On peut le dire, c’est au siège du Parti libéral-radical, la Maison vaudoise, place de la Riponne à Lausanne, que l’alliance de droite entre le PLR, l’UDC et Le Centre s’est nouée. Là, à l’étage au-dessus de la brasserie Le Vaudois, dans ce qui fut à l’origine le Cercle démocratique, fief des radicaux de 1848, que Valérie Dittli et ses partenaires ont passé un accord pour les élections cantonales de mars-avril 2022.
Nous sommes à l’automne 2021 – personne ne se souvient précisément de la date. Les trois présidents cantonaux, Marc-Olivier Buffat pour le PLR, Kevin Grangier pour l’UDC et Valérie Dittli pour Le Centre, dont elle a pris la direction un an plus tôt, s’entendent sur un ticket commun.
«C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance de Valérie», raconte Yvan Pahud, chef du groupe UDC au Grand Conseil, qui assiste à cette réunion fondatrice. «Je n’ai pas souvenir qu’elle ait annoncé à ce moment-là sa candidature au Conseil d’Etat. Elle a dit qu’elle se mettait à la disposition de l’Alliance vaudoise rassemblant les trois partis, sans donner l'impression de se mettre elle-même en avant, elle écoutait les autres», se souvient le député cantonal.
«Je l’ai rencontrée à plusieurs reprises, nous avons mangé plusieurs fois ensemble», relate Marc-Olivier Buffat.
Tout commence avec son arrivée à Lausanne en 2016 pour entamer un doctorat en droit. Elevée dans la politique, un père agriculteur, une mère assistance sociale, une grande sœur qui fera la même ascension fulgurante sur ses terres d’origine, la Zougoise Valérie Dittli est de sensibilité démocrate-chrétienne.
Elle a 24 ans lorsqu’elle pousse pour la première fois la porte de la section vaudoise de ce qui s’appelle à cette époque encore le PDC. Jacqueline Bottlang, aujourd’hui vice-présidente du Centre, se remémore cet instant:
En 2016, le PDC vaudois n’est pour ainsi dire plus représenté. Il lui reste un conseiller national, Claude Béglé. Elu en 2015, il sera battu en 2019. Les démocrates-chrétiens se demandent sérieusement s’ils ne vont pas disparaître de la scène politique vaudoise. Et voilà qu’apparaît Valérie Dittli, telle une Heidi venant redonner goût à la vie à une Clara trop souvent alitée. «Notre parti était vieillot et démodé. On avait là un nouveau visage, une nouvelle personne, sans elle, on aurait mis la clé sous la porte», poursuit Jacqueline Bottlang. Valérie Dittli ou la divine surprise.
Entrée dans la demeure, notre Heidi y fait sa place. Elle est entreprenante et dévouée. En 2020, elle se hisse à la présidence du parti. Mais une gouvernante agit dans l’ombre: Claude Béglé, le conseiller national. En 2021, au cours d’une réunion tenue par visioconférence, Covid oblige, Valérie Dittli signifie à Claude Béglé sa retraite politique. De même qu’elle prend congé de celui qui fut la grande figure démocrate-chrétienne vaudoise pendant près de 20 ans, Jacques Neirynck. Valérie Dittli confie alors au Temps:
S’il en est un de content, c’est le président du PDC suisse, Gerhard Pfister. A-t-il joué un rôle dans l’ascension vaudoise de Valérie Dittli, originaire comme lui de la localité zougoise d’Oberägeri? La jeune femme a-t-elle été parachutée en pays de Vaud pour y redorer le blason de la démocratie-chrétienne? Gerhard Pfister n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais Jacqueline Bottlang ne le pense pas. «Le président du PDC suisse était naturellement au courant des activités de la section vaudoise. Un président de parti se réjouit des bons résultats et compatit aux mauvais», dit-elle.
Le destin vaudois de Valérie Dittli tient beaucoup aux circonstances. A commencer par l’état moribond d’un parti qui a vu en elle sa possible planche de salut. Entre Le Centre et Valérie Dittli, le plus demandeur n’était pas la seconde, comprend-on. «Son investissement totalement bénévole, son dynamisme et sa vision ont été des moteurs essentiels dans la conduite et le développement du parti. Elle a tellement fait l’unanimité, tellement convaincu, que le parti lui a demandé de se porter candidate, aux municipales lausannoises de 2021 d’abord, aux cantonales de 2022 ensuite», rapporte Emilio Lado, le nouveau président de la section vaudoise du Centre, joint par watson.
Le jeune homme estime que l'on fait un mauvais procès à Valérie Dittli. Ses allers-retours fiscaux?
Le Centre se montre compréhensif, mais était-il au courant des changements successifs de domiciliation fiscale de la candidate aux municipales, puis aux cantonales? Son président répond sans répondre: «Ce que je peux dire, c'est que Mme Dittli avait son domicile fiscal à Lausanne lorsqu'elle s'est présentée aux deux scrutins, conformément aux règles en vigueur.» Au surplus, Emilio Lado se réclame d'une «nouvelle direction» et ne souhaite pas s'exprimer pour l'ancienne équipe dirigeante du parti, en fonction jusqu'à l'accession de Valérie Dittli au gouvernement vaudois. On perçoit un peu de gêne dans cet exposé des faits, ce que confirme une phrase du communiqué adressé mercredi aux médias par le secrétariat général du Centre:
La meilleure défense étant l'attaque, Emilio Lado parle du «mépris de la gauche» à l’égard de Valérie Dittli et pour les Vaudois qui l’ont élue. «Non, ni Valérie Dittli, ni Le Centre, ni ses électeurs n’ont fait preuve de légèreté, elle est totalement légitime dans sa fonction de conseillère d’Etat. Aujourd’hui, on dit stop. On est entré dans un bashing malsain», tonne-t-il, dénonçant un «acharnement» contre la jeune élue, «spécialement en cette journée internationale pour le droit des femmes (réd: mercredi)».
Le PLR, qui «croit aux alliances», lâchera-t-il la centriste? «Valérie Dittli va fournir des explications sur sa situation fiscale», répond Marc-Olivier Buffat.
De nouveaux éléments révélés par 24 Heures sont de nature à compliquer la situation de Valérie Dittli. La conseillère d’Etat userait indûment du titre de docteur en droit pour n’avoir pas déposé physiquement sa thèse à la Bibliothèque cantonale universitaire, démarche obligatoire pour la valider. Elle l'a cependant défendue avec succès devant un jury.
Plus ennuyeux peut-être, le journal vaudois laisse entendre qu’elle aurait pu percevoir un montant annuel de 65 000 francs au minimum, de 75 800 francs au maximum durant ses années d’assistante-doctorante à l’Université de Lausanne (Unil). Soit plus que le revenu moyen calculé par la RTS dans ses révélations. «Attention, il faut voir à quel taux d’activité a été engagée Valérie Dittli, prévient un ancien professeur de l’Unil. Les rémunérations indiquées par 24 Heures correspondent à un 100%.»
Les explications de la ministre sont attendues. Le Centre retient son souffle.