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Suisse: Grâce à Exit, mon grand-père est mort en majesté

Suisse: Grâce à EXIT, mon grand-père est mort à ses conditions
Le suicide assisté pourrait être réglementé au niveau fédéral. Témoignage d'une expérience personnelle avec Exit. image: watson

Mon grand-père est mort en majesté

Le cas du docteur genevois Pierre Beck, acquitté cette semaine après avoir aidé une octogénaire en bonne santé à mettre fin à ses jours, rappelle la complexité des situations auxquelles doit faire face l'association Exit, à chaque demande de suicide assisté. Ce fût le cas de mon grand-père, en décembre 2022. Témoignage.
16.03.2024, 07:0218.03.2024, 11:25
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Mon grand-père parlait beaucoup de la mort. Surtout dans les moments joyeux. Presque sur le ton de la plaisanterie. Pourtant, c'était un bonhomme sérieux. Le patriarche par excellence. Très impressionnant, très instruit. Moustache soignée, droiture militaire. Il aimait à nous rappeler qu'il avait appris à éplucher une pêche avec un couteau et une fourchette et qu'il avait dîné aux côtés du général Guisan.

Il accordait une attention féroce au respect des bonnes manières. «Dignité» était son maître-mot. C'est probablement cette obsession qui l'avait empêché de sombrer lorsque, à 43 ans, on lui a diagnostiqué une sclérose en plaques. Une maladie incurable. Ses médecins l'avaient prévenu: ses os rongés ne feraient probablement pas long feu. Pour cet opiniâtre, c'était exclu. Il s'est accroché.

Préparer la fin

Passé 80 ans, un âge qu'il n'avait jamais pensé atteindre, ses jambes et sa santé ont fini par chanceler. Faire aveu de faiblesse restait sa principale hantise. La simple idée d'être vu en public en fauteuil roulant, alors qu'il avait passé la moitié de sa vie à se débrouiller avec des cannes, lui était tout bonnement insupportable. Alors, il a préféré ne plus jamais quitter la maison. Sa femme, sa famille, ses aides-soignants, ses amis, les journaux et la télévision lui assuraient un semblant de lien avec le reste du monde.

Son moral suivait le rythme des saisons qu'il observait depuis la baie vitrée. Quand la neige commençait à tomber dans le jardin, il se laissait aller à l'abattement. Il ne reprenait vie qu'avec les feuilles des arbres, au printemps.

Je n'arrive pas à me souvenir précisément de la première fois où le mot «Exit» a été posé sur la table, à côté du bœuf bourguignon et de la bouteille de rouge. Mais tout à coup, l'idée d'avoir recours au suicide assisté semblait presque naturelle. Logique. Une possibilité dont il n'éprouvait aucune gêne. Au contraire. Son intérêt pouvait donner lieu à des situations cocasses.

La première fois que mon amoureux a franchi le seuil du jardin d'hiver, la documentation sur Exit était étalée sur la table. Mon grand-père penché dessus, en plein examen. Il a brandi les prospectus sous les yeux du nouveau venu avec autant d'excitation que s'il réservait ses prochaines vacances aux Maldives.

«Regardez! Regardez! C'est Exit! C'est formidable cette association, n'est-ce pas?»
L'octogénaire, les yeux pétillants, en train d'agiter fièrement ses documents.

On a préféré en rire. Rire jaune ou humour noire. Mais au fond, n'avait-il pas trouvé la meilleure manière qui soit de nous préparer à cette fatalité? Un jour, il ne serait plus là. Le patriarche qui nous déclamait des poèmes de Victor Hugo par cœur et corrigeait nos fautes de français, laisserait place au silence et à un fauteuil en osier vide.

Le début de la fin

Le 15 décembre 2022, en sortant du travail, j'ai reçu un coup de fil.

«Ton grand-père a fait une chute»

Des chutes, il y en avait déjà eu. Beaucoup. Souvent. En plein jour, en pleine nuit, en sortant du lit ou en traversant la maison. Certaines avaient nécessité l'intervention des pompiers. D'autres fois, l'aide d'un membre de la famille a suffi. Pour le reste, c'est ma grand-mère qui se chargeait de le récupérer, avec bravoure et résignation. Dans la mesure du possible, elle préférait éviter d'appeler les secours, dont mon grand-père avait développé une peur bleue.

Cette chute-ci, toutefois, était différente. Un «léger AVC», m'apprendra-t-on plus tard. Petit miracle, il a repris connaissance. Hospitalisé d'urgence à l'hôpital Pourtalès de Neuchâtel, il a été transféré à l'Inselspital de Berne pour des examens supplémentaires. Le verdict est tombé peu après. Pas bon. Problèmes de circulation de la moelle épinière, eau dans les poumons, infections dans les jambes, entre autres choses. Plusieurs opérations seraient nécessaires pour espérer un retour à la maison. Et continuer.

Cette fois, c'est non. Il venait alors de fêter ses 88 ans. Dans son état, ce n'était plus possible. Il en avait marre. Il était temps de quitter le jeu et de tirer sa révérence. Alors la procédure avec Exit, dont il était membre depuis déjà plusieurs mois, a été lancée.

