Les efforts pour interdire la reconnaissance faciale automatisée en Suisse montrent des «résultats concrets». C'est ce qu'affirment ce mercredi trois associations ayant uni les forces pour lutter contre cette pratique: Amnesty International, AlgorithmWatch et Société Numérique.
Cette pratique controversée permet de reconnaître automatiquement une personne à partir de ses données biométriques (le visage, les yeux ou la voix), qui sont comparées à des images stockées dans une base de données. Des villes comme New York, Nice ou Londres se servent déjà de la reconnaissance faciale automatisée. En Suisse, le recours à cette technologie n'est pas généralisé, mais elle n'est pas interdite. Une situation que les trois associations veulent changer.
En 2021, elles ont lancé une campagne pour faire interdire la surveillance biométrique de masse dans l’espace public. L'année dernière, une pétition allant dans ce sens, signée par plus de 10 000 personnes, a été remise aux autorités des plus grandes villes suisses. Suite à ces actions, le combat contre cette technologie prend désormais une tournure politique: des villes et des cantons ont décidé de passer à l'acte, ou sont en train d'en discuter.
«Les villes de Lausanne, Zurich et Saint-Gall, ainsi que le canton de Bâle-Ville, ont déjà adopté des interventions réclamant l’interdiction de la reconnaissance faciale dans l’espace public», résume Estelle Pannatier, chargée des dossiers politiques et du plaidoyer chez AlgorithmWatch.
En tout, cinq villes et trois cantons sont concernés. «Il ne s'agit pas d'une stratégie coordonnée à proprement parler», précise Estelle Pannatier. «Le dépôt de la pétition dans plusieurs villes suisses a permis de montrer aux politiques le besoin d’agir».
Les efforts menés au niveau communal et cantonal sont «très importants», estime Estelle Pannatier: «Ils renforcent les législations locales et ils montrent que les élus prennent conscience qu’il faut tracer des lignes rouges claires», ajoute-t-elle. Pourtant, les trois organisations veulent aller plus loin:
D'autant plus que la Suisse n'est pas totalement étrangère à ce phénomène: plusieurs polices cantonales ont déjà eu recours à la reconnaissance faciale. En mars dernier, les CFF prévoyaient d'installer des caméras de surveillance dans 57 gares du pays. Enrichis d'un système de reconnaissance faciale, ces engins auraient permis une catégorisation biométrique des voyageuses. AlgorithmWatch et Société numérique étaient montées au créneau, et l'ex-régie fédérale a fini par abandonner le projet.
Autre exemple récent: en avril dernier, le Conseil fédéral a accepté que l'Office fédéral de la police (Fedpol) renouvelle son système d'identification automatisée. Le nouvel outil prévu à cet effet permettra d’analyser automatiquement jusqu’à un million de visages par année.
Si les autorités ont assuré qu'une personne ne pourra pas être condamnée sur les seuls résultats d'une comparaison faciale, AlgorithmWatch voit les choses différemment. L'organisation accuse Fedpol de «restreindre les droits fondamentaux de milliers de personnes par la petite porte» et évoque «des risques de discrimination».
C'est précisément ce qui est reproché à cette technologie: «La seule présence d’équipement de surveillance biométrique dans l’espace public peut dissuader des personnes de se déplacer librement, par exemple pour participer à une manifestation», explique Estelle Pannatier.
Autre problème: «Les systèmes de reconnaissance biométriques peuvent aussi aggraver les discriminations existantes et en créer de nouvelles», poursuit-elle. «On sait par exemple qu’ils identifient souvent moins bien les personnes non blanches et les femmes». Des recherches menées aux Etats-Unis montrent que les Noirs comptent parmi les groupes les plus exposés aux erreurs d’identification par ces systèmes.
Face à ces problèmes, les mentalités seraient en train de changer. «Avec la diffusion des technologies de reconnaissance biométrique, les personnes deviennent de plus en plus conscientes des implications et des risques pour la sphère privée et les droits fondamentaux», estime Estelle Pannatier.
Reste que le combat est encore long. Les regards se tournent maintenant vers Berne. « Au niveau des communes et des cantons, les interventions ont été adoptées par des majorités transpartisanes, c’est-à-dire que le soutien est venu de tous les côtés de l’échiquier politique», analyse-t-elle.
Réponse le 22 octobre.