Une affaire juridique qui explore les tenants du vocabulaire politique a fait parler d'elle en Suisse alémanique, ces derniers jours. Le conseiller national Andreas Glarner (UDC/AG) est-il un extrémiste ou plutôt: peut-on le traiter d'extrémiste de droite, voire de «zinzin d'extrême droite»?
A l'origine des troubles: un message publié sur Twitter en décembre 2022, faisant écho à une intervention de Glarner dans un article de l'Aargauer Zeitung (AZ), un journal de CH Media (qui édite également watson). Son auteur, le journaliste Hansi Voigt, se désolait du fait que le média ait donné la parole à Glarner. Voici le tweet traduit:
Le tweet a été supprimé, mais des captures d'écran prouvent son existence. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Andreas Glarner n'a que peu apprécié le terme «zinzin d'extrême droite» — en allemand dans le texte: «Rechtsextremer Gaga».
Andreas Glarner est connu outre-Sarine pour ses excès en tout genre. Cet hardliner de l'UDC, très critique sur les sujets migratoires, est à l'origine de nombreuses polémiques, pointant du doigt les noms d'origine étrangère dans les écoles alémaniques ou remettant en question la loyauté envers la Suisse de Sibel Arslan, parlementaire verte bâloise d'origine turque. Parmi d'autres.
De son côté, Hans-Jürgen Voigt, dit «Hansi», est le cofondateur de la version alémanique de watson (vous savez, ce site d'info avec du noir et du rose que vous lisez de temps à autres) et a aussi été rédacteur en chef de 20 Minuten à la fin des années 2000. Très actif en ligne, il est aussi à l'origine de la création du site Netzcourage, qui dénonce la «violence numérique».
Andreas Glarner décide donc de porter plainte contre le journaliste en février 2023. L'affaire est assez vite réglée: fin juin 2023, un procureur donne raison à Glarner via ordonnance pénale et estime que Voigt a attenté à son honneur avec les termes utilisés. Résultat: 9000 francs d'amende.
Mais Voigt ne compte pas en rester là et fait opposition à son amende. Le but de la démarche: expliquer que son message avait lieu dans le cadre de la liberté d'expression et n'était pas constitutif d'une atteinte à l'honneur.
Mais le procès du tribunal de district de Bremgarten, qui a eu lieu cette semaine, s'est vite transformé en lieu de débat sur la dénomination ou non d'«extrême-droite» en politique, relatent le Tages-Anzeiger et nos confrères de l'«AZ».
Hansi Voigt estime que si l'Union démocratique du centre en tant que telle n'est pas d'extrême droite, c'est bien le cas d'Andreas Glarner. L'agitation autour du personnage le justifient, a-t-il expliqué en présentant une liste d'exemple de polémiques qui ont eu lieu ces dernières années. Il argumente en outre qu'on peut traiter quelqu'un d'extrémiste sans attenter à son honneur.
Si Glarner admet volontiers être parmi les «plus à droite» du Parlement, il refuse d'être considéré comme un extrémiste. Il estime que le paysage politique national s'est considérablement déplacé vers la gauche ces dernières années. De plus, pour le parlementaire, l'expression «extrémiste de droite» doit se cantonner aux néo-nazis et aux militants qui utilisent la violence.
L'Argovien estime qu'il ne peut être qualifié comme tel, car il agit à l'intérieur des règles du débat démocratique. Hansi Voigt lui répond qu'il le considère comme un «extrémiste de droite», mais pas un «nazi». Et son avocat de compléter (dans un style que n'aurait pas renié OSS 117):
Le juge rend son verdict: le tweet de Hansi Voigt ne contient pas d'élément pénalement répréhensible. L'atteinte à l'honneur n'est reçue que si elle a lieu «sur le caractère humain de la personne», ce qui n'est pas le cas. Pour le juge, le tweet de Voigt n'a fait que donner son avis sur la place d’Andreas Glarner sur l'axe gauche-droite.
Pour Lukas Trost, l'«atteinte à l'honneur», d'habitude utilisée pour des faits particulièrement graves, ne peut être prise en compte dans ce qui ressort du débat politique, en précisant que dans celui-ci, les «exagérations sont socialement acceptées». L'affaire pourrait toutefois parfaitement être jugée au civil.
De plus, l'utilisation du terme «extrémiste» n'est «pas homogène» et décrit l'emplacement de Glarner sur le spectre politique et non un caractère criminel ou répréhensible. Il juge en outre que la fonction de journaliste de Voigt lui permet bel et bien de commenter la vie politique. Il est même «appelé à le faire». En ce sens, son message était «de bonne foi».
Andreas Glarner, de son côté, estime que l'insulte est un outil utilisé par la gauche pour faire taire ses rivaux politiques. Il annonce qu'il fera recours au tribunal cantonal argovien, tout en dénonçant dans son élan un «juge de gauche».