Pour une fois, la Suisse s'affirme: «Ce procédé est inacceptable et nous allons le faire savoir sans équivoque à l'ambassadeur russe», a écrit jeudi le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) sur Twitter. L'élément déclencheur de ces propos virulents? Une prise de position qui fait la Une des journaux depuis mercredi. L'ambassadeur russe y menace le journaliste de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) Ivo Mijnssen d'arrestation s'il se rend en Russie.
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L'«apologie publique du terrorisme et de la propagande terroriste» est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq à sept ans, prévient l'ambassade russe à l'attention du correspondant en Europe de l'Est. Un article paru seulement deux semaines auparavant a mis les représentants russes en colère. Ivo Mijnssen y évoque en effet la résistance ukrainienne dans la région de Zaporijjia, occupée par les Russes.
L'ambassade russe reproche au journaliste d'essayer de «donner au lectorat l'impression que tout le monde ou presque dans la ville déteste la Russie». Ivo Mijnssen reprendrait «les inventions et les rumeurs les plus ridicules» propagées par «le régime de Kiev et ses sbires». Ce n'est pas la première fois que les diplomates russes s'en prennent à des journalistes suisses. Ils avaient déjà nourri des doutes sur la santé mentale du correspondant de la NZZ à Bruxelles.
Les observateurs sont cependant unanimes: avec la menace explicite d'emprisonnement, le statut de la Russie en Suisse a pris une nouvelle dimension. Les collaborateurs du DFAE parlent d'un «comportement inconvenant» et d'un «no-go absolu». Ce n'est donc pas un hasard si la Suisse proteste publiquement sur les réseaux sociaux.
Jeudi, le DFAE en a rajouté une couche en convoquant l'ambassadeur russe en Suisse. Le département fédéral lui a fait savoir «que les propos tenus [étaient] inacceptables et que ce type d'intimidation des journalistes ne [serait] pas toléré».
Ce sont des paroles très claires. La plupart du temps, les conflits diplomatiques sont abordés à huis clos, loin des projecteurs. Le contenu des discussions confidentielles n'est que rarement rendu public.
Mais il y a peu de chance que la prise de position de la Suisse soit suivie d'action. La Convention de Vienne à propos des relations diplomatiques rend les diplomates pratiquement intouchables. Ils bénéficient de l'immunité et ne peuvent pas être poursuivis pénalement dans le pays d'accueil. Ils peuvent même ignorer les amendes de stationnement.
Malgré tout, la Suisse a des moyens d'agir. Elle pourrait, par exemple, expulser l'ambassadeur russe Sergei Garmonin. Il serait ainsi déclaré «persona non grata», soit personne indésirable. Et la Suisse n'aurait même pas à donner de raison pour justifier sa décision. Car en théorie, elle peut, à tout moment, faire savoir à la Russie que le chef de mission ou un autre collaborateur de l'ambassade ne convient pas.
Une telle décision serait «un signal politique fort» et ne serait en principe pas communiquée publiquement. Il est néanmoins peu probable que cela se produise, surtout dans le contexte de la guerre en Ukraine. La Suisse est également réticente à recourir à de tels procédés compte tenu de sa longue tradition de bons offices.
En 2012, le DFAE avait pourtant expulsé une ambassadrice syrienne, en réaction au massacre de Houla par les troupes du dirigeant syrien Bachar el-Assad, qui avait fait plus de 100 morts.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder