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Terrorisme

«ll ne fallait pas toucher à nos enfants»: retour à Cortaillod

Collège primaire des Corneilles de Cortaillod.
Collège primaire des Corneilles de Cortaillod.image: watson

«ll ne fallait pas toucher à nos enfants»: là où un individu a crié «Allah akbar»

Il y avait les délits commis par des requérants d'asile. S'est ajoutée l'angoisse de l'attentat. Reportage à Boudry et Cortaillod avec les dernières informations sur le suivi judiciaire et médical du suspect.
14.12.2023, 06:1314.12.2023, 19:50
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Ce monde-là n’est pas fait pour la violence. Ici, tout est «tolérance», «partage», «respect», «rire» et «gentillesse». Ces mots placés telle une devise à l’entrée du collège primaire des Corneilles, à Cortaillod, dans le canton de Neuchâtel, ont été dérangés par la visite d’un jeune homme visiblement perturbé et surtout menaçant. Vendredi 8 décembre, à 14h45, il a crié «Allah akbar» dans le préau de cet établissement où les enfants comptent les jours les rapprochant de Noël. Allah akbar, Dieu est le plus grand: des paroles de dévotion détournées de leur usage premier par des terroristes islamistes.

Craignant le pire, les enseignants ont confiné les élèves dans les classes. Arrivé deux jours plus tôt en Suisse, s’étant présenté au Centre fédéral pour requérants d’asile (CFA) de Boudry, commune voisine de Cortaillod, l’individu, décrit comme un Algérien d’environ 25 ans connu pour des faits de violence, n’était pas armé. Il a été arrêté. «Il est à présent interné en psychiatrie sous surveillance policière», indique à watson le chef du Département cantonal de la sécurité, Alain Ribaux.

«Ça, c’est des gens qu’on devrait renvoyer»

Ce mardi, cinq jours après les faits, des parents attendent sous la pluie la sortie des élèves pour la pause de midi. Une grand-mère récupère son petit-fils. «Ça, c’est des gens qu’on devrait renvoyer. Il ne faut pas qu’ils viennent nous embêter avec leur religion», dit-elle à propos du suspect.

«Ma fille a pleuré. Elle a eu plus peur que son fils»
La grand-mère

Les enfants rient, sont pleins d’énergie. Ils ont comme oublié l’épisode de vendredi, à la suite duquel une cellule psychologique a été mise en place. Les professeurs ont reçu la consigne de ne pas parler à la presse. Une enseignante veut bien dire un mot:

«On espère ne plus jamais revivre ça»
Une enseignante
Collège de Cortaillod.
Collège de Cortaillod.image: watson

A Boudry, l’Areuse, gorgée des eaux du Val-de-Travers, forme un torrent qui menace de déborder. Il n’atteindra pas l’Hôtel de Ville de cette ancienne préfecture cantonale, située à mi-hauteur de la rue principale traversant le vieux bourg en pente. Dans ce petit palais républicain en pierre jaune de Neuchâtel officie Gilles de Reynier, le président de commune, élu PLR, avocat pénaliste pour quelque temps encore et désormais à la tête d'une agence immobilière.

Samedi, au lendemain des événements de Cortaillod, cet homme grand et svelte de 57 ans assistait, loin de ses bases, au 67e Concours hippique international de Genève. Un coup de téléphone l’informait qu’un individu venant de déposer une demande d’asile au CFA de Boudry avait provoqué la panique dans une cour d’école de la localité d’à côté. Il ne découvrait pas les problèmes posés par ce centre d’enregistrement pour demandeurs d’asile, le plus grand des six que compte la Suisse. Mais, cette fois-ci, une cote d’alerte était atteinte. Le conflit au Proche-Orient, avec ses possibles retombées terroristes en Europe, était peut-être pour quelque chose dans le «Allah akbar» du jeune homme d’origine algérienne.

Gilles de Reynier, président de la commune de Boudry.
Gilles de Reynier, président de la commune de Boudry.image: watson

Gilles de Reynier confie:

«La guerre à Gaza est une thématique que j’aborde avec l'officier de police cantonal chargé d'assister les responsables communaux de la sécurité»
Gille de Reynier

Ce sont d’ordinaire des incivilités répétées, des vols, des comportements harceleurs commis par des requérants du centre boudrysan qui mettent en rogne la population. La séance d’information organisée le 18 octobre dernier par la commune s’est avérée très utile. «Lors de cette réunion, nous avons entendu une vingtaine de témoignages d’habitants relatifs à ces méfaits», relate Gilles de Reynier. Pour beaucoup, les infractions rapportées surviennent dans les bus et le Littorail, le tram qui relie les communes côtières du lac de Neuchâtel.

