Johannes Varwick est professeur de relations internationales à Halle depuis 2013. En février, il a été l'un des premiers à signer le Manifeste pour la paix entre la Russie et l'Ukraine initié par Alice Schwarzer et Sahra Wagenknecht. Un peu plus tard, l'homme de 55 ans a retiré sa signature en raison d'une controverse: s'il partage les idées explicitées dans le Manifeste, il a souhaité prendre ses distances avec une partie des autres signataires dont certains sont issus de sphères complotistes. Une association dont il dit faire encore les frais aujourd'hui.
Johannes Varwick, le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a récemment déclaré que l'Ukraine devrait peut-être entamer des négociations. Quel est votre point de vue à ce sujet?
Johannes Varwick: Je ne veux pas avoir l'air d'être plus malin que les autres, mais pour tout vous dire, je m'y attendais.
Aujourd'hui, de plus en plus de voix sont de cet avis.
Le gel du conflit, qui reporte la décision sur les territoires occupés par les Russes à une date ultérieure, est-ce donc le meilleur que nous puissions espérer?
L'idée qu'il pourrait y avoir une solution apportant une stabilité durable s'éloigne chaque jour un peu plus. Cela aurait peut-être été possible dans les premiers mois de la guerre, mais chaque jour de conflit armé augmente un peu plus l'escalade. La possibilité d'une solution a fini par s'estomper. Il faut entamer les négociations sans plus attendre.
Les partisans de nouvelles livraisons d'armes disent que l'Ukraine doit d'abord se créer une meilleure position de négociation. Est-ce irréaliste, de votre point de vue?
En temps de guerre, rien n'est impossible. Mais tester si des armes plus massives permettent d'obtenir une meilleure position de négociation pour l'Ukraine me semble être une stratégie bien cynique de la part de l'Occident. Personnellement, je souhaite aussi que l'Ukraine puisse négocier dans les meilleures conditions possibles, mais je ne pense pas qu'il soit envisageable d'arriver à une telle situation depuis le champ de bataille.
Certains craignent même une guerre nucléaire. Qu'en pensez-vous?
Une guerre nucléaire est peu probable, mais elle n'est pas non plus exclue. Dans sa politique nucléaire, la Russie indique clairement les conditions dans lesquelles elle y aurait recours. L'une d'elles est qu'il y ait une menace existentielle pour la Russie. Pour le Kremlin, une défaite en Ukraine remplirait les conditions.
Ceux qui craignent la guerre nucléaire se font avoir par Poutine?
Non. La logique de dissuasion fonctionne probablement, mais il se peut aussi qu'elle ne fonctionne pas. Une politique responsable doit en tenir compte.
La livraison d'armes à l'Ukraine doit servir quels objectifs?
Cette question est cruciale. Toute logique militaire a besoin d'un objectif politique. Or, pour l'instant, il me semble qu'aucun objectif réalisable n'est lié aux livraisons d'armes. Je suis favorable à ce que l'Ukraine puisse se défendre. Je n'ai rien contre la livraison de missiles antiaériens, de chars Guépard ou de blindés. Mais c'est un jeu dangereux, car l'idée que l'Ukraine puisse vaincre la Russie est surréaliste.
L'objectif devrait donc être que l'Ukraine puisse maintenir sa position actuelle?
De nombreux experts font semblant de savoir ce que veut la Russie. Mais c'est faux, nous n'en avons aucune idée.
Quel serait le prix?
Les sanctions nuisent déjà énormément à l'économie russe. Un gel du conflit ne signifierait pas que la Russie aurait gagné, et c'est ce que nous devrions mettre en avant dans le débat international. Mais nous devrions également essayer de distinguer les intérêts légitimes de la Russie en matière de sécurité. L'un d'eux réside dans le fait qu'aucune alliance adverse ne s'étende jusqu'à sa frontière. L'Ukraine a toujours été un cas particulier dans la lecture de la Russie.
Si l'Ukraine était membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan), la guerre n'aurait probablement jamais eu lieu.
