Au Cirque Knie, des artistes de tous horizons se côtoient au quotidien. Dans le brouhaha qui précède la prochaine représentation, on entend de l'allemand, de l'anglais et de l'italien, mais aussi du russe et de l'ukrainien. Autour du chapiteau, on parle pas moins de 17 langues et la Russie et l'Ukraine comptent parmi les nations les plus représentées au sein de la troupe. Dans près de la moitié des numéros - sept sur quinze - des artistes des deux pays sont sur la piste.
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Le Cirque Knie est actuellement en tournée en Suisse. A quelques heures de vol à l'est, Russes et Ukrainiens s'affrontent dans une guerre déclenchée par Poutine il y a un peu plus d'un an. Qu'en pensent les artistes ukrainiens et russes? Comment la situation impacte-t-elle la vie et le travail des membres du cirque?
«Au cirque, les nationalités ne jouent aucun rôle», explique Anastasiia Melchior, originaire de Dnipro, une ville de plusieurs millions d'habitants située dans l'est de l'Ukraine. L'artiste a fait de la gymnastique pendant longtemps quand elle était jeune, puis a suivi une formation de cirque à Kiev. Elle a intégré le Cirque Knie en 2019, comme gymnaste aérienne.
Sur l'une des chaises rouges du public, à côté d'Anastasiia, se trouve sa collègue Ekaterina Errani. «L'armée russe largue des bombes sur les gens en Ukraine. On ne peut pas cautionner cela», dit la Russe, qui fait partie du groupe de danse Bingo, le même qu'Anastasiia.
Ekaterina Errani n'a pas suivi de formation. Tout ce qu'elle doit savoir pour travailler dans le cirque, la jeune femme de 32 ans l'a hérité de ses parents, qui sont également des artistes. Avec eux et les familles de cirque avec lesquelles ils se produisaient, elle a fait le tour du monde pendant toute sa jeunesse. Elle a ensuite suivi des études de marketing à Moscou, pour finalement revenir dans le monde du cirque. Elle a rejoint la famille Knie en 2015, d'abord en tant qu'artiste solo, puis en tant que membre du groupe de danse Bingo.
La pandémie de Covid-19 et ses confinements avaient déjà été un cauchemar pour le Cirque Knie et ses collaborateurs. «C'était une période difficile», se souvient Anastasiia Melchior. Et à peine la pandémie était-elle passée, qu'elle a été suivie, le 24 février 2022, par le début de l'horreur pour les Ukrainiens et les Russes.
La vie d'Ekaterina Errani n'a pas vraiment changé depuis le début du conflit. Elle ne remarque pas vraiment les sanctions ou les restrictions de voyage, ce qui peut s'expliquer par le fait qu'elle est née aux Etats-Unis et bénéficie donc du passeport américain. Pour ses parents, tous deux Russes, c'est différent, explique-t-elle. Mais elle ne prend pas la chose à la légère.
La jeune femme est consciente qu'en Russie, elle ne pourrait pas dire de pareilles choses. Mais elle n'est pas la seule à être de cet avis. En effet, beaucoup de ses amis ont le même avis: «Je ne suis pas contre la Russie. Mais ce que font Poutine et le gouvernement – comment peut-on soutenir une telle politique?»
La mère d'Anastasiia est sur le front en Ukraine depuis le début de la guerre.
«Même si je ne suis pas aussi directement concernée par la guerre - c'est émotionnellement difficile pour nous deux», lance Ekaterina. Cette réflexion fait monter les larmes dans les yeux des deux jeunes femmes. Bien qu'elle ait reçu une formation militaire complète, la mère d'Anastasiia est engagée derrière le front en tant que cuisinière. Les deux femmes entretiennent des contacts réguliers, mais la mère n'a pas le droit de dire à sa fille où elle se trouve exactement.
Des amis d'Anastasiia sont aussi au combat. «Certains sont morts sur le front», dit-elle, avant d'interrompre son récit. Elle semble avoir du mal à croire ce qu'elle vient de dire. Elle aimerait se rendre en Ukraine pour voir sa famille. «Mais mon mari trouve cela trop dangereux». Elle n'y est donc pas retournée depuis le début de la guerre.
En Suisse, la seule chose qu'Anastasiia peut faire pour soutenir ses compatriotes, c'est de participer à des collectes. Depuis le début de la guerre, la communauté ukrainienne s'active jour et nuit, surtout sur les réseaux sociaux. «Ce sont surtout des systèmes de chauffage mobiles qui sont recherchés en ce moment», explique la jeune femme de 29 ans.
Et soudain, Anastasiia se lève pour aider à la préparation du manège pour la prochaine représentation. Elle commence dans quelques minutes. «Ma situation n'est rien comparée à celle d'Anastasiia», confie Ekaterina. Pour les deux jeunes femmes, c'est l'heure de passer au maquillage. Le quotidien du cirque est très rythmé, les premiers spectateurs attendent déjà devant les portes pour entrer. Show must go on.