Suisse
Politique

F-35 en Suisse: «C'est le dernier moment pour renoncer»

L'ombre de Donald Trump plane sur la livraison des F-35.
L'ombre de Donald Trump plane sur la livraison des F-35.keystone / montage watson

«Avec Trump, le risque financier derrière le F-35 est gigantesque»

Selon notre sondage représentatif, une majorité de Suisses ne veut pas de l'achat du F-35 américain par la Confédération. A Berne aussi, on est critique. Mais est-il encore possible ou temps de faire marche arrière sur la question? Si les constats se rejoignent, les conclusions divergent.
27.03.2025, 18:3628.03.2025, 18:26
Plus de «Suisse»

Pour défendre le ciel suisse ces prochaines décennies, le Conseil fédéral a tranché: ce sera l'avion de combat F-35, du constructeur californien Lockheed Martin. Mais les Suisses ne semblent pas convaincus. Selon notre récent sondage, près de 81% de la population a un avis défavorable vis-à-vis de cette acquisition.

Pour rappel, le peuple suisse a voté en faveur de l'achat d'un nouvel avion de combat en septembre 2020. La décision d'acquérir l'engin revenait, elle, au Conseil fédéral. Au Parlement, les commissions de politique de sécurité des deux chambres n'avaient pas de pouvoir décisionnaire. Plusieurs de leurs membres réagissent toutefois à notre sondage.

Un «risque financier gigantesque»

Pour le Vert Fabien Fivaz, notamment, il est encore temps de faire marche arrière. Mais il prévient:

«Le dernier moment, c'est maintenant»
Fabien Fivaz, conseiller national (Verts/NE)
Fabien Fivaz, GP-NE, spricht waehrend der Herbstsession der Eidgenoessischen Raete, am Donnerstag, 19. September 2024 im Nationalrat in Bern. (KEYSTONE/Anthony Anex)
Fabien Fivaz.Keystone

Le conseiller national neuchâtelois, qui passera bientôt aux Etats, a par ailleurs déposé un postulat demandant au Conseil fédéral de chiffrer les frais d'un possible retrait. Il tonne:

«Le Conseil fédéral fait l'autruche sur ce dossier. Plus il attend, plus ce sera difficile»
Fabien Fivaz, conseiller national (Verts/NE)

Il pointe du doigt le type de contrat signé entre le Conseil fédéral et le gouvernement américain, «qui contrôle les prix». Des contrats que lui et la commission de sécurité n'ont du reste pas pu consulter. «On risque tant une augmentation des coûts que des délais de livraisons», prévient-il.

Il ajoute: «Je reste persuadé que le Département fédéral de la défense (DDPS) a adapté ses critères de sélection pour faire gagner le F-35.»

«Il est trop tard»

Si Fabien Fivaz veut croire qu'il est encore temps de faire marche arrière, le conseiller national UDC valaisan Jean-Luc Addor, lui aussi membre de la commission de politique de sécurité, n'y croit guère.

«Il est très tard, peut-être trop, pour revenir en arrière»
Jean-Luc Addor, conseiller national (UDC/VS)
Jean-Luc Addor, SVP-VS, spricht waehrend der Herbstsession der Eidgenoessischen Raete, am Donnerstag, 19. September 2024 im Nationalrat in Bern. (KEYSTONE/Anthony Anex)
Jean-Luc Addor.Keystone

Quitte à perdre les 700 millions déjà engagés et couper court à de possibles surcoûts? L'élu UDC se dit parfaitement conscient de ces problèmes et dénonce «l'opacité complète du processus d'acquisition». «L'armée n'a pas donné de réponse convaincante sur ces questions», estime-t-il.

Mais le principal frein à un possible retour en arrière ne réside pas là: «Le problème, c'est que les contrats signés par Viola Amherd et le Conseil fédéral n'ont jamais pu être consultés par le Parlement, même pas par les membres de la commission, pourtant sous le sceau du secret.»

«Nous ne sommes donc pas sûrs qu'il est possible de faire marche arrière et nous ignorons tout des indemnités auxquelles la Suisse s’exposerait»
Jean-Luc Addor, conseiller national (UDC/VS)

La position de Jean-Luc Addor sur cette question est plus critique que celle de son confrère de parti Werner Salzmann (UDC/BE), membre de la commission de sécurité du Conseil des Etats, qui défend bec et ongles le F-35, «le meilleur et le plus moderne des avions de combat».

L'influence de Trump

Et le deuxième mandat de Donald Trump, dans tout ça? Le président américain a-t-il une telle influence sur les décisions prises à Berne? C'est l'avis de la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD), elle aussi membre de la commission de sécurité du National:

«Dans les circonstances actuelles, je me serais prononcée contre un avion de combat américain»
Jacqueline de Quattro, conseillère nationale (PLR/VD)
Avec cinq �lues d'autres partis, la conseill�re nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD) souhaite que la discrimination genr�e soit punissable (archives).
Jacqueline de Quattro.Keystone

Elle estime, cependant, elle aussi que ce qui est fait, est fait, et qu'il faut maintenir les contrats. Elle craint également une procédure judiciaire américaine. «Cela pourrait coûter très cher à la Suisse.» Fabien Fivaz, de son côté, maintient sa position:

«On veut un interlocuteur fiable. Aujourd'hui, les Etats-Unis ne le sont pas. Pour la Suisse, le risque financier est gigantesque»
Fabien Fivaz, conseiller national (Verts/NE)

Pour Jean-Luc Addor, la présence de Trump ne change absolument rien aux affaires. «Toute cette affaire est indépendante de l'administration Trump. Les présidents passent, mais les Etats restent», lance-t-il. La tendance «America first» du président américain ne le choque pas non plus, lui qui réclame une politique «La Suisse d'abord» — le même slogan dans une langue nationale, précise-t-il.

«Donald Trump nous rappelle que les relations entre Etats, ce sont des intérêts et des rapports de force. Nous ne sommes pas une grande puissance, mais nous avons quelques atouts»
Jean-Luc Addor, conseiller national (UDC/VS)

Un appareil «adapté à nos besoins»?

Donald Trump ou non, un avis défavorable envers le F-35 ne signifie pas pour autant un rejet du principe des avions de combat, tel que décidé par le peuple en 2020. Près de 60% des participants à notre sondage restent favorables à cette idée. Fabien Fivaz reconnaît que la Suisse doit disposer d'un avion de combat. «Les drones ne suffisent pas» lance-t-il, en réponse à une autre question de notre questionnaire. Mais:

«Il nous faut un appareil adapté à nos besoins et notre territoire, pour faire la police du ciel. Pas un avion de chasse furtif qui peut également faire bombardier nucléaire»
Fabien Fivaz, conseiller national (Verts/NE)

Un avis partagé par Jean-Luc Addor. Mais si la commande de F-35 venait tout de même à être annulée, que devrait-on faire? Pourrait-on envisager un avion européen? Le Valaisan, qui était pourtant plutôt favorable au Rafale français, pour raisons tant politiques que techniques, se veut sceptique: «Avec la guerre en Ukraine, le marché de l'armement a explosé en Europe. La France augmente la cadence pour produire des avions pour sa propre armée.»

«Même si on renonce au F-35, cela ne veut pas dire qu'on aurait rapidement des Rafales en nombre suffisant et au prix acceptable»
Jean-Luc Addor, conseiller national (UDC/VS)

On le comprend, la situation risque difficilement de pouvoir bouger à Berne, malgré les mécontentements. Pour le Valaisan, le grand problème relevé par notre sondage se trouve ailleurs et est plus profond: «La confiance qui devrait exister entre la population et son armée est abîmée. La restaurer, ce sera le défi du nouveau chef du DDPS, Martin Pfister.»

Le crash impressionnant d’un avion F-35 en Alaska
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
4 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
4
La crise chez les espions suisses peut fragiliser la sécurité du pays
Le service juridique constitue l’un des piliers centraux du Service de renseignement de la Confédération (SRC). Désormais, son poste de direction est vacant pour la deuxième fois en peu de temps. Parallèlement, les signes se multiplient indiquant que le directeur controversé du SRC, Christian Dussey, pourrait être remplacé sous peu.

Les résultats de la dernière enquête auprès du personnel? Catastrophiques. L’évaluation du travail par les cantons? Insuffisante. Le vaste processus de transformation? Inachevé. Le chef? Sur le départ.

L’article