«Allah akbar» crié dans une école: «C'est un signal d'alarme pour la Suisse»
Pourquoi un individu, qui avait été placé toute une nuit en observation psychiatrique dans un hôpital neuchâtelois, a-t-il été reconduit le lendemain au Centre fédéral pour requérants d’asile de Boudry sans que son cas donne lieu à une surveillance particulière? «C’est l’une des questions à laquelle il va falloir répondre», assure le chef du Département de la sécurité du canton de Neuchâtel, Alain Ribaux, joint par watson.
Vendredi 8 décembre, aux alentours de 14 heures, l’individu en question s’est introduit dans l’enceinte du collège primaire des Corneilles, à Cortaillod, commune limitrophe de Boudry. D’origine algérienne, âgé d’environ 25 ans, apprendra-t-on le lendemain, il a alors crié «Allah akbar» (Allah est le plus grand), une formule reprise par les islamistes radicaux et parfois annonciatrice d’un acte meurtrier.
Avant cela, «un échange entre lui, une enseignante et un employé du service technique avait eu lieu», rapporte ArcInfo. Le plan Amok (mis en œuvre dans les écoles en cas d’attaques) était aussitôt déclenché par le personnel du collège, qui accueillait ce jour-là un peu plus de 300 élèves.
Trente-quatre policiers en tout sont intervenus. Le suspect a été interpellé. Il n’était pas armé. De quoi pousser un «ouf» de soulagement après un moment de panique. Dans l’attente des secours, les élèves étaient confinés dans les classes.
Il s'est éclipsé
Selon la police neuchâteloise, l’homme était entré en Suisse le mercredi 6 par Genève et par le train, avant de se rendre le jour même au Centre fédéral pour requérants d’asile (CFA) de Boudry afin d'y déposer une demande d’asile. Au vu de son état mental, il a fait l’objet d’une prise en charge médicale, d’où son séjour d’une nuit dans les services psychiatriques du canton. Le vendredi matin, il a été raccompagné au CFA de Boudry.
Face à son comportement agité, le personnel du centre a une nouvelle fois alerté l’équipe médicale. Alors qu'un entretien était prévu avec lui, il s’est éclipsé. On le retrouvait plus tard dans l’enceinte d’un collège à crier «Allah akbar».
«Plus dérangé que dangereux», serait cet individu connu sous plusieurs identités et pour des faits de violence commis dans d’autres pays européens.
Alain Ribaux raconte:
«Il sera mis soit en détention provisoire, soit en milieu de traitement. C’est du ressort du ministère public», ajoute le chef du Département cantonal de la sécurité.
Fallait-il ramener le suspect au CFA de Boudry aussi tôt? N’aurait-il pas mieux valu le garder plus longtemps en observation, étant donné ses troubles psychiques constatés la veille? La médecine psychiatrique manque-t-elle de lits? «La doctrine, en ce domaine, est davantage celle d’un suivi ambulatoire des patients que leur enfermement», répond Alain Ribaux.
Il convient peut-être à présent d’élargir la focale.
Alain Ribaux fait allusion à la situation au Proche-Orient, à ses répercussions parfois violentes, comme le 2 décembre à Paris, où un Franco-Iranien de 26 ans, invoquant le soutien de la France à Israël, a poignardé à mort un touriste allemand en criant «Allah akbar». Avant cela, le 13 octobre, c'est un jeune terroriste d'origine ingouche qui avait tué au couteau un professeur de français dans la cour d'un collège-lycée d'Arras, là aussi, au cri d'«Allah akbar». Tous deux ont fait allégeance à l'Etat islamique.
Son délit: avoir menacé la population
La piste terroriste est pour l'instant écartée dans l’affaire de Boudry. Une enquête pénale est ouverte. Il est à cette heure reproché au prévenu d’avoir «jeté l’alarme dans la population par la menace», un délit puni d’un maximum de trois ans de prison ou d’une peine pécuniaire.
Il n’empêche. Pour Frédéric Esposito, directeur de l'Observatoire universitaire de la sécurité (OUS) à l’Université de Genève, «l’événement sans conséquences graves qui s’est produit à Boudry doit être considéré comme un signal d’alarme».
«Il y a dans les milieux du renseignement une préoccupation croissante liée au processus de radicalisation pouvant découler du conflit israélo-palestinien», explique Frédéric Esposito.
Ce spécialiste du terrorisme, entre autres islamiste, rappelle que «des réseaux terroristes essaient de faire passer des gens en Occident, que ces réseaux peuvent aussi entrer en contact avec des réseaux criminels».
Frédéric Esposito estime qu’«il faut aborder la problématique de l’asile sous deux aspects, sécuritaire et humanitaire».
Pour André Duvillard, ancien délégué du Réseau national de sécurité et ancien commandant de la police cantonale neuchâteloise, «cette affaire de Boudry va encore compliquer les relations entre la population et le centre de requérants d’asile», dit-il, joint par watson.
Intervenant samedi soir dans l’émission Forum de la RTS, le conseiller d’Etat neuchâtelois Alain Ribaux a tenu à rassurer la population. La sécurité autour des écoles ne sera pas renforcée car «on n’a pas identifié une augmentation du risque», a-t-il dit.
Les habitants de Boudry et alentour regroupés dans l’association «Bien vivre à Neuchâtel» (autrefois nommée «Bien vivre à Boudry»), se plaignent des «incivilités» que générerait la présence du CFA dans ce district côtier du lac. Joint par watson, Dastier Richner, qui préside l’association, dénonce des cas de harcèlement de rue ou dans les transports en commun dont sont victimes, selon lui, des «jeunes femmes entre 15 et 25 ans».
Une tentative de viol, par un requérant du centre boudrysan, a eu lieu l'été dernier dans le chef-lieu du canton. Si le président de «Bien vivre à Neuchâtel» se félicite de ce que le nombre de requérants au CFA de Boudry ait été ramené de 800 à 480, il déplore la persistance du phénomène des incivilités.
Dans l’immédiat, le ministre cantonal en charge de la sécurité, Alain Ribaux, espère que le jeune Algérien interpellé samedi dans l’enceinte du collège de Cortaillod sera «renvoyé dans son pays», déclare-t-il à watson. L’Algérie acceptera-t-elle de le reprendre?
La période apparaît comme instable à divers titres. Il ne s’agit pas d’exagérer les risques. Il ne s’agit pas non plus de les minimiser.


