Tout est pardonné? Dix jours après avoir dansé le kasatschok à Moscou avec les passe-plats de la propagande du Kremlin, le Zurichois Roger Köppel titre en une de la Weltwoche, son magazine: «Putin ist ein Faschist». «Poutine est un fasciste», donc. Les guillemets sont doublement de rigueur. Il s’agit d’une citation. Celle d’un ennemi juré du président russe: le Français Raphaël Glucksmann, député européen socialiste, fils du philosophe André Glucksmann, qui fut un adversaire déterminé du régime soviétique dans les années 1970.
Le conseiller national UDC et rédacteur en chef de l’hebdomadaire conservateur veut-il faire oublier ses provocations moscovites, un «dossier» délicat à l’approche des élections fédérales d’octobre, auxquelles il ne se représente toutefois pas? On le dirait bien. L'intéressé plaidera sûrement le côté «inclassable» de la Weltwoche, la «liberté» d’un titre qui ne craint pas de surprendre, une semaine après cette autre une: «Moskau im Frühling», «Moscou au printemps», récit de son périple à l’Est.
L’UDC est sans doute le seul parti politique suisse à jouer d’une certaine ambiguïté, sinon d’une ambiguïté certaine, avec la Russie de Poutine. «Nous condamnons l’invasion russe de l’Ukraine, mais…» Tel est le début de réponse type. Chacun, à l'UDC, met derrière ce «mais» les mots qu’il veut. Mais on note des constantes: le rapport aux Etats-Unis et à l’Europe, la «décadence occidentale», les intérêts commerciaux de la Suisse et bien sûr la neutralité.
«Il va de soi que l’agression russe en Ukraine est condamnable, la Suisse l’a d’ailleurs condamnée», affirme le conseiller national UDC vaudois Jacques Nicolet. Passé ce préambule, il développe:
«On doit condamner l’agression russe, mais on ne doit pas prendre parti», estime le président du groupe UDC au Grand Conseil vaudois, Yvan Pahud. «S’aligner sur l’un ou l’autre des belligérants, c’est se priver de la possibilité de faire jouer nos bons offices et d’accueillir un jour une négociation de fin de conflit», poursuit-il. Etre neutre, ajoute-t-il, «c’est la garantie qu’à la fin de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la Suisse pourra reprendre normalement ses relations commerciales avec tout le monde, les Etats-Unis, la Russie et la Chine».
On rappelle à Yvan Pahud le «traitement» réservé par les Etats-Unis à la Suisse neutre au sortir de la guerre froide: l’affaire des fonds en déshérence (des épargnants juifs spoliés durant la Seconde Guerre mondiale par des banques suisses), plus tard, la mise à sac du secret bancaire par l’administration Obama. La neutralité ne valait alors pas plus qu’une obligation Credit Suisse avant rachat par UBS.
Le député vaudois se découvre un peu plus:
C’est le conseiller national UDC genevois Yves Nidegger qui nous a signalé la une du dernier numéro de la Weltwoche, «Poutine est un fasciste». Comme si l’hebdo zurichois, à l’image de l’UDC, n’était jamais là où on l’attend. «Nous sommes nombreux à ne pas accepter aveuglément de suivre la doxa, d’où qu’elle vienne, et à nous montrer spontanément allergiques au prêt-à-penser», affirme celui qui quittera le Parlement fédéral en octobre pour se consacrer pleinement à sa nouvelle fonction de président du groupe UDC au Grand Conseil genevois.
Aujourd’hui, Yves Nidegger estime qu’il y a lieu de «résister à l’Etat lorsqu’il prend trop de place, et à toute vérité unique, comme c’est le cas du wokisme qui gangrène aujourd’hui la pensée et les valeurs occidentales».
Le conseiller national genevois fut l’un des «rares élus UDC» à Berne à avoir voté contre la loi instaurant le mariage pour tous. Le rapport avec la Russie? «Les Etats Unis considèrent le mariage pour tous comme une avancée de la civilisation et souhaitent l’imposer au monde entier. Les Russes, les Moyen-Orientaux, les Africains, sont d’un autre avis. Que je partage. Je ne considère pas pour autant que Poutine soit le rempart de la civilisation occidentale et je suis profondément anti-guerre.»
Le parlementaire précise sa pensée:
Que recouvre le discours de l’UDC mêlant neutralité et civilisation? Décryptage avec Oscar Mazzoleni, professeur de science politique à l’Université de Lausanne (Unil). «Les élus UDC ne sont pas pro-russes. Ils ne veulent pas que la Suisse se mêle des affrontements entre la Russie et l’Ukraine. Voilà pour la neutralité. C’est important de le dire.»
Oscar Mazzoleni poursuit et l'on entre dans le vif du sujet:
Joint par watson sur le rapport de l’UDC à la Russie, le président de l’UDC, Marco Chiesa, a répondu par écrit. Comme une mise au point minimale: «L'UDC Suisse n'entretient pas de relations avec d'autres Etats. En tant qu'Etat neutre, la Suisse doit cependant entretenir des relations avec tous les Etats et offrir ses bons offices. C'est une contribution essentielle qu'une Suisse neutre peut apporter à la paix dans le monde.»
On commençait à oublier Roger Köppel, voici Andrey Nazheskin, encarté à l’UDC, qui s’apprête à faire son entrée au législatif de la Ville de Fribourg. Ce binational russo-suisse est l’un des deux consuls honoraires de Biélorussie en Suisse.
Vice-président de l’UDC fribourgeoise, Sébastien Bossel dit avoir appris «ce matin» (réd: jeudi) la présence de cet homme dans les rangs du parti cantonal. «Je ne sais pas s’il est sur la liste des personnes mises sous sanctions», dit-il. Des vérifications devraient être effectuées.
On ne serait pas complet sans évoquer la rencontre en avril, sans l’accord du Conseil fédéral, de l’ex-ministre des Finances de la Confédération, l’UDC Ueli Maurer, avec l’ambassadeur de Chine en Suisse. Une démarche apparemment personnelle, qui a fait bondir certains parlementaires, alors que le Conseil national, à l’initiative du socialiste Fabian Molina, a adopté une motion pour un rapprochement de la Suisse avec Taïwan, au grand dam de Pékin. «Taïwan a adopté une loi sur le mariage pour tous; connaissant la mentalité chinoise profonde, c’est à comprendre surtout, à mon avis, comme un signe d’allégeance envers les Etats-Unis», fait observer Yves Nidegger. Décidément, l'UDC ne lâche rien.