On pensait que 2022 enterrait avec elle son lot d'«affaires Berset». C'est raté: 2023 vient de commencer et le conseiller fédéral socialiste est à nouveau dans la tourmente. Et cette fois-ci, pas des moindres: l'entourage politique du conseiller fédéral aurait transmis des informations de plus haute importance concernant la gestion de la politique Covid au patron du groupe de médias Ringier.
Le chef de la communication du conseiller fédéral, Peter Lauener, aurait régulièrement transmis des informations confidentielles à Marc Walder, patron de Ringier, durant la pandémie. Avec cette information, le journal dominical Schweiz am Wochenende (appartenant au groupe CH Media, qui édite également watson) jette un pavé d'importance dans la mare.
Voici les acteurs de cette affaire:
Tout commence avec l'enquête du procureur extraordinaire de la Confédération, Peter Marti, sur l'affaire Crypto. Il s'intéresse, dans ce cadre, à plusieurs fuites ayant eu lieu dans la presse et ses soupçons se concentrent alors sur Peter Lauener, chef de la communication d'Alain Berset.
C'est dans ce contexte qu'il soulève des questions sur de possibles autres fuites, cette fois-ci concernant la gestion de la pandémie, à la presse. Il ouvre un autre dossier.
Au centre de celui-ci: des contacts très (trop?) étroits entre Peter Lauener et Marc Walder. Le bras droit d'Alain Berset aurait gardé un contact très étroit avec le patron de presse, allant jusqu'à communiquer avec lui «chaque semaine» sur l'évolution des mesures prises par le gouvernement, selon nos collègues de Schweiz am Wochenende.
L'exemple le plus flagrant a eu lieu le 11 novembre 2020. Blick révèle en Une que la Suisse a enfin accès au vaccin. Le média alémanique donne l'information plusieurs jours avant l'annonce du Conseil fédéral. De plus, il dispose d'infos solides dont personne n'avait idée à l'époque: le vaccin choisi sera celui de Pfizer/Biontech et le Conseil fédéral prévoit d'acheter 100 millions de doses.
Alain Berset ainsi que Peter Lauener ont tous deux été entendus par Peter Marti. Il est, toutefois, précisé que:
Peter Lauener a été entendu par Peter Marti en mai 2022. Durant l'interrogatoire, des questions sur Crypto AG ont lieu, mais aussi sur les messages échangés avec Marc Walder. Durant plusieurs heures, Peter Lauener répète: «Je ne sais rien». Il le fera 204 fois.
Après cet interrogatoire, Peter Lauener a passé plusieurs nuit en détention préventive. La raison mise en avant par Peter Marti: le danger que celui-ci ne profite de sa remise en liberté pour mettre en place des accords avec les parties en présence ou aille se débarasser de possibles preuves. Une décision contestée par l'avocat du chef de la communication de Berset.
Trois semaines après cet entretien, Peter Lauener quitte son poste. Il travaille désormais pour une entreprise de communication privée à Berne.
En septembre, Peter Lauener dépose une plainte pénale contre Peter Marti pour «abus de pouvoir». En conséquence de la nouvelle procédure en cours, les appareils électroniques saisis quelques mois plus tôt n'ont «pas pu être exploités» pour en saisir des preuves. Ils demeurent sous scellé.
Scénario ubuesque: un autre procureur extraordinaire, Stephan Zimmerli, enquête désormais sur le procureur extraordinaire Peter Marti.
Tout d'abord, la question principale: le conseiller fédéral Alain Berset était-il au courant que son chef de la communication faisait fuiter des informations confidentielles dans la presse? Il a répondu de manière assez expéditive au micro de la RTS, dans l'émission Forum, vendredi soir:
Emma Bossin, porte-parole du département fédéral de l'Intérieur, n'a également pas souhaité répondre à nos confrères.
Ensuite, la question de l'indépendance de la presse. Car si un média a le droit — ou non — d'approuver ou de critiquer l'action de son gouvernement, qu'en est-il des possibles influences directes ou indirectes?
Marc Walder est, en effet, particulièrement sensible à la thématique du Covid. Les mesures au sein de Ringier ont été particulièrement strictes durant la pandémie. Durant une conférence en ligne organisée en février 2021 par la Swiss Management Association, il a ainsi déclaré:
Et de rajouter:
La discussion en ligne devait avoir lieu sur invitation, mais ces propos avaient fuité plusieurs mois plus tard. Le média satirique conservateur alémanique Nebelspalter s'en était fait l'écho. La version romande de Blick a alors publié un éditorial de l'ensemble des rédacteurs en chef des rédactions, dans lequel le média assure «travailler en toute indépendance» (dans le titre). On peut y lire:
Le procureur Peter Marti estime, quant à lui, que le groupe de presse a pu avoir «une influence sur le Conseil fédéral» avec ces liens. Le sérail politique étant, lui aussi, sensible aux informations sorties dans la presse, une fuite peut permettre d'influencer ou de faire pression sur une partie des institutions.
Parmi eux notamment, Ueli Maurer, connu pour être opposé au renforcement des mesures Covid, déclarait ainsi à nos confrères il y a une année:
Selon l'ancien conseiller fédéral UDC, cette pression médiatique aurait permis de faire passer des mesures «qui n'étaient pas forcément nécessaires» au niveau fédéral, mais aussi au sein de différents cantons.
Pour l'heure, la critique la plus virulente provient du conseiller national UDC zurichois Alfred Heer, qui appelle à la démission d'Alain Berset.
Ailleurs dans le parti agrarien, on reste critique: interrogés par la RTS, les conseillers ntionaux Jean-Luc Addor (UDC/VS) et Céline Amaudruz (UDC/GE) n'ont pas appelé à la démission, mais lourdement critiqué la crédibilité du conseiller fédéral et laissé entendre qu'il doive lui-même se poser la question de sa démission.
Andres Carroni (PLR/AG) a également indiqué qu'Alain Berset, en tant que représentant élu, «n'était plus crédible». Plus à gauche, les réactions tardent encore à venir. Interrogé par l'émission de la RTS Forum, le conseiller national (Verts/GE) Nicolas Walder (pas de lien connu avec l'éditeur de Ringier) a avancé un autre élément qui pose problème: