C’est une lettre ouverte «pour la défense de la liberté académique en Suisse». Soutenue par «plus de 1000 signatures», la moitié d’entre elles provenant de l’étranger, elle a été initiée le 27 février par des membres de l’Université de Berne, «en collaboration avec des collègues des universités de Bâle, Lausanne et Zurich». La démarche présente un lien étroit avec l’actualité tragique du Proche-Orient. Qu’elle émane de personnels bernois ne doit rien au hasard.
En effet, le 1ᵉʳ février, l’Université de Berne annonçait la dissolution de l’Institut d’études du Proche-Orient et des sociétés musulmanes. Cette décision faisait suite à la publication en octobre, par un doyen de cet institut, de messages sur X saluant les attaques du Hamas. Le doyen en question avait été licencié avec effet immédiat. Une enquête interne avait été diligentée. Le rapport d’enquête estimait que la frontière entre le travail académique et le militantisme politique n’était pas établie.
Le Département des études urbaines de l'Université de Bâle évitait de peu la dissolution, mais n’échappait pas à une reprise en main. En octobre et toujours en lien avec le massacre du 7 dans le Sud d'Israël, des étudiants publiaient sur le site web de l'université une déclaration dans laquelle ils se solidarisaient avec le peuple palestinien, sans mentionner l'attaque terroriste du Hamas. Des messages publiés sur les réseaux sociaux rendaient compte de l’orientation idéologique, en l’espèce, pro-palestinienne, du département en question.
En réaction aux sanctions prises à Berne comme à Bâle, avec lesquelles ils semblent en désaccord, les signataires de la lettre ouverte du 27 février s’inquiètent de «l’érosion de la liberté académique et du climat anti-intellectuel en Suisse».
Rédigée en écriture inclusive, défendant le droit de pouvoir critiquer le sionisme sans être accusé d'antisémitisme, la lettre ouverte n’est pas neutre politiquement. Par certains aspects, elle s’inscrit dans la «bataille culturelle» qui oppose en Occident les conservateurs aux progressistes, les «réacs» aux «wokes». De par son ton et les problématiques qu'elles soulèvent, la lettre se range plutôt dans la deuxième catégorie.
Ce que redoutent les signataires, du moins les auteurs de ce qui s'apparente à une pétition, c’est une remise en cause globale de tout un pan des sciences sociales, aujourd’hui en vogue dans le monde universitaire. Aussi mettent-ils les pieds dans le plat lorsqu’ils écrivent:
La presse n’est pas épargnée: «Des pans influents du monde médiatique ont continué à fournir des représentations déformées, simplistes et, dans de nombreux cas, factuellement erronées de ce que les institutions, les chercheurs·euses·x et des disciplines entières représentent et font réellement.»
A la lecture de cette lettre, on a l’impression d’un plaidoyer en faveur d’une force historique en marche, celle des «changements» en cours et à venir, qu’il s’agirait de ne pas entraver. Dans leurs doléances, les signataires écrivent:
Joint par watson, Joseph Daher, professeur invité à la faculté des sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne, connu pour ses positions antisionnistes, dit pourquoi il a signé la lettre ouverte:
La lettre ouverte s’adresse d'abord aux directions universitaires. Le rectorat de l’Université de Genève (UNIGE) en a pris connaissance. Réaction très peu enthousiaste de son chef de la communication, Marco Cattaneo.
Les deux «mais» dans la réaction officielle de l'UNIGE semblent signifier aux auteurs de la lettre que la recherche scientifique ne peut pas servir d’alibi au militantisme politique. La charte d’éthique de l’Université de Genève place tout en haut «la recherche de la vérité»:
Une source proche d'une direction universitaire jointe par watson n’y va pas par quatre chemins:
Nombreux sans doute sont les signataires qui ont tenu témoigner leur profond attachement au principe de la liberté académique sans nécessairement tout partager du contenu de la lettre. C’est le cas de Sandro Cattacin, professeur de sociologie à l’UNIGE.
Sandro Cattacin en vient aux deux affaires à l’origine de la lettre ouverte. «Aux universités de Berne et de Bâle, des personnes ont fauté, elles ont tenu des propos tout à fait contestables. Quelles que soient les opinions de chacun, il importe de faire de l’université le lieu de l’échange des idées, c’est primordial pour la démocratie. C’est pourquoi les violences visant de conférenciers en 2022 à l’Université de Genève étaient inacceptables.» Des activistes LGBT avaient interrompu violemment des conférences sur le transgenrisme.
Les 500 signataires, le nombre émanant des universités suisses proprement dites, sont une toute petite part des quelque 30 000 personnels enseignants œuvrant dans le giron universitaire helvétique. Leur démarche trouvera-t-elle un écho auprès des directions universitaires, déjà passablement aux prises avec les mouvements de la gauche radicale?