La joie de la Suisse est immense depuis la victoire de ce lundi à l'Euro 2020. Est-ce d'abord la satisfaction d'avoir battu la France plutôt que celle d'avoir gagné tout court?
Yves Nidegger: Oui. Je n'avais jamais vu autant de voitures qui tournent dans le centre-ville de Genève. Ce «sentiment nouveau» est facilement explicable – et il est légitime. Il se trouve que nous étions frustrés depuis longtemps en matière de football, que nous avons battu une équipe championne du monde – qui aime le rappeler à chaque occasion – et qu'en plus ce sont nos voisins. Avec cette victoire de la Suisse contre la France, c'est le triomphe de la légitimité et de la justesse du petit face au grand.
Accord cadre pic.twitter.com/8s6dHZzqHo
— Yves Nidegger (@YvesNidegger) June 29, 2021
Votre tweet «Accord cadre», une banderole «Bienvenue dans le pays du foot» accrochée à la frontière... La Suisse romande n'en fait-elle pas un peu trop?
Le football est le simulacre des guerres d'antan. Dans les grands matchs, on voit se manifester des instincts grégaires et guerriers qui ont toujours existé. La grande différence avec la guerre, c'est que l'équipe qui perd n'est pas liquidée à la fin – tant mieux d'ailleurs. Faut-il s'émouvoir de cette résonance avec une époque où la violence n'était pas cadrée par un arbitre? Je ne pense pas. La fierté nationale, qui s'exprime à travers le foot, est une fierté comme les autres. Avec ses débordements possibles, mais aussi avec son caractère sain.
Nous entretenons un rapport d'amour-haine avec nos voisins. Vous qui êtes binational, comment l'analysez-vous?
Ma binationalité est subie: je suis Français par ma mère. Je ne suis donc pas vraiment schizophrène: ma tendresse pour la France n'est pas comparable en intensité à l'immense attachement que j'ai pour mon pays, la Suisse. C'est pourquoi j'ai été ravi de l'issue du match de ce 28 juin. Cela dit, vous avez raison, nous cultivons en Suisse romande deux attitudes contraires à l'égard de la France:
Vous parlez de supériorité économique, mais nous dépendons beaucoup de la France. Vous êtes Genevois et donc bien placé pour le savoir.
Bien sûr. Genève n'a jamais été une ville isolée dans ses murailles. Depuis le 13e siècle, beaucoup de produits, par exemple maraîchers, proviennent de notre arrière-pays, la France. Nous avons des rapports charnels, pour ne pas dire physiques, avec nos voisins. Il y a une vraie dimension d'interdépendance. Pour autant, les gens le savent: la Suisse attire les talents et les investissements.
En 2016, la journaliste Marie Maurisse sortait Bienvenue au paradis, un livre où elle dénonçait une «francophobie» latente en Suisse romande. Les nombreuses insultes qu'elle a reçues ne montrent-elles pas qu'elle touchait là où ça faisait mal?
La mot «phobie» appartient au champ lexical de la psychiatrie. C’est une peur maladive irrationnelle et obsessionnelle. Ce terme est actuellement détourné pour disqualifier autrui. La francophobie est un terme absurde, les Romands sont attachés au français et personne ici n’éprouve d’angoisse maladive à l’égard des Français.
Il n'empêche, les insultes telles que «sale frouze» existent. Et elles n'honorent pas notre bout de pays.
Comme tout sentiment, le sentiment national peut avoir des expressions antagonistes et bas de gamme. Traiter son voisin de frouze en fait partie. L'agressivité gratuite et méchante n'est évidemment pas recommandée. Cela dit, voici mon souhait: