Les polémiques, comme les malheurs, ne viennent jamais seuls. Ce 1er Août, l'opinion publique se remettait du coup d'éclat des Jeunes UDC sur les drapeaux LGBT à Berne, la semaine dernière. Alors que vous discutiez avec des amis autour d'une schubling ou d'une saucisse vegan en scrollant sur Instagram, vous avez peut-être vu passer cette nouvelle provocation — et pas des moindres — visant le drapeau suisse, qui a enflammé la toile comme une traînée de poudre.
Mathilde Mottet, militante des jeunes socialistes, pose avec un doigt d'honneur bien évident devant le drapeau suisse, le jour de la fête nationale.
Son action est accompagnée d'un long texte dénonçant pêle-mêle une Suisse «basée sur l'exclusion des personnes» qui «finance des tabassages aux frontières de l'Europe» ou encore «fiche et arrête les militants du climat», etc.
Il ne s'agit d'ailleurs pas de n'importe quelle membre, puisque Mathilde Mottet était vice-secrétaire centrale au sein du comité de la Jeunesse socialiste jusqu'au 1ᵉʳ juillet dernier et siège au comité directeur des Femmes socialistes suisses. Interrogée par Blick mardi, elle persiste et signe:
Elle y déroule également ses idées:
Son message n'aura pas manqué de faire réagir. Son compatriote valaisan, le conseiller national UDC Jean-Luc Addor a écrit sur Instagram: «Il a ceux qui aiment la Suisse, et il y a ceux qui ne l'aiment pas. Vous avez le choix cet automne», a-t-il partagé en taguant divers comptes associés à l'UDC et au PS.
Mathilde Mottet a réagi en écrivant: «J'ai énervé les fachos». Le politicien n'est pourtant pas le seul à avoir être agacé ou blessé par son doigt d'honneur. De nombreux commentaires ont fleuri et la principale intéressée assure même qu'elle va déposer plusieurs plaintes pénales pour injures et menaces.
Ces deux polémiques très chaudes en suivent d'ailleurs d'autres, plus locales. L'une, à Genève, concernait une affiche du 1er Août, qu'il fallait scruter des yeux attentivement pour y voir un drapeau national. Et dans le canton de Lucerne, des activistes de gauche sont allés détourner un drapeau géant à flanc de falaise avec une banderole où était écrit «les frontières tuent».
Alors, que se passe-t-il avec le drapeau suisse? Pour tenter d'y voir plus clair, nous avons passé un coup de fil au politologue René Knüsel, professeur honoraire à l'Unil.
Pourquoi autant de tensions autour du drapeau suisse?
René Knüsel: Il y a des polémiques sur la fête nationale qui ressortent régulièrement. Mais concernant le drapeau, c'est particulièrement fort cette année. C'est le symbole autour duquel on se réfère et qui mobilise. Ce n'est pourtant pas le seul: l'hymne national, les feux sur les communes, le feu d'artifice. Ce qui est intéressant, c'est le moment choisi pour cette polémique: la Suisse célèbre sa fête nationale et on y fait valoir un certain nombre de symboles. C'est un élément solennel clé. En Suisse, le respect du drapeau n'est pas codifié dans la loi, mais cela existe dans d'autres pays et peut vous entraîner en prison.
Que pensez-vous de cette volonté d'insulter le drapeau sans ambages?
Ça me paraît une manière d'occuper le terrain médiatique et politique. Le mythe national est un enjeu politique extrêmement sérieux, et selon les époques et les années, est passé de la gauche à la droite. C'est une manière de prendre parti et de se distancier de ses opposants politiques. L'UDC s'est manifestée à Berne la semaine dernière et cela a entraîné des réactions. On pouvait pourtant s'attendre à ce que l'autre bord se mobilise.
Que pensez-vous de l'action des Jeunes UDC à Berne?
L'UDC s'est instaurée comme la gardienne de ce genre de symboles. La ville de Berne, en légitimant d'autres types de drapeaux sur la base de l'évolution des mentalités, a subi la contestation des Jeunes UDC, dont le respect et la défense du drapeau lui permettent de mettre en avant cette «vraie» légitimité.
Et voici la «réponse» des Jeunes socialistes, d'une certaine manière. C'est de bonne guerre politique, mais je pense que la polémique va s'éteindre.
La base des partis de gauche semble pourtant se désintéresser des drapeaux nationaux et les conservateurs n'apprécient pas forcément les étendards LGBT. Assiste-t-on à un genre de «guerre froide des drapeaux»?
On essaie de s'emparer des symboles. C'est un moyen utilisé pour le combat politique. Les adversaires politiques vont choisir des drapeaux qui vont faire réagir l'autre bord, dans le but de choquer. Les mouvements plus conservateurs se ralliant autour du drapeau national permettent de mettre en avant la tradition et les valeurs du passé.
Historiquement, quelle est l'importance du drapeau?
Il y a des mouvements contradictoires. Le drapeau suisse, dont la création date du 19e siècle avec l'Etat fédéral, a longtemps été réservé à une forme officielle. On l'affichait lors de discours, etc. Son utilisation pour la fête populaire du 1ᵉʳ Août s'est développée avec le temps. Il ne faut pas oublier que ce jour n'est férié que depuis 1994. Un autre phénomène a pris en importance depuis les années 1980, en parallèle, c'est celle du sport, notamment en football. Les gens affichent leur préférence et leur identité, leur différence, à coup de drapeaux nationaux et du fait national.