Il y a deux semaines, après que le Conseil fédéral a été réélu dans son ensemble, un grand raout politique a pris place au Casino de Berne: un dîner du groupe parlementaire UDC. A cette occasion, le conseiller fédéral Albert Rösti a pris la parole. Et il a mis en garde le parti, à titre préventif, au sujet de la nouvelle politique européenne du Conseil fédéral, soufflant que celui-ci allait bientôt publier le projet de mandat pour les négociations avec l'UE sur la voie bilatérale. Et qu'il vaut la peine de lire le texte très attentivement.
Albert Rösti a respecté la collégialité et n'a pas révélé de secrets de fonction. Mais il a déjà préparé ses compagnons de lutte à la grande bataille qui attend l'UDC vis-à-vis de l'UE. Le parti ne veut pas de rapprochement institutionnel avec Bruxelles, ni de nouveaux accords bilatéraux, et compte bien remonter sur le cheval de bataille qui a fait son succès. Il y a 30 ans, c'était un certain UDC Christoph Blocher qui avait, presque à lui tout seul, fait capoter l'entrée de la Suisse au sein de l'Espace économique européen (EEE), donnant le ton pour trente ans de défiance et de méfiance entre la Suisse et l'UE.
Le vendredi 15 décembre, soit deux jours après l'avertissement d'Albert Rösti face à son parti, le Conseil fédéral adoptait bel et bien le projet de mandat de négociation avec l'UE et publiait le texte dans son intégralité. Avec une nouveauté notable: pour la première fois, les objectifs que le gouvernement veut atteindre à Bruxelles sont aussi partagés auprès du peuple de l'opinion publique.
Le dossier comporte sept pages, divisées en sections de A à O. S'y ajoutent le mandat de négociation pour un accord sur l'électricité et plus d'une douzaine de documents et de fiches d'information, dont le document final élaboré en commun avec l'UE à l'issue des entretiens exploratoires qui ont duré un an et demi.
La ministre de la Justice Elisabeth Baume-Schneider, le ministre de l'Economie Guy Parmelin et le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis se sont présentés devant les médias à 14h30 à Berne.
Ce dernier a tout de suite donné le tempo: le texte du mandat doit désormais être soumis aux commissions de politique extérieure et aux cantons pour consultation. Ensuite, «d'ici deux à trois mois», selon Cassis, le Conseil fédéral décidera du mandat définitif et entamera les négociations avec Bruxelles. Le but: les faire avancer rapidement.
Malgré tout, le mot d'ordre reste le même que lors du Covid: aussi vite que possible, et aussi lentement que nécessaire.
Si le rythme peut paraître effréné, les travaux sont en réalité déjà bien avancés. Il y a déjà eu en tout 70 rencontres dans le cadre de ce que l'on appelle les sondages, ainsi que neuf entretiens au niveau ministériel avec Cassis. Il en est ressorti un résultat qui, dans deux domaines importants, est pratiquement identique au projet d'accord-cadre que le Conseil fédéral a coulé au printemps 2021:
Les «juges étrangers» et la «reprise automatique du droit» sont précisément les deux points que l'UDC a toujours combattus avec véhémence et qu'elle continuera de combattre «par tous les moyens», comme elle l'a fait savoir vendredi après-midi.
Mais l'UDC n'est pas le seul parti à se montrer critique vis-à-vis de l'Union européenne. A l'opposé du spectre politique, le Parti socialiste (PS) a lui aussi indiqué qu'il serait vigilant sur ces accords, notamment sur la question de la protection des salaires. Si le parti veut se rapprocher de l'UE, il se refuse à faire du «cherry picking néolibéral», a déclaré jeudi le chef du parti Cédric Wermuth.
Le PS exige donc, outre de nouvelles concessions de la part de l'UE, un paquet de lois de politique intérieure, avec des «mesures complémentaires» qui contribuent à protéger les travailleurs contre le dumping salarial. Le Conseil fédéral semblait toutefois déjà avoir prévu ce point, puisque les trois membres du gouvernement ont abordé les trois raisons de l'échec du précédent accord-cadre et indiqué que des concessions avaient déjà été obtenues depuis lors à Bruxelles:
Il s'agit d'exceptions qui ne peuvent être annulées ni par les futures lois de l'UE ni par les juges européens. Ainsi, malgré la directive sur les citoyens de l'Union, l'immigration en Suisse restera liée au marché du travail, et l'expulsion de Suisse des citoyens européens criminels devrait rester possible.
En ce qui concerne la protection des salaires, la Suisse devrait obtenir une clause de sauvegarde qui garantira à l'avenir le niveau de protection des salaires. Mais avant cela, elle doit faire des concessions, comme un délai d'annonce préalable raccourci et la réduction de l'obligation de caution pour les entreprises de l'UE.
Ces concessions devraient permettre de faire tomber ou contourner les réticences tant au sein de l'UDC que du PS. Chez ce dernier, la tension est plus grande qu'au sein du parti agrarien, avec une aile «euro-turbo» très favorable à l'UE et une aile syndicaliste, beaucoup plus critique.
Le Conseil fédéral est donc toujours sous pression de deux côtés:
Le rapprochement institutionnel controversé avec l'UE doit être agrémenté d'accords supplémentaires qui apportent un avantage à la Suisse: en matière d'électricité, de sécurité alimentaire et d'accord sur la santé. Dans leurs prises de position, les organisations économiques et scientifiques qui s'engagent en faveur du paquet d'accords parlent volontiers des «Bilatérales III». Le Conseil fédéral ne le fait pas, apparemment à la demande de l'UE.
Ce n'est pas un hasard si le Conseil fédéral a indiqué dans une lettre adressée à la Commission européenne que le résultat des entretiens exploratoires «ne doit pas être considéré comme une ligne rouge pour les négociations futures». Toutes les «zones d'atterrissage» convenues jusqu'à présent et au sein desquelles un accord est recherché peuvent, selon le Conseil fédéral, faire l'objet d'un nouveau débat.
Ce n'est pas l'avis de Bruxelles. Le principe de négociation «rien n'est convenu tant que tout n'est pas convenu» existe bel et bien, a déclaré vendredi le vice-président de la Commission européenne Maros Sefcovic. Mais le résultat de l'exploration, consigné par écrit, est le fruit d'un «dur travail diplomatique» dans lequel on a investi beaucoup de temps. Et il réunit «tous les éléments clés» que l'on veut respecter dans les négociations. Maros Sefcovic prévient:
I welcome the decision by the🇨🇭Federal Council to approve a draft negotiating mandate with the EU on a broad package to take our relationship forward.
— Maroš Šefčovič🇪🇺 (@MarosSefcovic) December 15, 2023
We will mirror it by submitting to @EUCouncil a draft mandate based on the Common Understanding.
👉https://t.co/m2qo4nsHle pic.twitter.com/2uWZZNhZfl
(Traduit de l’allemand par Barnabé Fournier)