des femmes, et les Vert-e-s ont annoncé vouloir déposer un recours.
Quelles sont les conditions d'une annulation d'une votation et quelle influence cette erreur peut-elle avoir sur la réforme AVS en cours? Réponse du professeur en science politique Pascal Sciarini.
Une erreur de projection s'élevant à quatre milliards, mais «qui ne change rien sur la tendance de fond» selon Stéphane Rossi, le directeur de l'Ofas, que pensez-vous de cette réponse?
Alors ça, c'est la façon de dire: «on a fait une erreur, mais ce n'est pas bien grave, ce sont des peanuts», mais nous ne sommes pas dans ce schéma-là aujourd'hui. Quatre milliards, ce n'est pas des peanuts! Quand vous avez une telle erreur, il faut corriger le tir immédiatement, car vous allez introduire un sentiment de méfiance qui va perturber largement les débats.
Quelles pourraient être les conditions pour une annulation d'une votation par le Tribunal fédéral?
Pour une annulation, il faudrait pouvoir démontrer qu'il y avait une grosse erreur dans l'information donnée aux électeurs et électrices et que cette erreur est susceptible d'avoir biaisé la formation de l'opinion.
Il y a eu un précédent avec la décision du Tribunal fédéral d'annuler la votation sur l'imposition des couples mariés.
Oui, en 2019, les juges du Tribunal fédéral ont estimé que le Conseil fédéral avait violé son devoir d'information et de transparence en annonçant un chiffre erroné sur le nombre des couples concernés par l'initiative du PDC.
On peut faire une analogie avec ce cas, si les conditions sont réunies.
Pourrait-on aussi envisager de revoter sur l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes comme l'avancent les femmes socialistes?
Avant de penser à revoter, le Tribunal fédéral pourrait simplement annuler le vote. Il est vrai que revoter sur l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes peut sembler anachronique, car d'autres réformes sont déjà en cours, mais il est clair que les nouvelles données pèseront dans les discussions actuelles.
Si je comprends bien, nous n'avons pas besoin de revoter pour que l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes soit modifiée?
Ces nouveaux chiffres vont clairement faire débat sous la coupole.
Comme je vous l'ai dit, voter sur le même objet paraîtrait anachronique, mais cela pourrait avoir pour effet de stopper la mise en oeuvre de l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes au sein du parlement.
Quelles sont les responsabilités aujourd'hui? Des têtes pourraient-elles tomber?
En Suisse, notre système ne fait pas tomber les têtes. Prenons l'exemple d'un conseiller fédéral qui aurait perdu une votation jugée importante pour son département, ce n'est pas pour autant qu'il démissionnera. Dans le cas qui nous intéresse, une erreur a été faite et l'enquête administrative devra démontrer comment elle s'est produite et dans quelles conditions.
S'agissant de calculs sur des projections, on ne peut, à priori, pas soupçonner une volonté politique de manipulation des chiffres. On a certainement à faire à un dysfonctionnement administratif qu'il convient de corriger. Je ne pense pas que cela pourrait déboucher sur des pressions à la démission du directeur de l'Ofas et encore moins envers la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, car l'erreur a été faite en 2019 et elle est à son poste depuis quelques mois seulement.
Pensez-vous que la confiance en l'administration est entachée par ce type d'événement?
Tout à fait. Il y aura des conséquences politiques importantes à court terme, mais aussi à long terme, car cet événement touche la confiance envers nos institutions. Cette erreur a amené un côté déstabilisant, car on sait que lorsque le message de l'élite est perturbé, pas clair ou erroné comme dans ce cas, cela devient très compliqué de s'y fier. Dans notre démocratie direct, on vote beaucoup et on doit pouvoir faire confiance en la fiabilité de ces données.