La médecine suisse a un problème avec les femmes
Les femmes et les hommes réagissent différemment aux médicaments. Ils peuvent présenter des symptômes distincts pour une même maladie et nécessitent donc des traitements adaptés. Pourtant, la recherche médicale s’est durant des décennies fondée principalement sur le corps masculin.
Ce choix s’expliquait par la volonté de protéger les femmes enceintes, mais aussi par les variations hormonales liées au cycle menstruel féminin, qui compliquent la conduite des études cliniques en rendant leur conception plus coûteuse et plus longue.
Les études sont faites sur les hommes
Des spécialistes de la médecine du genre, comme Carolin Lerchenmüller de l’Université de Zurich, soulignent que les femmes restent aujourd’hui encore largement sous-représentées dans les essais cliniques. Il est pourtant bien établi qu’elles métabolisent les médicaments différemment des hommes.
En raison du manque de recherche sur la charge de morbidité féminine, soit la charge de maladie, de nombreuses lacunes persistent dans les données relatives aux femmes. Ce manque de connaissances peut avoir pour elles des conséquences graves, voire mortelles.
L’inégalité médicale entre les sexes entraîne aussi d’importants coûts économiques. Les pertes sont particulièrement lourdes lorsque des femmes, en raison de maladies ou de problèmes de santé, sont forcées de travailler moins ou plus du tout.
D'immenses pertes financières
Mais cette injustice a également un impact économique considérable. Selon une étude publiée en 2024 par McKinsey et le Forum économique mondial, la croissance mondiale pourrait augmenter d’un milliard de dollars par an si les femmes bénéficiaient d’une prise en charge médicale équivalente à celle des hommes.
Coautrice de l’étude, Valentina Sartori a déclaré lors du Swiss Gender Medicine Symposium organisé récemment à Berne:
La spécialiste a précisé que cette charge de morbidité plus élevée ne s’expliquait pas par la plus grande espérance de vie des femmes. Plus de la moitié des années vécues en mauvaise santé concernent les femmes âgées de 20 à 70 ans, c’est-à-dire des personnes qui ont une activité professionnelle. Beaucoup ne peuvent donc pas atteindre leur plein potentiel.
La charge de morbidité plus importante chez les femmes dépasse largement les questions gynécologiques, poursuit Valentina Sartori. Seuls 5% des maladies qui touchent les femmes concernent des affections spécifiquement féminines, comme le cancer de l’ovaire ou les troubles liés à la ménopause.
En revanche, plus de 50% des problèmes de santé correspondent à des maladies dont les femmes sont affectées de façon disproportionnée, ou qui se manifestent différemment chez elles, comme les maladies auto-immunes ou la migraine. Les 43% restants concernent des pathologies qui, selon les connaissances actuelles, n’affectent pas les femmes de manière différente ou plus fréquente.
Il manque des investissements
Pour les entreprises pharmaceutiques, la médecine du genre recèle donc un important potentiel économique, explique Valentina Sartori. Cette dernière cite à titre d’exemple la maladie chronique qu’est l’endométriose, dont souffre une femme sur 10.
Le diabète de type 2 touche une proportion similaire de la population adulte. Pourtant, quelque 580 substances actives font actuellement l’objet d’essais cliniques pour le diabète, contre seulement 20 pour l’endométriose. L'experte souligne:
Comparée au diabète, cette différence révèle un déséquilibre évident. Selon Sartori, le manque d’égalité médicale entre les sexes s’explique aussi par les investissements relativement faibles consacrés à la santé des femmes.
De nombreuses recherches vont se dérouler
Il faut néanmoins relever qu’un pas important a été franchi cette année avec le lancement du programme national de recherche «Genre, médecine et santé», approuvé par le Conseil fédéral en 2023. Ce programme a révélé qu’il existe déjà quantité d'idées et d'approches permettant d’étudier les différences liées au sexe dans les diagnostics, la prévention et les traitements des maladies.
Lors du symposium sur la médecine du genre, Carole Clair, professeure à l’Université de Lausanne et présidente du comité directeur du programme de recherche, a confirmé cet engouement. 140 propositions ont ainsi été déposées. Devant cet enthousiasme, elle a déclaré:
Avant le lancement, certains doutaient qu’il y ait suffisamment de projets. «On nous demandait si nous aurions assez de matière», raconte Carole Clair. Le budget de onze millions de francs a finalement permis de financer 19 projets.
Pour la professeure une chose est certaine, le programme doit se poursuivre au-delà des 4 années prévues. Elle appelle à persévérer:
Traduit de l'allemand par Joel Espi
