La rengaine actuelle sur Twitter, le royaume de l'indignation permanente, est la suivante: Karin Keller-Sutter ment! A l'origine de cette agitation se trouve un article de l'édition actuelle de la WOZ. Le journal de gauche reproche à la ministre des Finances de dissimuler un plan B et d'induire en erreur les journalistes et les électeurs.
Le cœur de l'affaire? Que se passe-t-il si le peuple rejette, le 18 juin, le projet d'impôt minimum de l'OCDE? Un nouveau projet pourrait-il être introduit à temps pour le 1er janvier 2024? Ou est-ce-que des milliards s'échapperont-ils à l'étranger et d'autres Etats en profiteront pour encaisser la différence entre la charge fiscale plus faible et l'imposition minimale de 15%? C'est l'un des arguments principaux avec lesquels Keller-Sutter se bat pour le projet.
Pour comprendre les enjeux, il faut d'abord le connaître: à partir de l'année prochaine, la Suisse veut taxer à 15% les entreprises actives au niveau international dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros (un peu près autant en francs). La réforme fiscale est en principe un projet de l'OCDE/G20 auquel participent 140 Etats. Une modification de la Constitution est nécessaire pour mettre en œuvre la réforme dans notre pays.
La Confédération s'attend à des recettes supplémentaires de 1 à 2,5 milliards de francs. L'ordonnance de transition dicte qu'un quart de cette manne fiscale sera versé à la caisse fédérale, le reste aux cantons. Le Parti socialiste a décidé de dire non. Il estime que le projet est déséquilibré et profiterait avant tout aux riches cantons de Zoug et de Bâle.
Les socialistes demandent que les cantons et la Confédération reçoivent chacun la moitié des recettes fiscales supplémentaires. L'espoir derrière cette stratégie: si le peuple refuse le projet sous sa forme actuelle, le Parlement se rabattra sur la solution demandée par le PS et le peuple approuvera avec satisfaction la nouvelle clé de répartition.
Selon les sondages actuels, les partisans du projet de réforme ont une nette longueur d'avance. Mais Keller-Sutter ne peut pas se reposer sur ses lauriers pour autant. Son département est sollicité sur le front de la communication. La WOZ a reclamé les e-mails de son département en vertu de la loi sur la transparence et soutient avoir trouvé la preuve que la conseillère fédérale PLR ment. Comment en arrive-t-on là?
Fin février, la collaboratrice personnelle de Keller-Sutter a demandé à l'administration fiscale d'évaluer la «prétendue faisabilité d'un plan B au 1er janvier 2024». L'administration fiscale a répondu qu'en cas de procédure rapide, le Parlement pourrait adopter le projet lors de la session d'automne – et le peuple se prononcer à nouveau en mars ou juin 2024.
Le passage décisif du mail est le suivant: une introduction rétroactive de l'impôt minimum au 1er janvier 2024 serait «juridiquement admissible» si elle est prévue par la Constitution fédérale. La WOZ interprète cela comme un plan B quasiment prêt à l'emploi, que Keller-Sutter passe sous silence pour des raisons tactiques, afin de maintenir son argument principal (l'argent s'écoule à l'étranger).
La WOZ reproche, en outre, à la conseillère fédérale PLR d'avoir induit en erreur les électeurs et les journalistes lors d'une conférence de presse fin avril. A cette occasion, la WOZ avait demandé si une mise en œuvre à temps d'un projet alternatif pour le 1er janvier 2024 était exclue. «Je ne veux pas spéculer», a répondu Keller-Sutter:
Qu'y a-t-il de faux dans cette réponse? Rien du tout. Car un nouveau vote aurait lieu au plus tôt au printemps ou en été 2024. La manière dont le Parlement réajusterait le projet reste totalement ouverte. Il n'est pas possible de créer de la sécurité juridique pour une éventuelle procédure alternative avant une votation, écrit le département des finances dans une «mise au point». Selon ce dernier, l'interprétation de la WOZ est fausse et trompeuse. (aargauerzeitung.ch)
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci