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Affaire du F-35: «On ne voulait pas répondre à mes questions»

Le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU) avait déjà argumenté contre l'acquisition du F-35 dans son livre «Le choix du F-35: erreur grossière ou scandale d'Etat».
Le conseiller national jurassien est un critique du F-35 à Berne.keystone / montage

Affaire du F-35: «On ne voulait pas répondre à mes questions»

Les F-35 coûteront plus cher que prévu. Ce qui tombe comme un couperet ne surprend pas les détracteurs de l'avion américain. Parmi eux, le conseiller national Pierre-Alain Fridez, qui a écrit, en 2022, un livre détaillant les failles du projet d'acquisition. Avait-il vu juste avant tout le monde? Interview.
29.06.2025, 07:0229.06.2025, 07:02
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La saga du F-35 n'en finit pas de faire trembler la politique suisse. Dernier épisode en date: Martin Pfister a confirmé des surcoûts demandés par les Américains, malgré l'affirmation répétée du Département fédéral de la défense (DDPS) que les prix des contrats étaient fixes. Montant: de 750 millions à 1,35 milliard de francs.

Pfister et le DDPS sont empruntés. Les réactions n'ont pas tardé, Washington évoquant un «malentendu», un terme qui fait crisser des dents pour un contrat à six milliards de francs. Mais certaines critiques ne datent pas d'hier: le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU) est connu depuis des années au Parlement pour son regard critique sur l'avion de combat américain.

Il a même sorti un livre, en juillet 2022, nommé Le choix du F-35: erreur grossière ou scandale d'Etat? (Editions Favre). Un ouvrage au titre polémique, qui détaillait déjà plusieurs défauts dans le projet d'acquisition qui semblent aujourd'hui apparents. Le Jurassien était-il un prophète de mauvais augure ou a-t-il vu juste avant tout le monde? Voici ses réponses.

Le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU) avait déjà argumenté contre l'acquisition du F-35 dans son livre «Le choix du F-35: erreur grossière ou scandale d'Etat».
Pierre-Alain Fridez et son livre, en médaillon.keystone / dr

Martin Pfister a annoncé des surcoûts allant jusqu'à 1,35 milliard pour les F-35. Qu'en pensez-vous?
Ce n'est pas une surprise. Il est connu que les Américains utilisent des Letters of offer and acceptance (Lettres d'offre et d'approbation, LOA) dans lesquels il n'y a pas de prix fixe, mais juste indicatif.

«C'est la règle aux Etats-Unis»

Ce qui est surprenant, c'est le discours du Conseil fédéral et de la droite, qui se bornent à penser que la Suisse a tout fait juste et que les Américains n'ont pas respecté les contrats. Certains utilisent d'ailleurs Donald Trump comme une excuse, mais c'est complètement faux aussi, puisque les autorités américaines nous ont déjà avertis l'année dernière d'une augmentation des prix, sous l'administration Biden.

Dans votre livre, sorti il y a trois ans, vous évoquiez déjà d'importants dépassements. Un chapitre s'appelle même Il n'y a pas de prix garanti. Comment étiez-vous arrivé à cette conclusion?
La gestion de la production aux Etats-Unis, tout d'abord. On fait commerce avec le gouvernement américain, qui achète le F-35 aux constructeurs — Lockheed Martin pour l'avion et Pratt & Whitney pour le moteur — et les revend au même prix à des pays étrangers. Les avions sont produits en série, par «lots».

«Le prix négocié peut changer d'un lot à l'autre, en fonction des coûts de production»

C'est le cas avec l'augmentation du prix des matières premières et l'inflation. C'était attendu, car la courbe de cette dernière ne cesse de monter aux Etats-Unis. En 2022, on s'est rendu compte que certains pays, comme la Norvège ou l'Allemagne, avaient dû payer plus cher, car les lots dans lesquels «leurs» avions avaient été construits avaient subi l'inflation. Il suffisait de lire la presse étrangère et de lire les rapports du Government accountability office, la Cour des comptes américaine, pour s'en rendre compte.

Un extrait du livre 👇🏻

Le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU) avait déjà argumenté contre l'acquisition du F-35 dans son livre «Le choix du F-35: erreur grossière ou scandale d'Etat».
En gras: «L'affirmation de "prix garantis" ou même d'"exonérer" la Suisse de certains coûts en cas de dépassements est en totale contradiction avec les pratiques américaines»dr

Et l'autre point?

«Toutes les estimations financières liées au F-35 ont été sous-évaluées à Berne»

Qu'il s'agisse du matériel lui-même, du prix du fuel, du salaire des pilotes, du nombre d'heures d'apprentissage ou encore des frais d'investissements dans les aérodromes pour les hangars high-tech sécurisés que requièrent les Américains. Il y en a déjà ici pour des centaines de millions. On a même déjà dû rembourser des développements antérieurs aux Etats-Unis. On ne parle pas même des frais d'entretien qui vont suivre une fois qu'on les aura reçus. On appelle ça des «coûts prohibitifs», mais ils n'ont pas été pris en compte comme ils auraient dû, sur la base des coûts réels recensés chez les autres utilisateurs de cet avion. Il était devenu évident que les prix avancés par le Département fédéral de la défense et des sports (DDPS) et son office de l'armement Armasuisse étaient artificiels et ne correspondaient pas à la réalité.

Alors, que diriez-vous: erreur grossière ou scandale d'Etat?
Eh bien, les deux! J'estime que les cadres d'Armasuisse responsables de la procédure d'acquisition du F-35 ne pouvaient pas ignorer que la LOA excluait un prix fixe. Le contrôle fédéral des finances (CDF), qui a pu étudier les contrats en détail, en est venu à cette conclusion. Mais comme le «prix canon» figurant dans la LOA permettait d'acheter un bon nombre d'avions pour l'enveloppe de six milliards, ils n'avaient pas intérêt à le reconnaître.

«Un prix beaucoup plus élevé aurait été difficile à défendre»

Ce n'était pas le dossier de prédilection de Viola Amherd, qui leur a fait confiance, sans se poser de questions. Rendez-vous compte: elle a assuré sur la SRF qu'en cas de surcoûts, ce sont les Américains qui allaient payer les coûts supplémentaires. C'est à se bidonner. Ils ont eu de la chance, car la signature des contrats avec Washington, en septembre 2022, a lieu quelques mois après l'invasion russe de l'Ukraine, à un moment où il était quasi-impossible de se montrer critique en matière d'armement à Berne. Mais désormais, la poussière est retombée et on voit que ce qu'on craignait se réalise.

Dans votre livre, vous estimez que c’est «une équipe très restreinte» de cadres «influents et placés à des postes-clé» d’Armasuisse qui ont décidé l’acquisition de cet avion, avec l’appui inconditionnel de Viola Amherd et du chef de l’armée. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion?
La procédure d'évaluation de l'avion a été d'une opacité complète et toutes les informations liées à la procédure d'acquisition ont été verrouillées. C'est signé «secret défense» et les commissions de sécurité du Parlement n'y ont pas eu accès.

«Mais j'ai reçu plusieurs indications qui venaient de l'intérieur»

Plusieurs personnes m'ont contacté pour me dire que certains haut responsables d'Armasuisse voulaient absolument le F-35 et ont aménagé les critères des tests et la pondération des «points» pour le faire gagner. On a notamment jugé les avions sur des scénarios fictifs de bombardements furtifs en République tchèque ou en Autriche, que seuls le F-35 pouvait réussir — et qui est, d'ailleurs, très éloigné des missions de police du ciel qu'un Rafale aurait bien pu remplir, pour moins cher. Je connais les noms de certains de ces cadres, mais j'ai renoncé à les citer, à la demande de mon éditeur. Tout ce que je peux dire, c'est qu'une partie d'entre eux ont quitté leurs fonctions depuis.

Pourquoi avez-vous voulu mener de telles recherches?Je suis parlementaire, membre de la commission de politique de sécurité, il est légitime que je veuille faire la lumière sur ce dossier.

«Mais on ne voulait pas répondre à mes questions»

Un document m'a particulièrement surpris: en juin 2021, deux jours avant que le Conseil fédéral se décide pour le F-35, l'Office fédéral de la justice lui a dressé un avis de droit, enjoignant de choisir cet avion. Cet avis expliquait que la marge financière, de deux milliards, était telle par rapport à ses concurrents, que ce choix s'imposait. Hors, cette somme correspondait aux économies faites par une réduction de 20% des heures de vol, qui avait été décidée par le DDPS un mois auparavant. L'avis de droit excluait la possibilité d'une équivalence avec les autres avions, tout comme de prendre en compte des critères de politique extérieure et de fiscalité, même s'il indiquait en conclusion qu'«aucun avantage ne doit être accordé aux soumissionnaires dans le cadre de la procédure».

«C'est comme si on avait voulu favoriser un avion précis et utilisé l'Office fédéral de la justice pour faire pression sur le Conseil fédéral»

Certains vous reprochent vos critiques, voire vous accusent de tomber dans le complotisme. Que leur répondez-vous?
Que je suis prêt à en discuter avec quiconque, sur n'importe quel plateau de télévision ou émission de radio! Qu'on se comprenne: je ne prétends pas que les cadres d'Armasuisse ont voulu s'enrichir personnellement. Mais je crois qu'ils ont voulu cet avion envers et contre toutes données logiques, car ils sont fascinés par les Etats-Unis, ce côté Top Gun, cet avion du futur, etc.

Qui doit assumer la responsabilité de cette affaire?
Pour commencer, il faut crever l'abcès et sortir du déni. Le rapport d'audit du contrôle fédéral des finances, qui constate les mêmes problèmes que moi et n'a pas eu de réponse, ce qui est aberrant.

«Ne faire porter aucune conséquence politique à un document de l'organe suprême de surveillance financière de la Confédération, c'est inacceptable»

Pourrait-on envisager une commission d'enquête parlementaire (CEP)?
C'est une idée que je soutiendrais, mais je ne pense pas que ce serait le cas de la majorité de droite du Parlement. J'avais proposé une sous-commission, dans celle de la sécurité du Conseil national, où on discuterait des évolutions de cette question au regard de l'actualité, et je n'ai pas été soutenu.

«Car les problèmes vont continuer à s'enchaîner»

Après ce surcoût, ce seront les frais d'exploitation qui vont faire parler d'eux. Il faut se mettre au clair pour prévoir la suite avec les Américains. A ce sujet, est-ce que je vous ai dit qu'ils vont nous livrer les avions avec des moteurs défectueux qu'il faudra changer juste après leur livraison, et à nos frais? Bon, ce sera pour une autre fois...

F-35: suite d'erreurs ou scandale?
Au total, 196 personnes ont participé à ce sondage.
Le crash impressionnant d’un avion F-35 en Alaska
Video: watson
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