Le Parti socialiste a déposé mardi une interpellation au Grand Conseil vaudois. Elle demande au gouvernement de procéder à une expertise de la situation fiscale de la ministre des Finances Valérie Dittli pour les années d'avant son élection au gouvernement vaudois, en 2022. Le PS ne souhaite pas que cette expertise soit menée par la magistrate du Centre elle-même, mais, par exemple, par un juge fiscaliste, précise le président du PS Vaud, Romain Pilloud. Le Conseil d'Etat a trois mois pour répondre à l'interpellation. Et voici l'interview accordée à watson par René Knüsel, professeur honoraire à la Faculté des sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne.
Watson: Avant d’en venir à la question cruciale et passionnelle du maintien ou de la démission de Valérie Dittli du Conseil d’Etat, parlons de son parti, qui lui a servi de ticket d’entrée en terres politiques vaudoises. Que vaut Le Centre, l’ex-PDC, dans le canton de Vaud?
René Knüsel: Historiquement, dans le canton de Vaud, Le Centre est plutôt un parti de migrants venant de l’intérieur de la Suisse, du Valais, du canton de Fribourg, de Suisse alémanique. Valérie Dittli, qui est zougoise, ne déroge pas à la tradition. Le Centre, autrefois le PDC, était fort dans un certain nombre d’endroits du canton de Vaud, là où les catholiques étaient majoritaires ou du moins présents, dans la région d’Echallens, de Montreux, dans une partie de l’ouest lausannois et de la Côte en direction de Genève.
Qu’est-ce qui a séduit Le Centre dans la personnalité de Valérie Dittli?
Son courage. Il lui a fallu du courage pour reprendre la direction du parti en parvenant à faire taire les caciques, les Jacques Neirynck et Claude Béglé, deux anciens conseillers nationaux. Valérie Dittli porte en elle une vision modernisée du parti, comme on peut l’attendre d’une jeune personne. Mais elle incarne aussi un héritage traditionnel, celui du catholicisme de son canton d’origine, Zoug, où Le Centre est la formation majoritaire.
A quoi doit-elle son élection au Conseil d’Etat en 2022?
Avant tout, à des stratèges qui ont noué une union de centre-droit. L’élection de Valérie Dittli a profité du rejet de la socialiste sortante Cesla Amarelle, éliminée du gouvernement au profit de la centriste.
L’élection de Valérie Dittli, qui a gardé un petit accent alémanique, obéit-elle aussi à une volonté, dans le canton de Vaud, dont on sait qu’il fut autrefois sous domination bernoise, de renforcer le lien confédéral avec la partie alémanique?
Quelques électeurs ont peut-être pensé à cela en l’élisant, mais je ne crois pas à cette hypothèse. Au demeurant, son accent n'est pas très marqué. Elle maîtrise brillamment le français pour son peu d’années de présence en Suisse romande, pour autant, elle ne le maîtrise pas complètement encore. Cela ne lui a pas été reproché, cela pourrait l’être et l’aurait probablement été si elle avait repris l’instruction publique. La majorité de centre-droit a sans doute réfléchi à la meilleure place possible pour Mme Dittli au Conseil d'Etat.
A présent, votre pronostic: Valérie Dittli, démission ou pas?
Vraiment?
Il est certain que Mme Dittli prête à présent le flanc à une critique facile. Une critique opportuniste. On ne peut guère la soupçonner de trafic ou de corruption. Elle a certes fait de l’optimisation fiscale. Mais cela a par exemple été le cas de l’ancien conseiller fédéral PLR Johann Schneider-Ammann, qui avait déplacé le siège de son entreprise à l’étranger. Et ce fut aussi le cas de l’ex-conseiller d’Etat vaudois PLR Pascal Broulis, qui avait gardé son domicile fiscal à Sainte-Croix quand la majeure partie de sa vie se passait à Lausanne.
Le problème est sans doute moins l’optimisation fiscale que le soupçon d'un manque d’intérêt de sa part pour le canton à la direction duquel elle est partie prenante.
Oui, si l’on veut faire une carrière politique en l’occurrence dans le canton de Vaud, vous devez être du lieu, en tous les cas faire la preuve d’une réelle volonté d’intégration. Ce sont ses intentions politiques qui ne sont pas très claires chez elle. Ce qu’on peut lui reprocher, c’est de faire une thèse de doctorat à Lausanne, d’enchaîner avec un stage d’avocate à Berne, d’alterner ensuite entre ses domiciles fiscaux. Elle est en quelque sorte une itinérante.
Ce qui pose la question de la sincérité de sa démarche politique. Le point le plus embêtant pour elle étant peut-être son aller-retour fiscal entre 2021 et 2022, entre sa défaite aux municipales lausannoises et sa candidature victorieuse aux cantonales. N’est-ce pas là que le bât blesse?
Il est certain que, dans sa carrière, cet épisode va rester. Moins parce qu’elle a fait de l’optimisation fiscale, qu'en raison d’une trajectoire politique peu claire. Elle ne donne pas l’impression d’avoir épousé le canton de Vaud. Si cela ne lui est pas fatal aujourd'hui, c’est une question qu’elle devra affronter à la prochaine échéance électorale si elle décidait de se représenter.
Elle pourra toujours plaider son attachement à la terre. Elle est chargée de l’agriculture en plus des finances.
Oui, elle a obtenu de ses collègues du Conseil d’Etat le secteur agricole. Elle s’en sent proche, elle connaît le dossier, son père est agriculteur. Elle s’est commise dans la presse avec des verres de vin à la main.
Mais pour elle, qui a une vision de la Suisse dans l'Europe, Zoug et Vaud ne sont pas loin l’un de l’autre.
On a beaucoup parlé des sœurs Dittli, Laura et Valérie. Comment ne pas imaginer un grand plan romanesque? A Laura, conseillère d’Etat à Zoug, la partie alémanique, à Valérie, la partie romande. La première des deux au Conseil fédéral a gagné…
Il n’y a bien sûr pas de conjuration, mais les sœurs Dittli provoquent un petit effet vampire, celui de deux jeunes personnes ambitieuses, prêtes à dévorer la Suisse. En même temps, cela renvoie d’elles une image plutôt sympathique. On reproche parfois aux jeunes et aux femmes d’être peu impliqués en politique. On a là l’exemple inverse. Il est possible aussi que le canton de Vaud, en termes d’image et à divers plans, tire profit en Suisse centrale de l’implantation chez lui de Valérie Dittli.
Et si elle était contrainte à la démission...
Pour la faire partir, il y a deux manières de s’y prendre. Soit on la confond d’un point de vue juridique, ce qui me paraît en l’état peu probable, soit on monte un dossier contre elle, fait de réprobation médiatique et populaire. Or, politiquement, la majorité de centre-droit au Conseil d’Etat est assez fragile. Remettre en cause cette majorité en passant par une élection partielle en cas de démission de Valérie Dittli risquerait d’être fatal à la droite.
Mais Valérie Dittli pourrait aussi changer de département ou se voir retirer les finances, non?
Cela pourrait se faire, mais on reproduirait la situation intenable de l'ex-conseiller d'Etat genevois Pierre Maudet, à la tête d’un département croupion suite au scandale provoqué par son voyage à Abu Dhabi. Difficile à envisager.