La dernière fois qu'Iryna Venediktova faisait les gros titres, on apprenait sa fracassante mise à l'écart par le président Zelensky lui-même, le 19 juillet dernier. L'ex-procureure générale d'Ukraine, mais aussi Ivan Bakanov (ancien chef des services secrets) avaient été suspendus en raison de la découverte de dizaines de cas de collaboration avec Moscou au sein de leurs services.
Réputée, depuis les atrocités de Boutcha, pour être la plus grande traqueuse de crimes de guerre perpétrés par la Russie, Iryna Venediktova avait elle-même annoncé en mai dernier que plus de 13000 procès étaient dans le pipeline. On se souvient d'ailleurs de Vadim Chichimarine, le tout premier soldat russe condamné par le tribunal de Kiev.
Aujourd'hui, Iryna Venediktova réapparait sur le radar médiatique, et la Suisse est directement concernée. Le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kuleba, a «signé la demande de nomination de Madame Venediktova comme ambassadrice en Suisse», selon une information de médias ukrainiens relayés par Le Temps. Pour justifier ce choix, il a précisé que «le président est constamment à la recherche de candidats pour les pays qui sont pour lui une priorité».
Pourquoi Iryna Venediktova? Et pourquoi en Suisse? Des questions encore un peu précoces, notamment parce que Zelensky doit valider définitivement cette proposition. Mais tentons d'esquisser quelques pistes. A chaud, René Schwok, professeur en science politique et relations internationales, se demande si ce n'est pas une manière de recaser l'ancienne procureure, «sans l'humilier, mais sans lui offrir non plus trop de pouvoir». Le professeur considère également que le boulot d'ambassadeur en Suisse «n’est pas un poste très prisé. Londres, Paris, Bruxelles, oui, c'est prestigieux. Pas en Suisse.» René Schwok voit aussi dans cette nomination la possibilité pour l'Ukraine «de faire coup double».
Mercredi, le chef de la diplomatie ukrainienne a évoqué le fait que le travail d'Iryna Venediktova «avec des partenaires internationaux au cours des derniers mois vient de montrer qu’elle peut faire ses preuves sur la voie internationale». Pascal Lottaz est d'accord avec ce passage du curriculum vitae de l'ex-procureure.
D'autant que la nomination d' Iryna Venediktova est une décision «politique», comme l'a précisé lui-même le chef de la diplomatie ukrainienne. René Schwok poursuit son analyse à chaud: «Elle n'a pas le profil type de la diplomate de métier et c'est probablement ce qui fait sa force aujourd'hui. Sans oublier que la Suisse est probablement encore considérée comme un potentiel maillon faible, ne faisant partie ni de l'Otan, ni de l'UE.»
Au point d'imaginer que sa nomination vienne volontairement bousculer le principe de neutralité de la Suisse? «Non, considère Pascal Lottaz. La Suisse est justement une plateforme de choix grâce à sa neutralité.»
Le chercheur précise tout de même que l'aspect prioritaire de la Suisse, spécifié par Dmytro Kuleba mercredi, est d'abord une locution de communicant: «Dans le contexte diplomatique, chaque pays est une priorité.»
Une fois que Zelensky aura validé (ou non) cette nomination, le cahier des charges exact d'Iryna Venediktova devrait également s'éclaircir.