Le 7 décembre, ce sont deux cantons frères par l’Histoire et proches par la géographie qui s’opposeront dans l’élection de la candidate socialiste au Conseil fédéral. Le Jura et Bâle-Ville. Avant la Réforme, les deux territoires étaient réunis par la crosse de l’Evêché de Bâle, dont le drapeau jurassien porte l’emblème en héritage. La rupture entre catholiques et protestants consommée, les princes-évêques ont élu domicile à Porrentruy, en Ajoie, l’un des trois districts du canton du Jura.
Les liens entre le Jura et Bâle, Ville et Campagne, sont étroits. Ils coulent dans la vallée sinueuse de la Birse, cette rivière qui prend sa source à Tavannes, dans le Jura bernois, passe par Delémont, le chef-lieu du canton du Jura, avant de doucement filer vers la cité rhénane et son fleuve.
Les pronostics électoraux sont pour l’heure favorables à Eva Herzog, la candidate et conseillère aux Etats du demi-canton de Bâle-Ville, cet émirat de la pharma. En lui adjoignant la sénatrice jurassienne Elisabeth Baume-Schneider sur le ticket soumis au vote de l’Assemblée fédérale, l’état-major socialiste chercherait à forcer la main du Parlement, comme le notent nos confrères suisses alémaniques de watson: Eva Herzog est germanophone et se situe à l’aile droite du parti; Elisabeth Baume-Schneider est francophone et se positionne à la gauche du PS.
La logique, à défaut de la Constitution, qui ne dit rien de précis à ce propos, voudrait que le Conseil fédéral ait une composition majoritairement germanophone à l’image du pays. Or, elle serait latine si la Jurassienne était élue. Quant au profil plus bourgeois de la Bâloise, il rassurera des chambres penchant historiquement à droite. Voilà pour les aspects tactiques.
Jetons à présent un œil aux intérêts, qui recoupent ici des sentiments. C’est un peu du canton du Jura qui accèderait au Conseil fédéral si Eva Herzog devait y entrer. Bâle est un important débouché d’emplois pour les Jurassiens, en particulier ceux de la vallée de Delémont. Les 37 km séparant les deux chefs-lieux par la route et le train sont empruntés chaque jour par de la main-d’œuvre jurassienne. Le Jura et les deux Bâle forment une région économique appelée «Bâle-Jura».
Et puis, il y a les liens affectifs. Bâle fut un ami du Jura dans son combat pour l’indépendance obtenue en 1974, avant qu'elle ne soit approuvée par le peuple suisse quatre ans plus tard. Des Bâlois possédaient des fermes aux Franches-Montagnes, où ils passaient leurs week-ends au calme. Le peintre et sculpteur bâlois Coghuf s’y installa, y mourut, étant devenu dans l'intervalle l’un des principaux artistes jurassiens.
Si le tourisme bâlois put irriter des gens du cru, ce n’était rien à côté du rejet que leur inspirait la domination du canton de Berne sur ce qui allait un jour devenir le canton du Jura. Elisabeth Baume-Schneider était enfant à cette époque. Elle avait 11 ans en 1974. Ses parents étaient agriculteurs aux Bois, une commune des Franches-Montagnes, l’un des districts qui s’étaient prononcés pour l’autonomie du Jura. Ses parents avaient voté «non». Ils étaient originaires de Suisse alémanique et parlaient le suisse-allemand. Elle avait un frère plus âgé, il était pro-bernois, alors que l’une de ses sœurs était autonomiste.
Les grands électeurs de l’Assemblée fédérale pourraient-ils se montrer sensibles à cette histoire et à celle qui l’incarne, Elisabeth Baume-Schneider, parfaite bilingue français-allemand? Alors que le canton du Jura fêtera ses cinquante ans dans deux ans, l’élection de la Jurassienne, au moment même où le Jura bernois semble chercher un nouveau souffle, sinon une nouvelle voie, pourrait avoir un sens profondément confédéral, celui des liens plus forts que les divisions. Et puis, ce serait un peu de Bâle aussi qui entrerait au Conseil fédéral.