Le 17 décembre, sa figure de proue toujours hospitalisée, le reste de la famille s'est réuni au cours d'une sorte de repas de Noël. Ambiance étrange, entre larmes, rires, chapon au vin jaune et coupes de champagne, nous avons parlé de la mort et des avancées des démarches. Il incombait aux deux fils aînés, mon père et son frère, de gérer les échanges avec Exit. Le traitement du dossier nécessitait évidemment un certain délai. D'autant que le cas de mon grand-père était épineux: il n'était pas «mourant» au strict sens du terme. L'intéressé, lui, commençait à s'impatienter. Sa décision était prise, il voulait que ça aille vite.

Ce n'est que quelques jours plus tard, au terme d'une évaluation de son état de santé et de plusieurs entretiens pour s'assurer de sa capacité de discernement, qu'il a obtenu la validation finale. Rendez-vous était pris. Le 28 décembre 2022, à 13h00.

«C'est fou, c'est presque plus rapide que de prendre rendez-vous chez le coiffeur»
Un proche de la famille, à l'annonce de la nouvelle.

La mise en place

La mise en place d'un suicide est un bal étrange. De retour chez lui après l'hospitalisation, mon grand-père, grand maniaque, s'est occupé de tout. Du choix du bois de son cercueil à la musique de la cérémonie, en passant par la rencontre avec la pasteure chargée de son oraison funèbre. Il a tenu à prévenir certains proches. Pour les autres, il a dressé une liste de contacts de cousins éloignés, d'anciens collègues et d'amis encore en vie qu'il faudrait prévenir une fois parti. Fin gastronome, il a aussi pris grand soin d'élaborer le menu de «sa dernière semaine». Seulement ses mets préférés, évidemment. Des plats français bien typiques, huîtres, truite entière au four à l'huile d'olive, tripes. Et surtout, le fameux pot-au-feu de sa mère.

Ma dernière visite a eu lieu trois jours avant sa mort. Moi qui redoutais ce tête-à-tête, cela m'a fait du bien de le voir là, confortablement installé dans cette maison qu'il aimait tant. Sourire aux lèvres, plus vif et plus alerte que jamais depuis longtemps, il a fait des blagues. J'ai profité de toucher sa peau très fine, respirer l'odeur de son aftershave, la même depuis que je suis toute petite. J'aurais eu encore beaucoup de questions à lui poser. Sur sa vie, ses pensées. Mais ce n'était pas le moment.

J'ai seulement osé lui demander s'il n'avait pas peur. Lui qui ne faisait jamais aveu de faiblesse a admis doucement qu'il avait une «trouille monstre». Je n'oublierai alors jamais la phrase lâchée par son aide-soignante, une dame adorable qui le suivait depuis plusieurs années, en train de papillonner dans la pièce pour s'assurer que tout allait bien.

«Vous savez, Monsieur, vous pouvez toujours changer d'avis»

Mon grand-père a secoué la tête. Malgré ses doutes, ses peurs, il n'en était pas question. Il n'y aurait pas de retour en arrière. Les mots d'adieu n'ont pas été bien différents des autres. Comme si je revenais la semaine suivante. Puis mon grand-père, fatigué, s'est assoupi dans son fauteuil. Avant de le laisser dans sa véranda remplie de la lumière froide de décembre, je me suis retournée une dernière fois. Et j'ai dit au revoir.

La toute fin

La suite, je l'entendrai de mon père. Le 28 décembre 2022, à midi, entouré de sa femme et de ses deux fils, mon grand-père a avalé son pot-au-feu de bon appétit. Plutôt que de s'allonger dans son lit, il a tenu à rester assis dans son fauteuil en osier, face au jardin.

Puis c'est un membre de l'association Exit qui est arrivé, seul, pile à l'heure. Dehors, devant la maison, un policier patientait pour certifier le décès, ainsi qu'une ambulance pour récupérer le corps. Le monsieur d'Exit, très prévenant, très aimable, a répété calmement le protocole. Mon grand-père lui a demandé un ultime service: prendre quelques photos de lui, entouré des siens, pour attester de sa ferme volonté jusqu'au bout. Puis, le moment est venu de sortir les deux fioles à avaler. La première, pour atténuer le goût de la substance létale. La seconde, pour mourir.

A 13h00 tapantes, ce jour-là, pendant que mon grand-père cédait au sommeil et quittait ce monde, j'étais encore au travail, les yeux rivés sur mon ordinateur, mon esprit à ses côtés. Le chagrin d'avoir perdu ce parent adoré, ce modèle, se mêlait à la gratitude et au soulagement. Grâce à Exit, j'ai eu la chance que beaucoup d'autres n'ont pas eue: pouvoir dire au revoir. Et voir mon grand-père obtenir la fin dont il rêvait, une sortie de scène en majesté. En toute dignité.

Des photos vintage de passages piétons en Suisse:
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Des photos vintage de passages piétons en Suisse:
«Oups, c'était limite!» - Photo prise en mai 1957 à Zurich, où un homme est presque renversé par une voiture.
source: photopress-archiv / bischof
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