«Comment on fait pour aller à la Vaudoise Arena? Il se passe quoi ici, pourquoi vous bloquez la route?» «Moi je dois aller à la Migros, mais ils ne veulent pas me laisser traverser...»
Ce lundi matin, trois jours après l'effondrement d'un échafaudage, à Prilly-Malley, l'ambiance est particulière. Je me poste près du rond-point entre Aldi et Malley Lumières. Les conducteurs s'invectivent, sans comprendre pourquoi l'accès en direction de la patinoire est fermé. Et sans voir non plus, à la hauteur de leurs jantes, le mémorial improvisé.
Dans ce quartier où on ne compte plus les chantiers, les sens interdits, les déviations, tout le monde n'a pas l'air de comprendre ce qu'il se passe. Ce qu'il s'est passé vendredi, lorsqu'un échafaudage s'est effondré, causant la mort d'au moins trois personnes.
Un Securitas et un responsable du parking filtrent les accès. «Vous ne me touchez pas!», crie une femme à l'un des deux hommes, celui qui tente de l'empêcher de passer sous une rubalise rouge et blanche. Le ton monte, des insultes fusent des deux côtés. Quelques personnes s'écartent.
Alors que la femme s'en va, essuyant une larme de rage après cette altercation, un groupe de jeunes filles vient déposer des fleurs, au pied d'un poteau. De part et d'autres de celui-ci, des rubalises.
A la décharge des nombreux habitants du quartier qui tentent leur chance, l'interdiction de passer n'est pas très visible. D'ailleurs, les panneaux indiquant l'accès au centre commercial, durant les travaux, est toujours en place.
Je lui réponds, comme me l'a dit le Securitas un peu plus tôt, que tous les commerces du centre sont fermés «jusqu'à nouvel ordre».
Une femme qui se déplace avec des béquilles se mêle à la conversation. «La pharmacie aussi, je suppose...». Elle fait demi-tour, soupirant.
Un ouvrier portugais travaillant sur un autre chantier de la ville s'approche, il a une théorie et veut la partager. «A mon avis, s’ils n’ouvrent pas les commerces, c’est parce qu’ils ont peur que le reste de l’échafaudage s’effondre...» Une hypothèse contredite par la police vaudoise (lire encadré).
Du bout du doigt, il me montre une journaliste et un cameraman. «Ils travaillent pour une chaîne portugaise du style de CNN, ils vont partout faire des directs.»
Pense-t-il réellement que tout peut encore s'effondrer?
Des spéculations, mais aussi des rumeurs. Plusieurs voisins parlent entre eux d'ouvriers qui manqueraient à l'appel. «Non, la police a réussi à joindre tout le monde, j'ai entendu dire», assure notre professionnel de la construction. Mais il souligne une faille dans le système:
Antonio, un habitant du quartier, s'invite dans la conversation. «D'habitude, je vais tous les matins à Denner, dans le centre, et ensuite je m'arrête boire un café».
Ce voisin interpelle l'ouvrier portugais, demandant comment cet accident a pu se produire si les normes de sécurité sont si strictes. Des règles strictes, oui, mais «il y a aussi une pression folle sur les chantiers», explique notre ouvrier.
Il souligne toutefois que dans ce terrible malheur, vendredi dernier, certains ont eu de la chance. A une heure près, il aurait pu y avoir beaucoup plus de morts.
Alors que de nombreux habitants du quartier tentent toujours, en vain, d'accéder aux commerces du centre sans comprendre pourquoi la zone est bouclée dans un aussi grand périmètre, une femme dont le fils travaille lui aussi sur les chantiers vient tailler le bout de gras.
«Eh bien il ne faut pas», lui rétorque l'ouvrier portugais. Est-ce que la peur d'un tel accident fait partie du jeu? Il répond du tac au tac que non. «Si on a cette angoisse, il faut quitter le métier...» Et de préciser que chaque mois, la sécurité sur les chantiers est rappelée. «La Suva fait un bon travail», assure-t-il à Antonio et à la nouvelle venue.
Il nuance toutefois son propos en ce qui concerne les ouvriers qui ont assisté à la scène et vu mourir des collègues. «Il ne faut pas craindre un tel drame, mais si on assiste à une chose pareille, c'est différent. Psychologiquement, ça doit être terrible. Moi, si j'avais été là, j'aurais quitté le monde des chantiers. On ne devrait pas voir quelqu'un mourir», souffle-t-il. La femme au fils électricien surenchérit. «Il y a eu tellement de vidéos affreuses sur les réseaux sociaux, les gens ne devraient pas faire ça.
Ils évoquent la fausse alarme, ce lundi matin, lorsque les sirènes ont retenti dans les cantons de Vaud et du Valais. «J'ai cru que c'était pour nous prévenir qu'il y avait eu un nouvel effondrement dans le quartier!», dit-elle. «Je comprends, ça nous marque, un tel événement», acquiesce l'ouvrier. Il évoque encore le sort des personnes décédées, dont un Portugais.