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Selon ce professeur, l'initiative SSR veut «affaiblir les médias»

Professeur média sur la SSR et l'initiative 200 francs, ça suffit.
En 2026, l'initiative visant à réduire de moitié le budget de la SSR sera soumise au vote.Image: Christiane Matzen / Imago / Keystone, montage watson

Cet expert explique en quoi l'initiative SSR pourrait être «fatale»

L'initiative SSR, sur laquelle le peuple devrait se prononcer en 2026, pourrait se jouer de peu, selon un sondage watson. Le spécialiste des médias Manuel Puppis explique la situation de la SSR et pourquoi même les groupes de presse privés ont besoin d'un service public audiovisuel fort.
14.08.2025, 10:1514.08.2025, 10:15
Aylin Erol
Aylin Erol
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Selon un sondage représentatif réalisé par nos confrères de watson Zurich en partenariat avec l'institut Demoscope, 44% des Suisses alémaniques voteraient aujourd'hui «oui» ou «plutôt oui» à l'initiative pour la baisse de la redevance radio-TV. Dans son texte, l'UDC demande à ce que la facture Serafe passe de 335 francs par an à 200 et à ce que les entreprises en soient exemptées.

Le Conseil fédéral et une majorité du Conseil national ont rejeté l'initiative. Cependant, Albert Rösti réduit progressivement la redevance à 300 CHF par ménage d'ici 2029. Une opération qui a déjà des conséquences sur la SSR. D'ici 2029, elle devra économiser 270 millions de francs, soit environ 17 % de son budget. Fin juin, sa directrice générale Susanne Willesa annoncé des suppressions d'emplois.

Le peuple suisse devrait s'exprimer sur la question en 2026. A l'heure actuelle, 56% des sondés alémaniques sont contre ou plutôt contre l'initiative UDC. Manuel Puppis, spécialiste des médias, décrypte ce résultat.

Cela vous surprend-il?
Manuel Puppis:
Non, ce qui est plutôt surprenant, c'est que le sondage montre déjà aujourd'hui une nette majorité de non. Les initiatives commencent souvent avec un large soutien, qui diminue ensuite pendant la campagne de votation.

En 2018, le peuple suisse avait clairement dit non à 71,6% à l'initiative «No Billag», une initiative qui voulait supprimer entièrement les redevances radio et télévision. Selon le sondage, pour l'initiative SSR, ils ne sont plus que 56% à s'y opposer. Le vent est-il en train de tourner?
Nous disposons ici de résultats très précoces pour la Suisse alémanique. En principe, je dirais cependant que celles et ceux qui ont déjà voté «oui» à l'initiative «No Billag» en 2018 voteront aussi «oui» à l’initiative SSR.

«Cette dernière pourrait cependant obtenir un meilleur résultat, car elle paraît moins extrême au premier abord. De plus, les critiques envers la SSR ont augmenté et viennent de différents côtés.»
A propos de Manuel Puppis
Manuel Puppis est professeur titulaire en politique des médias, régulation des médias et journalisme à l'Université de Fribourg.
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image: Christiane Matzen, Institut Leibniz pour la recherche sur les médias

Pourquoi les critiques ont-elles augmenté? Que fait mal la SSR?
Il ne s’agit pas tant de ce que fait la SSR, mais plutôt du fait que le contexte pour le service public est devenu plus difficile. D'une part, les partis populistes dans toute l'Europe sont globalement critiques envers les médias publics, car leur couverture va à l'encontre de leur vision des choses, ou parce que les médias publics ont pour mission de représenter la diversité de la société.

Et d'autre part?
Il y a aussi des critiques venant des milieux libertaires. C'est ce que nous avions déjà observé avec l'initiative «No Billag». Ces milieux affirment que tous les services de la SSR pourraient être fournis par des médias privés. Et que ce qui n'est pas offert sur le marché n'est pas nécessaire. Mais ce n'est pas vrai.

«Le marché des médias en Suisse est bien trop petit pour une télévision privée avec une offre de programmes complète.»

Et la volonté de payer pour le journalisme est très faible, notamment sur Internet. Seuls 22% des personnes en Suisse alémanique sont prêtes à payer pour cela. C'est ce que nous avons déterminé à l'Université de Fribourg grâce à un sondage.

«La plupart des gens estiment que le journalisme devrait être gratuit, car chacun a le droit à l'information»

Pourtant, même les médias privés critiquent la SSR.
Exact. Les médias privés pensent qu'ils sont en concurrence avec la SSR. Par exemple, les journaux affirment qu'ils pourraient vendre beaucoup plus d'abonnements en ligne si la SSR se concentrait uniquement sur la radio et la télévision. Nous avons également examiné cette affirmation dans notre étude.

«Le résultat: si nous arrêtions RTS Info du jour au lendemain, la plupart des gens se tourneraient vers d'autres offres gratuites»

En bénéficieraient watson, blue News, Nau et 20 Minutes, ainsi que les réseaux sociaux. Seule une toute petite partie souscrirait un abonnement à un journal. A l'échelle de toute la Suisse alémanique, cela représenterait au maximum 19 000 abonnements.

19 000 abonnements supplémentaires, cela semble beaucoup pour les journaux.
C’est un petit chiffre, comparé à ce qui serait perdu. Sans RTS Info, nous atteindrions nettement moins de personnes avec des contenus journalistiques.

«Ce serait fatal»

Nous vivons à une époque où circulent de fausses informations et où des acteurs comme la Russie tentent délibérément de perturber nos processus démocratiques.

A la télévision et à la radio, la SSR constitue néanmoins une réelle concurrence pour les médias privés.
Oui, mais là aussi seulement pour quelques formats télévisés, par exemple lors de grands événements sportifs. Sans la SSR, ces émissions se retrouveraient probablement simplement sur des chaînes payantes.

«La plupart des autres formats proposés par la SSR ne seraient pas rentables pour un média privé. Je parle d'émissions de reportages, d'émissions culturelles, de films et de séries suisses. Tout cela ne pourrait pas être financé uniquement par les recettes publicitaires.»

De plus, si la SSR disparaissait, les recettes publicitaires chuteraient aussi pour les chaînes de télévision privées.

Pourquoi?
La Suisse est très petite et compte en plus plusieurs régions linguistiques.

«Sur le marché de la publicité télévisée, la SSR est le principal acteur. Sans elle, la plupart des entreprises ne trouveraient plus rentable d'investir dans la publicité télévisée en Suisse.»

Leurs budgets publicitaires iraient alors uniquement à RTL, ProSieben et consorts. Et bien sûr, de manière encore plus importante, aux géants technologiques comme Google et Meta.

Le fait que des budgets publicitaires partent vers des entreprises technologiques américaines est déjà un gros problème pour le journalisme suisse.
En effet. Les recettes publicitaires des journaux se sont effondrées ces trente dernières années.

«Les problèmes liés aux géants technologiques ne cessent d'augmenter»

ChatGPT, Google et consorts utilisent des textes journalistiques pour entraîner leur intelligence artificielle, sans indemniser les médias pour cela.

«Des études américaines montrent que les résumés générés par l'IA dans les résultats de recherche Google font que les médias ne reçoivent plus qu'une fraction des clics pour leur travail.»

Et la politique ne semble pas prête à agir contre cela. Au printemps, le Conseil fédéral a repoussé une décision sur la régulation des entreprises technologiques. Pour la énième fois. Sans fournir d'explication.
Oui, le Conseil fédéral voulait probablement éviter de compromettre les négociations douanières avec le président américain Donald Trump.

Cela a bien fonctionné.
Evidemment.

Si le peuple acceptait cette initiative, quelles seraient les conséquences pour la SSR?
Cela aurait un impact massif sur les prestations de programmes. L’initiative SSR ne prévoit pas seulement de ramener la redevance des ménages à 200 francs. Toutes les entreprises seraient également exemptées de cette redevance.

«Ce serait littéralement une division du budget par deux»

Aujourd'hui, la SSR produit une offre complète dans trois langues nationales, ainsi que certains contenus en romanche, avec des redevances s'élevant à un peu moins de 1,3 milliard de francs. Il faut comparer cela avec l'Allemagne: l'ARD reçoit plus de 6 milliards d'euros de redevances. C'est une tout autre catégorie. On peut déjà prendre en considération l'effet de la réduction progressive de la redevance Serafe de 335 à 300 francs décidée par le Conseil fédéral.

«La SSR doit économiser 270 millions d'ici à 2029 et se prépare à une restructuration totale: des émissions seront supprimées et des employés licenciés.»

Quelles seraient les conséquences de l'acceptation de l'initiative SSR pour l'ensemble de la Suisse?

«Une démocratie solide a besoin de citoyennes et citoyens bien informés»

La question se pose donc de savoir dans quelle mesure la SSR pourrait encore remplir cette mission avec un budget réduit de moitié. Les programmes du début de soirée, que tout le monde critique, ne sont pas ceux qui coûtent cher à produire. Les émissions de cuisine ou les séries américaines sont des programmes bon marché qui remplissent les 24 heures.

«Les contenus coûteux sont l'information, la culture, l'éducation et la fiction locale»

Par exemple, maintenir un réseau international de correspondants. Les médias privés ne pourraient pas combler ce vide. Eux aussi manquent d'argent.

L'année 2024 est restée dans les mémoires, comme celle des réductions dans le journalisme suisse. CH Media, à laquelle appartient watson, a supprimé des postes et fermé tous les portails Today. Ringier et Tamedia ont procédé à des licenciements et fermé des imprimeries. La SSR a supprimé des postes, des émissions, et a annoncé une nouvelle série d'économies pour 2025. Cette évolution peut-elle encore être arrêtée?
Oui, si les médias privés et la SSR commencent à tirer sur la même corde pour exiger de meilleures conditions-cadres pour le journalisme.

«Tout le monde profite d'une SSR forte»

Nous savons par exemple que la disposition à payer pour du journalisme est plus élevée chez les personnes qui consomment des contenus de la SSR. De plus, le service public est tenu de respecter un certain niveau de qualité. Cela pousse les médias privés à se mesurer au service public. Les études internationales l'ont montré à plusieurs reprises.

«Les éditeurs devraient enfin reconnaître que la SSR n'est pas la cause de leurs difficultés financières»

Il faut aussi une volonté politique. Le conseiller fédéral Albert Rösti, en tant que ministre des médias, est-il adapté à ce rôle? En tant que député au Conseil national, c'est lui-même qui a lancé l'initiative SSR.
Le conseiller fédéral Rösti affirme désormais que l'initiative doit être rejetée et qu'il soutient la SSR. Nous ne pouvons que le prendre au mot.

Pour les économies actuelles à la SSR, Rösti porte une part de responsabilité. Le Conseil fédéral a accepté une réduction progressive de la redevance à 300 francs d'ici 2029, prétendument pour contrer l'initiative SSR, selon ses dires. Que pensez-vous de cet argument?
Je considère que réduire la redevance à 300 francs est une mauvaise idée. Les défis pour le journalisme sont immenses.

«Au lieu de discuter de coupes budgétaires, nous devrions parler de ce dont notre démocratie a besoin, à l'ère du numérique, de la part du service public»

Nous avons besoin d'un soutien médiatique tourné vers l'avenir pour les médias privés, dont les médias en ligne pourraient aussi bénéficier. A la place, on subventionne le transport postal des journaux. Et nous menons un discours de réduction. 35 francs d'économies par an et par ménage, c'est un allègement à peine perceptible. Cela ne calme pas ceux qui sont contre la SSR. Et l'initiative SSR ne vise pas non plus à alléger la charge financière des ménages.

Alors, que faire?

«Le véritable objectif de l'initiative SSR est d'affaiblir les médias indépendants»

Il y a quelques années, nous payions encore 465 francs par an de redevances radio-télévision, aujourd'hui c'est 335, bientôt 300 francs. Je ne vois aucun autre domaine où les coûts aient autant baissé.

«Si l'on voulait vraiment alléger la charge des ménages, il faudrait introduire des redevances proportionnelles au revenu, comme en Suède ou en Finlande.»

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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