Dans les lignes qui suivent, nous allons vous présenter une arnaque simple, mais redoutablement efficace. Un acheteur commande des chaussures de marque sur une plateforme en ligne, par exemple Zalando, la reçoit, puis décide de la renvoyer. Mais, au lieu de réexpédier la paire originale, valant souvent plusieurs centaines de francs, il glisse dans le carton un modèle contrefait coûtant moins de 20 francs.
Selon nos sources, les plateformes ne détectent pas toujours ce tour de passe-passe. La méthode serait même bien connue des revendeurs de chaussures. Et pour cause: la fausse paire risque fort d'être ensuite revendue sur le circuit légal et d'atterrir à vos pieds sans que vous vous en rendiez compte.
Pour en avoir le cœur net, nous avons décidé de faire le test. Nous nous sommes procuré une paire contrefaite d'Air Force 1 (blanche), qualifiée de très mauvaise qualité par des experts et coûtant une douzaine de francs. Puis, nous avons commandé sur Zalando la même paire, d'une valeur de 145 francs. Une fois le colis reçu, nous avons échangé les vraies chaussures contre les fausses et nous avons renvoyé le tout à Zalando.
Et notre subterfuge a fonctionné sans problème: le retour a été validé. Prévenu, Zalando assure que son équipe a mené «une enquête approfondie sur cette affaire». Et la firme poursuit:
Le problème? Le marché de la contrefaçon s'est particulièrement modernisé ces dernières années. Si bien que les spécialistes confessent:
Guillaume «Toto» Morand, le pape vaudois de la basket et patron du magasin Pomp It Up à Lausanne confirme qu'il est de plus en plus dur d'identifier les contrefaçons: «Il y a deux ans, j'étais à Porte de Clignancourt à Paris, il y avait des dizaines d'enseignes qui vendaient de fausses Nike à 30 euros. Et croyez-moi, il était difficile de faire la différence». Et de s'interroger:
Car, face à ce fléau, les vérificateurs des grandes plateformes ont très peu de temps pour authentifier les chaussures. Une trentaine de secondes en moyenne, voire moins. «Ils regardent l'étiquette et sous la semelle, avant de la sentir un coup», souffle un revendeur.
De son côté, l'un des revendeurs interrogés, sous couvert d'anonymat, nous confie des mésaventures rencontrées sur d'autres plateformes bien connues du grand public:
Des expériences corroborées par une autre source: «On a fait un test avec Foot Locker, en passant une fausse paire d'Air Force à 12 francs. On a réussi.» Nous avons contacté Foot Locker, mais la filiale n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Le (petit) milieu de la sneakers est conscient de ce marché gris, mais préfère se taire. Un initié, d'ailleurs, n'hésite pas à se moquer de notre lenteur: «Vous en avez mis du temps, les journalistes». Et de poursuivre:
Selon la demi-douzaine d'experts contactés, «Zalando et d'autres grandes plateformes» sont faciles à gruger. A cette accusation, Zalando assure prendre des précautions pour ne pas connaître de tels problèmes. «Nous vérifions et trions soigneusement tous les articles retournés en utilisant une procédure standard.»
Zalando concède tout de même que quelques soucis sont apparus avec des clients en Suisse:
La plateforme allemande a même sévi, en bloquant des comptes de clients aux retours trop fréquents. Mais le problème principal subsiste: le nombre élevé de retours. «Chez Zalando, ils ont environ 60% de retours. La cadence est difficile à suivre», pointe une source.
De l'avis de tous nos interlocuteurs, ces plateformes sont également victimes d'une autre tendance, celle du marketplace où les magasins établis permettent à d'autres acteurs de venir revendre leurs produits sur leur site. Un «business des intermédiaires» qui dérange. Plusieurs sources déplorent:
En effet, sur certains sites renommés, les revendeurs seraient acceptés par le biais d'un simple extrait du registre du commerce. Et la marchandise proposée ne serait contrôlée à aucun moment, selon un autre informateur.
Galaxus assure qu'aucune plainte n'a été enregistrée: «Nous n'avons pas connaissance de tels cas de fraude jusqu'à présent. Chez Galaxus, tous les retours sont soigneusement vérifiés manuellement».
De son côté, Manor, qui nous répond par l'intermédiaire de sa porte-parole, se montre catégorique:
Le magasin assure, par ailleurs, «effectuer régulièrement des commandes tests aléatoires» pour vérifier l'authenticité des produits.
Car les grandes plateformes commencent à se rebiffer face à la menace des contrefaçons. Récemment, Amazon a annoncé s’appuyer de plus en plus sur l’intelligence artificielle pour lutter contre les faussaires. Zalando et les autres vont-ils aussi s'y mettre? En attendant, vous feriez bien de vérifier les chaussures que vous achetez.