«Avec les conseillers d’Etat Alain Ribaux et Florence Nater, en charge respectivement de la sécurité et de la cohésion sociale, nous avons obtenu que la Confédération continue de financer à 90% la protection des transports publics entre 17 heures et minuit.»
Gilles de Reynier

C’est bien, mais le premier magistrat boudrysan a conscience qu’il s’agit là d’une sorte de pis-aller. Que cela ne suffira pas à régler le problème de la délinquance posé par la présence du CFA dans la région. Que l’irruption du religieux sous ses aspects anxiogènes, vendredi à Cortaillod, ajoute au mécontentement des citoyens.

Lettre incendiaire d'une maman d'élève

Suite à cet incident, il a reçu un e-mail fâché. Il nous en fait part. C’est «une maman dont la fille est scolarisée dans le collège de Cortaillod» qui s'adresse «à nos politiciens, ceux qui sont censés nous protéger, protéger nos enfants», écrit-elle. En voici des extraits:

«C’est grave que nos enfants aient été confrontés à ça. Grave que nous devions avoir peur que ça recommence. Grave qu’on ne puisse rien dire sans passer pour des fachos. Grave que nous devions renforcer la protection dans les transports publics, A NOS FRAIS (réd: la Confédération y participe, voir plus haut). Grave que tant de jeunes soient constamment agressés ou intimidés. Et surtout, grave que toutes ces dérives soient constamment minimisées pour protéger je ne sais qui! (…).»

«Je suis pour la diversité, mais contre la violence! (…) Alors madame Elisabeth Baume-Schneider, prendrez-vous enfin ces menaces et notre besoin de sécurité au sérieux?»
Extrait de l'e-mail envoyé à la commune de Boudry

«A partir de ce jour, sachez que je vais mettre toute mon énergie et ma visibilité pour faire bouger les choses. Chaque jour j’appellerai, chaque jour j’écrirai. Je vais monter une armée de citoyens qui vont faire exactement la même chose, jusqu’à ce que vous n’en puissiez plus.»

La lettre se termine ainsi:

«J’espère que vous êtes prêts! Il ne fallait pas toucher à nos enfants.»

Gilles de Reynier a fait suivre ce courriel à l’entourage de la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider. En attendant de prendre la succession d'Alain Berset à l'Intérieur, celle qui est pour quelques semaines encore cheffe de justice et police, et qui chapeaute à ce titre le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) en charge des CFA, s’était rendue en avril au centre de Boudry. Sa visite parachevait une décision mise en œuvre à la satisfaction de tous: fin 2022, le nombre de requérants présents dans le CFA neuchâtelois passait de 800 (un pic notamment dû à l’afflux de réfugiés ukrainiens) à 480, sa capacité d’origine.

Les «solutions»

Mais cette réduction des effectifs n’a manifestement pas mis fin aux actes délinquants, comme en témoignent les nombreuses récriminations citoyennes entendues le 18 octobre à l’Hôtel de Ville de Boudry.

Le président de commune propose des solutions. Seront-elles suivies d’effet?

«Il est établi que la plupart des actes délinquants reprochés à des requérants sont commis par des personnes originaires du Maghreb. Ne pouvant arguer de persécutions dans leur pays, elles n’ont pratiquement aucune chance d’obtenir l’asile en Suisse. Il faudrait peut-être les loger ailleurs que dans le CFA de Boudry. Je pense au centre pour requérants d’asile récalcitrants des Verrières, situé aux confins du Val-de-Travers, actuellement sous-occupé. Il faudrait aussi envisager une réaffectation du CFA de Boudry: d’un centre de premier accueil, dit de tri, en faire un centre de second accueil, en priorité pour les familles.»
Gilles de Reynier

Le président de commune a hébergé un réfugié afghan

Ce «PLR modéré», comme Gilles de Reynier se définit avec humour, pense que la Suisse doit entretenir sa tradition d’accueil. Lui et son épouse ont hébergé pendant quinze mois un jeune réfugié afghan. «Il avait 16 ans, il souffrait de stress post-traumatique. C’était un Hazara, un chiite qui avait subi des persécutions de la part de Pashtounes, l’ethnie majoritaire sunnite. Il travaille aujourd’hui dans une entreprise d’échafaudages à Fribourg. Il a obtenu l’asile, mais ses souffrances le poursuivent.»

