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Analyse

La Suisse ne croit plus dans sa neutralité

Analyse

La Suisse ne croit plus dans sa neutralité

La guerre en Ukraine met durement à l'épreuve la neutralité suisse. Si nous y demeurons attachés, c'est aujourd'hui moins par conviction que par superstition ou pour des raisons identitaires. Autopsie d'un désenchantement.
01.02.2023, 18:2902.02.2023, 14:22
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La mythologie sort aussi de la bouche des enfants. Mercredi matin sur l’antenne de La Première, des enfants étaient donc interrogés sur leur espérance de vie. A quel âge, non pas pensaient-ils, mais voudraient-ils mourir. Le plus tard possible, au terme d’une belle vie, percevait-on dans leurs réponses. L’un d’eux loua la neutralité suisse, qui préserve de la guerre, autrement dit, de la mort. N’avait-on pas, en Suisse, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, remercié la Providence, comme cinquante ans plus tard le fit encore l’ex-conseiller fédéral vaudois Georges-André Chevallaz dans un livre intitulé «Le Défi de la neutralité» (éditions de L’Aire)? Chevallaz avait entre-temps dirigé le Département militaire fédéral, de 1980 à 1983, durant la guerre froide, en pleine crise des euromissiles.

L’actuel chantage au missile nucléaire de Vladimir Poutine réveille le souvenir de cette époque angoissée et peut faire croire à certains que la neutralité les protégerait tel un talisman des périls du temps comme aux époques les plus troublées du siècle dernier. Pourquoi pas? La politique, au sens plein, est aussi affaire de croyances, sans lesquelles rien de bien solide n’existerait.

Mais, à la différence d’il y a vingt ou trente ans, la neutralité, comme superstructure protectrice, s’ajoutant à l’infrastructure des abris antiatomiques, ces églises du jour d’après, opère moins.

Des marges de manœuvre limitées, pour rester poli

Les gens se rendent compte que la neutralité ne les épargnerait probablement plus des plus dures épreuves. Ils prennent acte des changements constatés ou en cours. La Suisse est inextricablement liée à l’Occident, à ses économies et ses armées. Sur un plan extérieur, la neutralité demeure une posture, une manière d’essayer d’exister, mais elle est comme morte dans la réalité des rapports de force internationaux. Le Conseil fédéral n’a pas eu un seul instant le choix lorsqu’il s’est agi de reprendre les sanctions adoptées par l’Union européenne contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine.

A ce propos, dans une interview à watson en mars 2022, l’historien de la politique suisse Olivier Meuwly, de sensibilité radicale, avait fait cette analogie qui pouvait paraître osée mais qui ne manquait certainement pas de pertinence:

«Sans bien évidemment rapprocher de quelque façon que ce soit l’Union européenne et le IIIe Reich, la Suisse, sur un plan géopolitique, se trouve dans une situation semblable à celle qui fut la sienne durant la Seconde Guerre mondiale: elle est encerclée»
Olivier Meuwly

Moralité: en 1939 comme en 2022, la politique de neutralité offre des marges de manœuvre limitées, pour rester poli.

Arme de cohésion nationale

Sur un plan intérieur, la neutralité reste un élément de cohésion nationale. Mais les politiques auraient tort de faire entièrement reposer la raison d'être suisse sur ce béton fatigué.

Il faut avoir la vue bouchée pour ne pas constater qu’aujourd’hui, trois partis gouvernementaux – du moins des voix fortes en leur sein – ne croient plus à la neutralité, en tout cas pas pour la guerre qui fait rage en Ukraine. Diverses raisons, allant de l’intérêt économique à la morale en passant par un opportunisme de dernière minute, font que radicaux, centristes et socialistes plaident toujours plus, à leur manière respective, pour un rapprochement avec l’Otan.

