«Les jours de Netanyahou en tant que premier ministre sont comptés»
Comment voyez-vous l'accord de Charm el Cheikh? Le mot «historique» désormais sur toutes les lèvres se justifie-t-il?
Simon Wolfgang Fuchs: Je reste très surpris de voir à quel point Palestiniens et Israéliens s'unissent désormais dans la joie.
En ce qui concerne la fin de la guerre, peu d'obstacles demeurent à mon sens. Pour en arriver là, il a fallu que les Etats-Unis pèsent de tout leur poids dans la balance, avec l'appui du Qatar, de la Turquie et de l'Egypte notamment. On ne devrait pas minimiser cyniquement cet exploit.
Pendant longtemps, on a dit qu'il était impossible de négocier avec une organisation terroriste comme le Hamas, dont l'objectif avoué est de détruire Israël. A-t-il cédé pour des raisons tactiques, afin de reprendre des forces pour un prochain round?
Avec cet accord, le Hamas fait au moins un grand pas vers Washington, qui doit garantir que la guerre ne reprendra pas. C'est déjà remarquable.
L'une des deux parties sort-elle gagnante?
Difficile à dire. D'un côté, on a des dizaines de milliers de morts côté palestinien, de l'autre, les otages tués et les soldats israéliens tombés au combat. La situation est fondamentalement la même qu'avant le 7 octobre 2023, sauf que la bande de Gaza est désormais complètement détruite.
Donc vous êtes pessimiste quant aux parties de l'accord qui vont au-delà de la première phase?
Je pense que les négociations vont s'enliser. Seule une petite minorité en Israël est favorable à ce que l'Autorité palestinienne prenne le contrôle de toute la bande.
Peut-être Israël reprendra-t-il le contrôle de l'ensemble du territoire.
Vous vivez en Israël. Comment cet accord y a été reçu? Parvient-on à se réjouir du retour des otages ou est-ce qu'il reste encore du scepticisme?
C'est avant tout la joie qui règne avec la libération des otages. Mais à mon avis, tout le monde garde en tête le vrai travail qui reste à faire. Peut-être qu'Israël n'a pas nécessairement intérêt à céder sur d'autres points. Il croit plutôt pouvoir gérer la situation grâce à sa force et à sa supériorité technique.
Certains reprochent à Netanyahou d'avoir mené la guerre aussi longtemps pour rester au pouvoir et détourner l'attention des accusations de corruption. Ont-ils raison?
Son désir de maintenir la cohésion de sa coalition a certainement joué un rôle. Mais il pensait sans doute aussi être le seul à pouvoir diriger le pays dans cette période difficile et résister à la pression internationale. Le public pourrait désormais s'intéresser davantage aux procès dont il fait l'objet. Des membres du camp gouvernemental ont récemment aussi compris que la guerre ne pouvait pas continuer, à cause de l'opinion publique mondiale, mais aussi de l'état de leur armée et des coûts économiques.
Que pensez-vous des accusations portées contre la conduite de la guerre par Israël? Les critiques les plus virulents parlent de génocide.
Pour trancher, il est essentiel de savoir si les Israéliens avaient pour objectif de tuer le maximum de Palestiniens. A la lumière du débat israélien, j'ai des doutes à ce sujet. Ce qu'on peut toutefois reprocher aux Israéliens, c'est qu'ils se moquaient des victimes civiles: ils refusaient de les voir et ont certainement commis des crimes de guerre.
La coalition de Netanyahou touche probablement à sa fin, selon vous. De quoi sera fait son avenir politique personnel? Ses compatriotes lui attribueront-ils le mérite du retour des otages?
Le gouvernement va désormais affirmer que la libération des otages a toujours été sa priorité. Mais ce discours ne tiendra pas la route, car la population sait bien que cet accord aurait pu intervenir il y a un an, quand plus d'otages vivaient encore. Même après l'attaque contre l'Iran, la cote de popularité de Netanyahou n'a pas grimpé dans les sondages. Son parti, le Likoud, devrait certes encore peser, mais il perdra probablement son statut de première force politique.
Ses défenseurs pourraient rétorquer que le Hamas a accepté des concessions et que la dureté de l'action militaire était par conséquent justifiée. Pour le dire crûment, Israël a bombardé jusqu'à ce que le groupe terroriste s'assoie à la table des négociations.
Cela joue certainement un rôle, et le Hamas cède sur des éléments centraux, par exemple en libérant tous les otages d'un seul coup sans grand-chose en échange.
Par la suite, Trump a changé de ton, critiquant vivement Israël et proposant au Qatar un nouvel accord d'assistance militaire.
Sa politique pourrait-elle changer de manière décisive sans Netanyahou? Et qui pourrait lui succéder?
On mentionne souvent Naftali Bennett. Il a déjà été premier ministre et est moins idéologique que Netanyahou. Cependant, lui aussi s'est clairement opposé à la création d'un Etat palestinien et à l'octroi de plus de pouvoirs à l'Autorité palestinienne. Le ton pourrait donc changer, mais l'annexion rampante de la Cisjordanie devrait se poursuivre.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)
