Le bateau n'aurait jamais dû être là. Lors d'essais effectués le jeudi, le Simplon tombe en panne. Après plusieurs manœuvres, il est décidé de l'amarrer en catastrophe à Cully. C'est là qu'il finira par s'encastrer devant des habitants médusés, vendredi en fin de journée, contre le débarcadère.
«Ça nous avait étonnés, dans le village, que la CGN décide de le laisser là, vu qu'une tempête était annoncée», souffle un homme du village qui possède un bateau dans le port de Moratel, juste à côté. «On s'inquiétait déjà assez pour les tentes du Cully Jazz Festival...»
En fin de journée, vendredi, Barbara entend ce qu'elle croit être les bruits de sa terrasse qui s'envole. Mais c'est en fait le bateau, sous l'assaut des vagues, qui a commencé à taper contre les poteaux du débarcadère. Les Culliérans se passent le mot et s'habillent chaudement pour descendre au bord du lac. Pour assister au triste spectacle. «C'est historique, venez voir», s'écrivent-ils par messages les uns les autres. Le vent souffle. Très fort. Trop fort pour le pauvre Simplon, rénové entre 2010 et 2011, qui s'encastre contre le débarcadère.
La situation est délicate. En raison des infrastructures du Cully Jazz Festival, qui démarre bientôt, les accès au débarcadère sont rendus plus difficiles pour les véhicules de secours.
La zone est sécurisée, les curieux sont priés de reculer. De toute manière, il n'est pas nécessaire d'être aux premières loges pour entendre le bruit. Le bruit assourdissant, le fracas de la tôle du bateau contre le débarcadère, qui ressemble à de la pâte à modeler écrasée.
«La mer est déchaînée, euh je veux dire, le lac...» Le lapsus est révélateur de la puissance du vent et des vagues. Elles sont si hautes et si fortes que le chemin de gravier est trempé, les badauds avec.
Des pare-battages sont amenés pour faire tampon entre la coque du Simplon et les rochers, mais ça ne suffit pas. Ce sont finalement des pneus, et notamment des pneus de tracteurs, qui sont utilisés pour tenter de sécuriser le bateau.
Les sentiments sont partagés. Certains s'amusent à partager des théories, à donner leur expertise. «J'aurais pas fait ça comme ça, il y a au moins dix mètres de fond, quoi...», affirme un homme qui assiste au spectacle. «Pas du tout, j'habite ici, et je peux vous dire qu'il n'y a que deux ou trois mètres, le bateau racle le fond!», s'énerve un pêcheur du coin.
Certains ont l'air consternés, attristés, abattus de voir un bateau Belle Epoque dévorer le débarcadère. D'autres encore s'inquiètent de ce que contient peut-être le bateau. «Vous croyez que ça va polluer le lac?», se demande un habitant. Un autre s’inquiète pour les pompiers, à pied d’œuvre pour sécuriser le bateau et pomper l'eau qui s'y est infiltrée.
En attendant de voir ce qu'il va advenir du bateau, des habitants se racontent les vieilles histoires du village. Car ça n'est pas la première fois qu'un tel incident survient.
La tragique histoire de l'échouage du bateau l'Italie, un 31 décembre dans les années 1960, est racontée par quelques habitants.
Vers minuit, Barbara et son ami disent au revoir à leurs amis culliérans et vont se coucher. Ils retourneront voir le Simplon le lendemain. La nuit sera courte et difficile. «Depuis notre chambre, on entendait toujours le bateau taper...»
Au réveil, le vent s'est calmé, ils filent au bord du lac. Ils ont entendu dire que le Simplon allait être remorqué et amené au chantier naval de la CGN, à Ouchy. «Au moins, ça veut dire qu'il n'est pas au fond du lac, c'est déjà une bonne nouvelle...», se disent-ils. Sur place, ils constatent qu'une partie de la coque est sciée et soudée. «Ça faisait de la fumée jaunâtre, ça ne sentait pas bon du tout», assure Barbara.
Même les parties du Simplon qui n'ont pas directement tapé contre les rochers semblent abîmées. «Regardez, la peinture s'est écaillée, tellement la structure a été maillée...»
Vers 10 heures et des poussières, le bateau commence à être remorqué. La fenêtre de tir est courte, on annonce de nouveau du vent en début d'après-midi.
Le spectacle est terminé, les curieux ont quitté la zone. Barbara s'en va, et tente de relativiser. «Imaginez si c'était arrivé le week-end prochain, pendant le Cully Jazz... A un week-end près, c'était encore pire!»