L'affaire qui secoue le monde politique suisse depuis le début de la semaine est plutôt exceptionnelle. Elle contient, cependant, tous les ingrédients du drama politique classique: un politicien de premier plan mis en difficulté, un média gourmand chassant la primeur et quelques affaires juridiques en cours.
Reprenons: on a appris que l'ex-chef de la comm' du conseiller fédéral Alain Berset, Peter Lauener, est visé par une procédure pénale pour avoir donné à répétition des informations confidentielles à Marc Walder, patron du groupe de presse Ringier (dont Blick). Une autre procédure lancée par Lauener vise le procureur extraordinaire qui l'a interrogé, Peter Marti, pour abus de pouvoir et empêche de révéler des preuves contenues dans ses appareils électroniques. Toutes ces informations ont été révélées, samedi dernier, par le groupe CH Media (partenaire de watson).
Face aux critiques du monde politique, le conseiller fédéral socialiste est fragilisé et décrédibilisé. Mais il ne lâche rien. Questionné par quatre fois par la RTS en une semaine, il se réfugie systématiquement derrière l'argument de la procédure pénale en cours qu'il ne peut pas commenter.
Une posture assez classique, mais maîtrisée, qui lui permet de jouer la montre: tant que les documents saisis sur les appareils de Peter Lauener restent sous scellés, Alain Berset n'a rien à craindre. Qu'il ait été complice des fuites, les ait tolérées ou ait été complètement aveugle sur ce qui se passait dans son département fédéral de l'Intérieur (DFI), en l'absence de preuves, le Fribourgeois est couvert.
A peine consent-il à lâcher du bout des lèvres que les révélations de ces fuites sont «scandaleuses» — les révélations, pas les fuites. Tout cela semble lui couler dessus comme sur les plumes d'un canard. Et ce petit jeu durera autant qu'il le devra. Au moins jusqu'aux élections fédérales d'automne prochain et des réélections des conseillers fédéraux ayant lieu dans la foulée?
Pour Ringier et Blick, c'est une autre histoire. Car exploiter une telle fuite est prestigieux pour le média de boulevard zurichois. Mais il faut le faire sans entacher sa réputation. Du coup, on s'entête à assurer l'indépendance du média à grand renfort de slogans bruyants.
Car, tant qu'à devoir se défendre publiquement, autant le faire en bonne et due forme, en bombant le torse et chantant bien fort, comme un coq.
Le texte de Blick est pour le moins intéressant, car on nous y assure tout et son contraire: «Non, il n'y a pas eu de fuites du DFI vers Marc Walder. D'ailleurs, cela ne change rien, car le patron n'a aucune influence sur la rédaction. La preuve: voici nos valeurs.» Circulez, il n'y a rien à voir.
Cet argumentaire en bloc saura-t-il convaincre les spectateurs de ce pénible spectacle politico-médiatique? Le doute est permis. Et ce d'autant que la position du patron de Ringier sur les mesures Covid était déjà connue.
Marc Walder a-t-il reçu ces informations confidentielles? Pour l'heure, c'est parole contre parole, CH Media ne livrant pas ses sources — principe journalistique oblige. C'est vous, chers citoyens, qui serez juges de ce qui se passe dans la basse-cour de Berne.