Aaaah la fantastique quête de la normalité! Quand notre président de la Confédération Guy Parmelin tentait par exemple d’expliquer les timides assouplissements du mois d'avril, il voulait avant tout rester positif en nous faisant nous concentrer sur quelque chose de rassurant et qu'on attend tous (ou presque) avec une certaine impatience:
Détail qui a son importance: Guy Parmelin, ce jour-là, a été incapable de prononcer ce terme sans le faire précéder d'un adjectif qui dégonfle totalement son effet d'annonce. Une «certaine» normalité, comme une «espèce» de retour à la normale. Non seulement il n'est pas le seul à jongler maladroitement avec cette expression un peu fourre-tout, mais la normalité, telle qu'on la fantasme aujourd'hui, n'existe pas vraiment. C'est en tout cas l'avis de Stéphanie Pahud, linguiste à l'Université de Lausanne.
En faisant le tour des réseaux, on en voit de toutes les couleurs de cette normalité. Et principalement au moment de tutoyer les premières terrasses. En vrac? «Un peu de normalité», «un brin de normalité», «une forme de normalité», «vraie normalité», «fausse normalité». Encore plus radical: la «NORMALITÉ» entre guillemets. Si bien que...
C'est la normalité le vrai casse tête maintenant 😑😑 https://t.co/iFTELu8dZx
— Festé ⭐⭐ (@Steco94) May 13, 2021
Quand on déguste enfin un petit café en terrasse, ne serait-on pas en train de confondre normalité avec liberté? «Tout le monde a été bousculé dans sa vie quotidienne pendant la pandémie. La normalité à laquelle la population aspire fait d'abord référence à une routine, un confort personnel qu'il faudrait absolument retrouver», explique Stéphanie Pahud, auteure de l'essai «LANORMALITÉ» (l'Age d'Homme) en 2016.
D’autant que cette normalité fantasmée aujourd'hui en foulant à nouveau les salles de spectacle ou les terrasses risque d'être d'abord une grande déception puisqu'elle est encore totalement brimée. Un spectacle? Oui. Mais avec un masque et à jauge contenue. Un lunch? Oui, mais à quatre, et dehors. Aux jouisseurs de composer au mieux avec la frustration qui en découle. Une normalité qui veut dire «bah, c’est mieux que rien».
En politique, c'est évidemment aussi la foire à la normalité. Mais l'utilisation du terme poursuit un objectif radicalement différent de celle du citoyen lambda qui rêve d'une vie sociale retrouvée. Est-ce qu'on se souvient encore de la «(nouvelle) normalité» d'Alain Berset il y a pile une année? Celle qui précédait un retour au semi-confinement à la rentrée alors que la pandémie se renforçait une énième fois?
Lundi, nous amorçons la 2e étape du retour à la (nouvelle) normalité. Beaucoup de choses sont de nouveau possible: aller dans les magasins, au restaurant, faire du sport en groupe. On peut s’en réjouir, mais sans euphorie. Restons prudents pour éviter une 2e vague. #CoronaInfoCH pic.twitter.com/aAYpMMvMhl
— Alain Berset (@alain_berset) May 9, 2020
En France, c'est peu ou prou le même jeu de dupes qui se joue en ce moment. Avec également une idée de «nouvelle normalité», notamment empoignée par Florian Philippot, le président du mouvement Les Patriotes, lorsqu'il décide de contrer le Premier ministre français et ses multiples assouplissements:
L’usine à gaz des réouvertures présentée par Castex 1 an pile après le 1er déconfinement n’est en rien rassurante : à la fin, on se retrouve dans une société des distanciations, du masque, du Pass avec possibilité à tout moment de refermer.
— Florian Philippot (@f_philippot) May 10, 2021
La nouvelle normalité sûrement !
Alors qu'en Suisse, de plus en plus de politiciens refusent sèchement cette idée de normalité, surtout quand elle est vendue par le camp adverse, en pointant notamment du doigt les dommages collatéraux qu'elle trimballe:
Justifier de ses données médicales pour boire une bière, voir un match ou un spectacle n'est pas le retour à la normalité! https://t.co/glIjXHVfty
— Porchet Léonore (@LeonorePorchet) May 14, 2021
Et alors que le passeport Covid semble être l'arme la plus fiable pour imaginer un retour à cette fameuse normalité, certains responsables politiques sont déjà en train de fouiller dans les mesures ou les outils actuels pour en fabriquer des règles à suivre à l’avenir, mais cette fois en CDI. Cette semaine, le PLR vaudois Olivier Français nous dévoilait son souhait de voir naître une task force permanente.
Jean Castex, Premier ministre français, a même suggéré récemment l'utilisation régulière du masque comme un outil de prévention, «notamment en période de grippe» et, c'est important: en utilisant le conditionnel. Pour Stéphanie Pahud, «c'est une mesure de protection pour les politiciens. Ils anticipent ainsi l'éventualité qu’on ne retrouve pas toutes nos libertés. C'est plus apaisant de l'annoncer de cette façon, en amont et en lançant le débat, que d'imposer froidement une nouvelle forme de contrainte à venir».
Castex estime que le masque "pourrait entrer dans les habitudes", "notamment en période de grippe" https://t.co/iwSFFTGigm pic.twitter.com/cJNm4Skj0d
— BFMTV (@BFMTV) May 11, 2021
En tous les cas, c'est la France qui, cette semaine a goûté à ce début de retour à la normale, avec l'ouverture des terrasses mercredi 19 mai. Et (parfois) sous la pluie. Histoire de doucher une bonne fois pour toutes l'existence d'une seule et unique normalité?