Si vous êtes aussi ébranlé par la politique politico-politicienne qu'un caillou devant un coucher de soleil, vous vous posez au moins une question, ces derniers jours: à quoi ça peut bien servir, concrètement, de hisser un conseiller fédéral romand?
«Elu, je serai aussi le conseiller fédéral des Romands.» C'est par cette locution digne d'un concours de beauté que l'UDC Albert Roesti a tenté de rassurer nos petits cœurs latins. Depuis le début du jeu des chaises musicales au Conseil fédéral, on assiste à un drôle (mais traditionnel) grand écart rhétorique.
D'un côté, on se doit (logiquement) de souligner, défendre, voire même fêter le vaillant compatriote qui se lance dans la course au siège suprême. De l'autre, ce cheval politique sur lequel on mise tout notre chauvinisme, dédie, lui, toute sa sueur à jurer qu'il représentera tous les Suisses. Il s'agit d'entraîner sa souplesse avant de s'affaler sur le trône.
Que cette candidature jurassienne fait du bien! Malgré toutes les crises, Elisabeth Baume-Schneider parvient à insuffler un brin d’optimisme dans nos vies! pic.twitter.com/ZOwNk710VT
— Michel Guillaume (@mfguillaume) November 27, 2022
Cas d'école romand, la candidature socialiste de la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider. Si elle succède à Simonetta Sommaruga le 7 décembre prochain, le Jura aura enfin son premier représentant au Conseil fédéral. Gloire, paillettes et tutti quanti. Mais y a-t-il autre chose à se mettre sous la dent que le symbole (important), la fierté (sincère) et cette représentation (mouvante et théorique)?
Autrement dit: la présence d'un conseiller fédéral romand peut-elle faire avancer un projet qui nous concerne particulièrement, filer un petit coup de main en douce, placer un dossier en haut de la pile? Coup de fil à René Knüsel, politologue à l'Université de Lausanne.
Et officieusement? «Si les conseillers fédéraux, une fois élus, doivent théoriquement abandonner leur couleur politique et leurs attaches à la région qui les a vus naître, ce sont des humains qui conservent leur sensibilité.»
Voilà pour les bases.
Déménager ses bagages politiques de sa région au sommet du pouvoir helvétique, c'est trimballer aussi son réseau, des influences, des numéros de portable, des liens amicaux. En accédant au Conseil fédéral, les entrées sont facilitées et «vous devenez ainsi une porte ouverte sur les sollicitations de votre entourage».
«Si Baume-Schneider est élue, elle ne pourra certes pas faire avancer un dossier purement jurassien, mais elle sera armée et suffisamment renseignée pour tenter de faire pencher la balance dans un dossier national qui concernerait particulièrement son canton.» Un exemple? «Les transports publics périphériques.»
Si Alain Berset est devenu une star en Suisse romande durant la (longue) pandémie de Covid-19, ce n'est pas seulement parce qu'il aurait géré la crise avec un brio inégalable. L'homme est fribourgeois et, comme le veut l'usage, il s'exprime d'abord dans sa langue natale. «Et il maîtrise suffisamment bien l'allemand pour conserver toute sa crédibilité au sein du Conseil fédéral, mais aussi dans les médias alémaniques. Quand vous êtes bilingue, comme Simonetta Sommaruga, c’est avant tout une capacité à faire passer des idées.»
Pour ceux à qui cela avait échappé: Une perle de l’allemand fédéral de Guy Parmelin samedi dernier...
— Pierre Nebel (@NebelRTS) August 26, 2019
Sur la question de savoir si l’UE va ratifier l’accord de libre-échange avec le Mercosur. pic.twitter.com/i4cBWELJBu
Quand Alain Berset prend des exemples concrets pour transmettre une information, il va naturellement «chercher une familiarité, piocher dans la Suisse romande et une région de référence francophone», nous rappelle René Knüsel. Enfin, les départements, quand ils sont dirigés par un latin, ça change un peu la donne, «notamment au niveau des secrétaires généraux. Une teinte de la couleur du parti et la région apparaît entre les lignes neutres».
Au-delà du symbole et d'une certaine fierté de tout un canton, un conseiller fédéral amène avec lui des visions, selon son parcours et ses origines. «Même si le reste du collège peut, à tout moment, vous faire avaler des couleuvres, l’idée est de développer des thématiques selon des intérêts particuliers et des sensibilités personnelles.» Pour étayer son propos, René Knüsel évoque l'importance de la personnalité de l'élu pour espérer voir la Suisse romande profiter (un peu) d'un élu au sommet du pouvoir.
La formule magique? Charisme et finesse. Pour René Knüsel, Elisabeth Baume-Schneider aurait ce qu'il faut pour offrir quelques retombées officieuses à la Suisse romande. «L’arrière-pays, ce n'est pas l’Arc lémanique. Elle pourrait très bien, par exemple, se démarquer en incarnant la représentante des régions oubliées. Qu’elle soit jurassienne, ce n’est, en soi, pas déterminant.»