Mais, surtout, ces partis sont instruits du passé des guerres européennes. Face à l’Histoire, la Suisse, se disent-ils sûrement, ne peut plus se raconter d’histoires. Comme le note un diplomate occidental, lui-même issu d’un pays neutre et qui souhaite garder l’anonymat:

«Les Suisses sont neutres comme les Français ont tous été résistants pendant la Seconde Guerre mondiale: une fable, une mythologie»
Un diplomate occidental

Le diplomate développe:

«Il y a bien une guerre au XXe siècle où la Suisse fut réellement neutre, choisit de l’être pleinement, c’est la Première Guerre mondiale. Elle le fut beaucoup pour conserver sa cohésion intérieure, quand la Suisse alémanique penchait du côté allemand et la Suisse romande du côté français. Mais ce n’est pas la neutralité qui l’a épargnée durant la Seconde Guerre mondiale. La Suisse peut remercier le Ciel ou la nature de l’avoir faite à ce point montagneuse, sinon, elle n’y coupait pas, à l’image des Pays-Bas et de la Belgique, plats et de ce fait bien plus faciles à envahir et traverser.»
Un diplomate occidental

«L’UDC a une conception salafiste de la neutralité»

Flyer zur Netralitaetsinitiative in den Sprachen Deutsch, Franzoesisch und Italienisch liegen auf einem Pult, vor Beginn der Medienkonferenz zur Lancierung der Neutralitaetsinitiative, am Dienstag, 8. ...
Lancement de l'initiative «Sauvegarder la neutralité», soutenue par Christoph Blocher. Berne 08/11/2022KEYSTONE

Des partis gouvernementaux, seule l’UDC entend conserver la neutralité dans des dimensions politique et armée qu'elle s'imagine immuables. Le parti de Christoph Blocher et Marco Chiesa a certainement là-dessus des soutiens placés à des postes importants. Pour l’instant, le Conseil fédéral est plutôt sur cette ligne, qu’on pourrait qualifier d’orthodoxe ou de conforme à l'esprit des institutions. Peut-être parce que le Conseil fédéral est le garant des grands équilibres, extérieurs comme intérieurs. Agirait-il en coulisse, ce n’est pas à lui de lancer des ballons d'essai au grand jour. Des parlementaires s'en chargent.

Notre diplomate, reprenant son inventaire, affirme que «l’UDC a une conception salafiste de la neutralité». Un expert militaire, qu’on ne peut ranger à gauche, estime pour sa part que «l’UDC et ceux qui, dans l’armée, partagent son point de vue favorable à une stricte indépendance de la défense suisse, se leurrent». Il avance une raison qui n'est pas que technique:

«Les armes achetées par la Suisse sont remplies de systèmes et composants sur lesquels elle n’est pas souveraine. Elle est dépendante de technologies de pays partenaires et dépendante aussi et en partie des politiques de pays partenaires.»
Un expert militaire

Le pacifisme est aux Verts ce que la chasteté est à l’Eglise

Il reste les Verts. Le pacifisme est aux écologistes suisses ce que la chasteté est à l’Eglise catholique: un point de doctrine non négociable – à défaut d’être toujours observé dans le cas du devoir d’abstinence des prêtres. La neutralité, dont ils détournent le sens historique en ce qu'ils rejettent sa définition armée, leur convient comme instrument d’intervention pacifique dans des situations conflictuelles.

Ils estiment au surplus que ce n'est pas parce que la Suisse, en l'occurrence neutre, serait armée, qu’elle ne serait pas balayée par une attaque massive. Les Verts disent ici plutôt la même chose que ceux qui militent plus ou moins ouvertement pour une intégration à divers degrés de la Suisse dans l’Otan. Sauf qu’ils ne veulent en aucun cas d’une alliance militaire. Rapporté à l’Histoire, ce pacifisme peut paraître lâche ou ridicule. On peut aussi lui trouver du cran. Le diplomate, cité plus haut, juge «les Verts et la gauche dans le déni sur les questions de défense».

Si l’Autriche, travaillée par son passé nazi et traumatisée par la guerre froide, tant elle était placée nez-à-nez avec les blindés du Pacte de Varsovie, semble réellement attachée à la neutralité*, force est de constater que ce lien se distend en Suisse, faute de trouver un sens clair à tout cela.

*Voir ce sondage réalisé en Autriche en juin 2022.

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