Quand les chasseurs de trésor suisses affrontaient fantômes et escrocs
Par une froide nuit d’automne de l’an 1736, quatre hommes se retrouvèrent, à la lueur d’une lampe à huile, dans la grange d’une ferme de la région de Willisau. Alors que le vent sifflait à travers les planches du bâtiment, l’un d’eux, un «monsieur de Constance», traça un cercle dans la terre, d’un air grave.
Le fermier Kaspar Müller et ses compagnons, Rochi Zeder et Hans Bättig, se tenaient à ses côtés, perplexes. «Un trésor caché, inviolé depuis des siècles. Celui qui s’en montrera digne l’aura entre les mains», murmura l’étranger sur un ton mystérieux.
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La recherche de trésors était une pratique très répandue en Suisse entre 1500 et 1800. Plus qu’une simple quête de richesses, elle reflétait les inquiétudes de la population. Des guerres avaient bouleversé la société et la Réforme avait remis en cause les anciennes croyances. Les trésors dont on parlait en maints endroits incarnaient aussi une forme d’espoir. L’espoir d’une vie meilleure, d’un peu de bonheur, ou simplement un sujet auquel se consacrer.
La chasse au trésor était symptomatique d’une manière d’aborder l’économie: dans une société essentiellement agricole, où la propriété était considérée comme limitée, la richesse pouvait uniquement provenir de la redistribution des biens existants. Pour en gagner, il fallait prendre quelque chose à autrui, pensait-on.
Les trésors découverts étaient donc une sorte de «richesse autorisée», hors du cadre de l’ordre social. Des bouleversements économiques étaient aussi à l’œuvre: si les transactions financières se développaient, le secteur bancaire restait quant à lui à la traîne. Dès lors, beaucoup de gens cachaient leurs économies.
La baguette de sourcier
«Vous êtes à la croisée des chemins», susurra l’inconnu en pénétrant dans le cercle, un rameau de buis béni à la main. D’une voix insistante, il exhorta Kaspar Müller à accepter sa mission:
La chasse au trésor était indissociable de la religion et de la superstition. On attribuait des propriétés magiques aux trésors cachés: on croyait qu’ils pouvaient échapper sciemment à ceux qui les cherchaient ou se camoufler en objets sans valeur.
Les chasseurs de trésors usaient donc de pratiques occultes pour les localiser: la baguette de sourcier était un instrument privilégié, tout comme la racine de mandragore, les miroirs spéciaux ou les grimoires. On disait des prières, on invoquait les saints et on conjurait les démons pour trouver le trésor et pour communiquer avec les esprits.
Ces trésors étaient souvent gardés par des âmes tourmentées. Les fantômes n’étaient pas là par hasard: leur existence était considérée comme une punition pour ne pas avoir accompli une certaine tâche dans leur vie. Quiconque enterrait un trésor s’était peut-être rendu coupable du péché mortel de cupidité ou avait négligé d’utiliser sa fortune à bon escient. Le trésor devait donc être déterré pour sauver l’âme du défunt.
«Il est ici», murmura l’étranger, «je vais lui parler». D’un pas lent, l’homme de Constance sortit de la grange et s’éloigna dans l’obscurité. Une heure interminable s’écoula, pendant laquelle les trois Lucernois attendirent dans un silence glacial. Lorsque l’inconnu revint, il leur annonça:
Le trésor se composait de 25 000 ou 35 000 sequins et d’autant de doublons, ainsi que de «trois chaînes en or qui faisaient quatre fois le tour du corps».
Mais avant de pouvoir récupérer le pactole, le découvreur de trésors originaire du lac de Constance posa une condition: chacun des hommes devait lui remettre trois pièces d’or, en guise de sacrifice nécessaire pour pouvoir s’emparer du trésor. Ce serait un signe de leur bonne foi, expliqua l’étranger.
Le vendredi suivant, Hans Bättig et Rochi Zeder revinrent à la ferme de Kaspar Müller, muni chacun de trois pièces d’or. L’étranger prit leur argent, le cousit soigneusement dans trois petits sacs qu’il déposa au centre du cercle magique.
«Ils se rempliront bientôt», promit-il. Mais il restait encore une dernière tâche à accomplir. «Le trésor ne se montre qu’aux cœurs purs», les mit-il en garde. «Vous devez d’abord vous libérer de vos péchés, puis seulement il se révélera à vous.» Les hommes se mirent donc en route pour Sursee afin de s’y confesser.
Pleins d’espoir, ils revinrent à la ferme. Mais l’étranger n’était plus là. Ils attendirent un moment, puis entrèrent dans la grange et ouvrirent les petits sacs. Ils se figèrent. Au lieu du trésor tant espéré, ceux-ci ne contenaient que des fragments de plomb sans la moindre valeur.
Mais leur malheur ne s’arrêta pas là. Peu après, les trois hommes furent conduits devant le tribunal de Willisau. La nouvelle de leurs agissements nocturnes s’était répandue.
Un crime lourdement puni
Dans de nombreuses contrées, la recherche de trésors était strictement interdite, car elle était associée à la superstition et à la magie, des délits faisant parfois l’objet de poursuites dans le cadre de procès en sorcellerie. Les archives judiciaires de différents cantons témoignent des sanctions infligées. Rien qu’à Lucerne, quelque 200 cas ont été recensés au 18e siècle. Les condamnations allaient des amendes aux peines d’emprisonnement et aux châtiments corporels, voire à l’humiliation publique et au bannissement.
Kaspar Müller fut banni de la région pour deux ans, Hans Bättig pour trois ans et Rochi Zeder pour un an, comme en témoignent les registres judiciaires. Et qu’advint-il du «monsieur de Constance»? Il disparut dans la nature, probablement en quête d’une nouvelle victime.
La chasse au trésor perdit sa dimension magique avec l’avènement des Lumières et le déclin des superstitions au 19e siècle. L’histoire et la technique prirent le pas sur les esprits et les formules magiques. La recherche de trésors resta populaire, mais son succès reposait désormais sur la déduction rationnelle: d’où provenait le trésor? Qui l’avait caché? La carte au trésor a joué un rôle clé dans ce contexte, acquérant pour la première fois l’importance qu’elle revêt encore aujourd’hui dans la culture populaire.
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