Pour défendre le ciel suisse ces prochaines décennies, le Conseil fédéral a tranché: ce sera l'avion de combat F-35, du constructeur californien Lockheed Martin. Mais les Suisses ne semblent pas convaincus. Selon notre récent sondage, près de 81% de la population a un avis défavorable vis-à-vis de cette acquisition.
Pour rappel, le peuple suisse a voté en faveur de l'achat d'un nouvel avion de combat en septembre 2020. La décision d'acquérir l'engin revenait, elle, au Conseil fédéral. Au Parlement, les commissions de politique de sécurité des deux chambres n'avaient pas de pouvoir décisionnaire. Plusieurs de leurs membres réagissent toutefois à notre sondage.
Pour le Vert Fabien Fivaz, notamment, il est encore temps de faire marche arrière. Mais il prévient:
Le conseiller national neuchâtelois, qui passera bientôt aux Etats, a par ailleurs déposé un postulat demandant au Conseil fédéral de chiffrer les frais d'un possible retrait. Il tonne:
Il pointe du doigt le type de contrat signé entre le Conseil fédéral et le gouvernement américain, «qui contrôle les prix». Des contrats que lui et la commission de sécurité n'ont du reste pas pu consulter. «On risque tant une augmentation des coûts que des délais de livraisons», prévient-il.
Il ajoute: «Je reste persuadé que le Département fédéral de la défense (DDPS) a adapté ses critères de sélection pour faire gagner le F-35.»
Si Fabien Fivaz veut croire qu'il est encore temps de faire marche arrière, le conseiller national UDC valaisan Jean-Luc Addor, lui aussi membre de la commission de politique de sécurité, n'y croit guère.
Quitte à perdre les 700 millions déjà engagés et couper court à de possibles surcoûts? L'élu UDC se dit parfaitement conscient de ces problèmes et dénonce «l'opacité complète du processus d'acquisition». «L'armée n'a pas donné de réponse convaincante sur ces questions», estime-t-il.
Mais le principal frein à un possible retour en arrière ne réside pas là: «Le problème, c'est que les contrats signés par Viola Amherd et le Conseil fédéral n'ont jamais pu être consultés par le Parlement, même pas par les membres de la commission, pourtant sous le sceau du secret.»
La position de Jean-Luc Addor sur cette question est plus critique que celle de son confrère de parti Werner Salzmann (UDC/BE), membre de la commission de sécurité du Conseil des Etats, qui défend bec et ongles le F-35, «le meilleur et le plus moderne des avions de combat».
Et le deuxième mandat de Donald Trump, dans tout ça? Le président américain a-t-il une telle influence sur les décisions prises à Berne? C'est l'avis de la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD), elle aussi membre de la commission de sécurité du National:
Elle estime, cependant, elle aussi que ce qui est fait, est fait, et qu'il faut maintenir les contrats. Elle craint également une procédure judiciaire américaine. «Cela pourrait coûter très cher à la Suisse.» Fabien Fivaz, de son côté, maintient sa position:
Pour Jean-Luc Addor, la présence de Trump ne change absolument rien aux affaires. «Toute cette affaire est indépendante de l'administration Trump. Les présidents passent, mais les Etats restent», lance-t-il. La tendance «America first» du président américain ne le choque pas non plus, lui qui réclame une politique «La Suisse d'abord» — le même slogan dans une langue nationale, précise-t-il.
Donald Trump ou non, un avis défavorable envers le F-35 ne signifie pas pour autant un rejet du principe des avions de combat, tel que décidé par le peuple en 2020. Près de 60% des participants à notre sondage restent favorables à cette idée. Fabien Fivaz reconnaît que la Suisse doit disposer d'un avion de combat. «Les drones ne suffisent pas» lance-t-il, en réponse à une autre question de notre questionnaire. Mais:
Un avis partagé par Jean-Luc Addor. Mais si la commande de F-35 venait tout de même à être annulée, que devrait-on faire? Pourrait-on envisager un avion européen? Le Valaisan, qui était pourtant plutôt favorable au Rafale français, pour raisons tant politiques que techniques, se veut sceptique: «Avec la guerre en Ukraine, le marché de l'armement a explosé en Europe. La France augmente la cadence pour produire des avions pour sa propre armée.»
On le comprend, la situation risque difficilement de pouvoir bouger à Berne, malgré les mécontentements. Pour le Valaisan, le grand problème relevé par notre sondage se trouve ailleurs et est plus profond: «La confiance qui devrait exister entre la population et son armée est abîmée. La restaurer, ce sera le défi du nouveau chef du DDPS, Martin Pfister.»