Le bus 613 dépose devant le CFA de Boudry, à l’arrêt Perreux Est, sur les hauteurs presque champêtres de ce gros village de 6000 habitants. Faute d’autorisation préalable, nous ne pourrons pas parler au directeur du centre.

Le CFA de Boudry.
Le CFA de Boudry.image: watson

Il ressemble à Jamel Debbouze

S. attend à l’arrêt de bus. Il tient dans sa main un petit sac en plastique et porte autour du cou une écharpe aux couleurs du Servette FC, un brin délavée. «C’est neuf», fait-il. D’allure frêle, S. dit venir d’Oujda, au Maroc, à la frontière avec l’Algérie. Comme tant d’autres risquant leur vie, il a rejoint l’Europe à bord d’une embarcation clandestine, partie il y a dix-huit mois des côtes marocaines pour arriver à San José, situé en face, en Espagne, dans la province d’Almeria.

«Je suis allé en France, mais c’était pas bien, alors je suis venu en Suisse, ici, c’est mieux»
S., requérant marocain

Fuit-il des persécutions dans son pays? «Non», répond-il du tac au tac. Ses chances d’obtenir l’asile sont a priori infimes. Il ressemble à Jamel Debbouze. On le lui a déjà dit. Quel âge a-t-il? «Seize ans.» Il sourit. Qui peut le croire? Il en paraît bien le double avec ses yeux saturés de contrariétés. Il affirme ne pas être au courant de l’incident de Cortaillod. «La religion, il faut la garder pour soi», réagit-il. Quelle direction prendre? Boudry ou Cortaillod? Il choisit Boudry. Ni ce CFA ni les autres ne sont des prisons.

«Le Christ ne nous dit-il pas de ne pas avoir peur?»

Christine Phébade, grande écharpe turquoise ornant son pull blanc, est «permanente laïque» à la paroisse protestante de Cortaillod. «Dans les faits, j’exerce une activité de pasteure, les cérémonies funéraires en moins, parce que je n’y tiens pas», explique-t-elle, l’espoir dessiné sur son visage. Le minuscule parvis du temple est décoré de personnages évoquant ceux de la crèche. «Ils sont très beaux. Ce sont des gens de la paroisse qui les ont fabriqués», raconte-t-elle sous le regard approbateur de quelques paroissiens et paroissiennes.

Christine Phébade, «permanente laïque» au temple de Cortaillod.
Christine Phébade, «permanente laïque» au temple de Cortaillod.image: watson

Bien sûr, cet «Allah akbar» chagrine Christine Phébade. «Mais le Christ ne nous dit-il pas de ne pas avoir peur? C’est écrit 365 fois dans la Bible: "N’aie pas peur". Dieu le dit aussi à Moïse qui doit aller voir Pharaon. Il y aura toujours du malheur. On est sur terre, on n’est pas épargné, c’est là que le message du Christ prend tout son sens.»

«Certes, ce qui se passe en France, un professeur tué dans son école, ça me fait peur, et là, tout d’un coup, à Boudry, ce cri… Mais il faut surmonter ce réflexe pavlovien de la peur»
Christine Phébade

Bientôt expulsé?

Que sait-on vraiment de l’auteur du cri, émis cet après-midi du 8 décembre? Les recherches menées jusque-là n’ont montré aucun lien avec la mouvance djihadiste. Les enquêteurs le savent sur la foi, notamment, des informations fournies par les empreintes digitales. Les CFA effectuent eux-mêmes des relevés d’empreintes, utiles pour la détection d’individus radicalisés, connus de services étrangers. «L'Algérien de 25 ans, actuellement interné, pourrait être expulsé de Suisse dans un délai relativement court», croit savoir le conseiller d'Etat Alain Ribaux.

«Joyeux Noël», est-il écrit en grandes lettres bariolées sur la façade du collège des Corneilles de Cortaillod.

Immersion dans le plus grand bunker d'or privé de Suisse
Video: watson
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