Les avis divergent à ce sujet. Il y aurait peut-être eu une guerre avant même que l'adhésion à l'Otan ne soit actée. La volonté de partir en guerre pour l'Ukraine avant même son adhésion n'a jamais été envisagée en Occident. C'est ainsi qu'est née une zone d'ombre géopolitique, et ce n'est jamais bon.
Votre position ne revient-elle pas à dire que la Russie et l'Occident décident pour le compte des Ukrainiens?
Je suis pour plus d'honnêteté. Nous avons d'autres intérêts que l'Ukraine. Nous devrions les défendre. Il n'y a pas de cas où nous disons qu'un Etat X doit faire valoir ses intérêts à 100% en soutenant tout ce que fait cet Etat. Pourquoi en serait-il autrement dans le cas de l'Ukraine? Il faut aider le pays, c'est juste, mais nous nuançons déjà notre soutien, par exemple, en excluant l'envoi de nos propres soldats.
Même une Ukraine neutre, comme celle que vous avez en tête, aurait besoin de garanties de sécurité occidentales, sinon les Ukrainiens n'entameraient jamais de négociations.
Bien entendu. Une Ukraine neutre ne serait pas une Ukraine sans protection ou démilitarisée, mais un pays qui se tiendrait en dehors des alliances occidentales. Mais une telle solution est de moins en moins envisageable.
Il faut donc une pression de l'extérieur. L'Ukraine dépend du soutien de l'Occident. Si ce dernier le veut, elle devra se résoudre à adopter des positions qui pourraient ne pas lui plaire. Mais l'idée que l'Ukraine puisse décider seule ne fait pas partie des possibilités.
Peut-on encore négocier avec Poutine après tout ce qui s'est passé?
Poutine s'est discrédité en tant que partenaire digne de confiance, mais je pense que l'accusation devant la Cour pénale internationale est une erreur. Il deviendrait difficile de négocier avec un criminel de guerre inculpé. Ce serait bien d'avoir un partenaire de négociation plus respectueux, mais nous devons nous contenter de ce qu'on a à disposition.
Lorsqu'on observe le débat allemand sur la guerre, on est frappé par le fait que certains vous accusent d'être de mèche avec Poutine.
Je suis déjà surpris de voir à quel point les gens sont peu disposés à discuter d'autres points de vue et à quelle vitesse ils se formalisent. Cela me chagrine, car une démocratie repose sur l'ouverture du débat.
Mais vous n'êtes pas exclu du débat. Vous passez régulièrement à la télévision.
Oui. Mais on me donne le rôle de l'outsider que tout le monde critique. Cela ne me dérange pas, mais ce n'est pas bon pour notre culture du débat. Je n'ai jamais vu de talk-show où il y avait deux contre deux, c'était toujours trois ou quatre contre un.
Sinon, on risque de vous associer à des alliés que vous préféreriez ne pas avoir.
Les éloges de l'autre camp me posent également problème, mais j'ai pris l'habitude d'analyser les choses de manière indépendante et de ne pas tenir compte des réactions. C'est le rôle d'un scientifique.
Vous avez signé le manifeste d'Alice Schwarzer et de Sahra Wagenknecht, puis vous avez ensuite retiré votre signature. Pourquoi?
Avec le recul, c'était une erreur. Mais dans les questions de guerre et de paix, on devrait pouvoir s'autoriser un peu de conflit intérieur, aussi. J'ai mal évalué la visée de Sahra Wagenknecht avec cette initiative. J'ai rectifié le tir. Il n'y a rien d'autre à dire à ce sujet.
Arrive-t-il que des collègues se détournent de vous?
Dans beaucoup de mes réseaux établis dans des partis, des fondations ou des think tanks, on ne m'invite plus. Je ne m'en plains pas, je le constate simplement. Je peux me permettre d'avoir une opinion divergente, car j'ai un emploi à durée indéterminée. Mais lorsque des collègues qui se trouvent dans une phase plus critique de leur carrière se font ramasser, ils se taisent.
Est-il plus facile d'avoir des opinions divergentes dans d'autres pays?
En Allemagne, cette intolérance est certainement plus marquée. Aux Etats-Unis, on débat durement sur le fond, mais on soigne le ton, même si cela n'a pas conduit à ce que la politique des Etats-Unis soit différente.
(aargauerzeitung.ch)