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«La Suisse ne doit pas se cacher derrière le droit de la neutralité»

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«La Suisse ne doit pas se cacher derrière le droit de la neutralité»

Sacha Zala, professeur d'histoire à l'Université de Berne, spécialiste des questions diplomatiques, sera entendu par la commission de la politique de sécurité sur le dossier brûlant de la réexportation d'armes suisses vers l'Ukraine. Il s'est confié en avant-première à watson.
28.03.2023, 19:2509.04.2023, 10:04
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«La neutralité est une question purement politique, or l’on fait semblant de croire que c’est une question de droit.» Ces propos, recueillis mardi par watson, sont ceux du professeur Sacha Zala, le président de la Société suisse d’histoire (SSH), par ailleurs directeur des documents diplomatiques suisses (Dodis). Le 7 mai, le professeur Zala sera entendu par la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats, avons-nous appris. «J’ai en effet reçu une invitation de la commission pour ce jour-là», confirme-t-il.

L’objet de cette audition: l’épineux dossier de la réexportation de matériel de guerre vers l’Ukraine, interdite en l’état actuel de la loi. Le parlement ne s’est toujours pas mis d’accord sur une modification des textes qui autoriserait la livraison d’armes suisses aux Ukrainiens par des pays tiers.

«C’est au parlement de prendre ses responsabilités»
Sacha Zala

«En ce qui me concerne, reprend Sacha Zala, ce n'est pas mon rôle de dire s’il est juste ou non de réexporter du matériel de guerre, en l’occurrence vers l’Ukraine. Je trouve en revanche infondé de recourir à des arguments de droit international pour s’opposer à une révision de la loi sur le matériel de guerre. Le droit international de la neutralité n’a rien à voir avec la législation suisse sur l’exportation d’armes.»

Qu’est-ce qu’être neutre?

Qu’est-ce qu’être neutre quand d’autres pays sont en guerre, alors? «Du point de vue du droit international, c’est simplement ne pas faire la guerre et c’est ne pas mettre son territoire à la disposition des belligérants», répond Sacha Zala, italophone originaire des Grisons. Le professeur d'histoire à l’Université de Berne (Unibe) renvoie tout en s'en démarquant à la Convention de La Haye de 1907, qui règle «les droits et les devoirs des Puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre».

«Cette convention, adoptée avant la Première Guerre mondiale et dont la Suisse est restée signataire, est aujourd’hui pour la majorité des Etats obsolète»
Sacha Zala

«La Convention de La Haye n’a pas empêché la Belgique, neutre en 1914 et 1939, d’être par deux fois envahie par l’Allemagne, au point que les Belges ont abandonné la neutralité pour intégrer l’Otan en 1949», ajoute-t-il. Cette remarque rejoint ce qu’un diplomate suisse confiait début février à watson, à savoir que la Suisse, selon lui, devait beaucoup à son relief montagneux de n’avoir pas été envahie elle aussi. 👇

«La neutralité n’est pas un droit donné par Dieu»

«Le rapport quasi mystique que la Suisse entretient avec la neutralité s’explique en grande partie par le fait qu’elle a échappé aux deux guerres mondiales du 20e siècle. Sauf que la neutralité n’est pas un droit naturel donné par Dieu. Au demeurant, la Convention de La Haye, dont la Suisse a fait une espèce de religion d’Etat, n’interdit pas à un pays neutre signataire d’exporter des armes à un belligérant. Elle dispose en revanche que si des restrictions d’exportation d’armes ou de munitions sont prises pour l’un, elles devront l’être pour l’autre, ce qui n’est pas pareil.»
Sacha Zala

Les membres de la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats s’attendent probablement à entendre les arguments exposés ici par le professeur Zala. Une majorité d’entre eux n’en sera peut-être que plus convaincue de la nécessité d'autoriser la réexportation de matériel de guerre vers l’Ukraine par des pays tiers, ainsi que l’Allemagne, le Danemark et l’Espagne en ont fait la demande.

En l'espèce, avertit Sacha Zala:

«La Suisse ne doit pas se cacher derrière le droit de la neutralité, la décision qu’elle prendra, quelle qu’elle soit, sera politique»

Si le droit de la neutralité, selon le professeur d’histoire, ne dit rien à ce sujet, «ce n’est pas le cas de la politique de neutralité, qui est la somme des mesures prises par la Suisse pour rendre crédible sa neutralité». En parallèle, des partis puisent dans la neutralité ce qui leur convient: l’UDC la veut «intégrale», quand la gauche l’invoque pour restreindre l'exportation d’armes.

D’autres experts, professeurs d’histoire et droit, devraient être entendus en mai par la commission de politique de sécurité des Etats. Les photocopies des comptes-rendus de ces auditions seront ensuite transmises à la commission sœur du Conseil national. Les sénateurs devraient débattre à la session de juin de la «Lex Ukraine» proposée par Le Centre et qui prévoit qu’on fasse exception à la loi pour l’Ukraine.

Mais il faudra certainement attendre l’automne ou l’hiver pour que, le cas échéant, le parlement autorise la réexportation de matériel de guerre vers ce pays. Les armes se seront peut-être tues d'ici là, ce qui serait en soi une bonne nouvelle. Le conseiller aux Etats jurassien centriste Charles Juillard, membre de la commission de politique de sécurité et favorable à la «Lex Ukraine», fait ce commentaire:

«Se dire, que pendant tout ce temps-là, on aurait tergiversé, ça me met en rage»
Charles Juillard
Les cimetières russes semblent de plus en plus étroits
Video: watson
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