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Interview

Turbulences en avion: «Assis, gardez votre ceinture»

Après la Singapore Airlines, c’est un vol de Qatar Airways qui se conclut avec 12 blessés. Un expert donne ses conseils au sujet des turbulences dans l'avion.
Entre la Singapore Airlines et Qatar Airways, l'aviation civile a été secouée par plusieurs perturbations la semaine passée.Image: NurPhoto

Turbulences: «Certaines compagnies épargnent davantage leurs passagers»

85 blessés et un mort lors d'un vol «catastrophique» de la Singapore Airlines mardi, une douzaine d'autres sur un avion de Qatar Airways dimanche... Faut-il craindre la multiplication des turbulences? Quels risques pour les passagers? Entretien avec Vincent Grondin, expert et consultant en exploitation et sécurité aérienne.
29.05.2024, 08:4429.05.2024, 08:44
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watson: Décidément, sacrée semaine pour l'aviation. Quel regard portez-vous sur les incidents très rapprochés du vol SQ321 de Singapore Airlines et le QR017 de Qatar Airways?
Vincent Grondin: En tant que professionnel, je ne suis pas surpris. Il faut éviter de réagir à chaud. J'attendrais les conclusions des analyses qui prendront des semaines, voire des mois. Cependant, après avoir échangé avec des collègues sur le cas de la Singapore Airlines, il s’agit vraisemblablement d’un souci de planification. La plupart des avions qui circulaient dans cette zone-là ont évité cette forte turbulence.

Pouvez-vous me rappeler en quoi consistent ces fameuses «turbulences»?
La masse d'air n'est pas quelque chose d'uniforme: elle comprend des courants ascendants, descendants et latéraux. Les plus fortes turbulences se trouvent dans les masses d'air à fort développement vertical qui forment les cumulonimbus. A l’exception de quelques appareils spécialisés de la NASA ou d’organismes de surveillance de phénomènes météo, aucun avion n'entre dans un cumulonimbus - ou il n’en ressort pas. Les turbulences impactent un avion, quelle que soit sa marque.

«Les deux incidents récents concernent deux Boeing, mais ils auraient pu survenir sur un Airbus ou un Bombardier, peu importe»

Quand un avion se rend d’un point A à un point B, il arrive que des cellules orageuses imprévues se promènent sur la route. Le pilote va donc s’efforcer de les contourner.

Après 20 ans passés comme consultant (ou «dispatcher») au sein de la compagne de jets privés suisse TAG Aviation, Vincent Grondin est désormais formateur dans des écoles d'aviation, ainsi qu'expert-co ...
Après 20 ans passés comme consultant (ou «dispatcher») au sein de la compagne de jets privés suisse TAG Aviation, Vincent Grondin est désormais formateur dans des écoles d'aviation, ainsi qu'expert-consultant indépendant pour le compte de compagnies aériennes, afin d'améliorer les procédures et la sécurité.image: vincent grondin dr

Dans le cas présent, pourquoi ne pas l'avoir évité alors?
Dans le cas du vol de la Singapore Airlines, deux possibilités: soit c’était le premier avion à rencontrer cette turbulence, il a donc prévenu le contrôleur aérien, qui a pu avertir à son tour les autres avions. Soit, il s’agissait d’une turbulence en «ciel clair» (CAT), qui se produit aux alentours d’un jet-stream.

«Ces courants, situés à certains points du globe, sont les plus forts du monde»

Ils peuvent se manifester brusquement et sont mis à jour sur les cartes météo qu’on fournit aux pilotes. D’où l’importance d'une bonne planification. J’aurais aimé voir les informations et les dossiers envoyés aux pilotes de la Singapore Airlines et de Qatar Airways. Pour être intervenu en tant qu’expert pour différentes compagnies aériennes dans des centres d’opération, j’ai pu observer de grandes différences dans les procédures.

«Certaines compagnies, plus que d’autres, vont tenter d’épargner un maximum de désagréments aux passagers»

Je n’ai pas d’avis particulier sur Singapore Airlines ou Qatar Airways, mais certaines compagnies présentent des lacunes au niveau de la transmission des informations aux pilotes, ce qui peut mener à ce genre de situation.

D'ailleurs, selon une récente étude, les turbulences pourraient se multiplier à cause du dérèglement climatique. Qu'en pensez-vous?
Il n'y a pas encore de consensus à ce sujet mais, ce qui est sûr, c'est que plus il y a de différences de températures, plus les phénomènes de type orageux ou de vent fort vont se développer. Toutefois, même s’il y a un effet probable sur l’aggravation des phénomènes dangereux, ils ne se produisent pas en quelques minutes. On les voit apparaître.

«Heureusement, les radars météo à bord des avions sont de plus en plus performants»

Leurs informations sont complétées grâce à d’autres systèmes dans le cockpit et par satellite. Si, avec ça, le contrôle aérien ou la cellule des opérations vous informe de tels phénomènes, c’est impeccable. Les centres météo, les centres d’exploitation aérienne ainsi que les systèmes à bord des avions devront simplement mieux planifier et être plus vigilants.

Donc, pas de risque accru de se trouver la tête encastrée dans le plafond, comme certains passagers du vol SQ321?
C'est un risque inhérent à ce moyen de transport. Lorsqu’on est assis dans un avion, on est en trois dimensions.

«Contrairement au train ou à la voiture, à n’importe quel moment, on peut se retrouver au plafond»

Je vous donne un exemple: si le système de pressurisation, qui permet aux passagers de respirer, connait une défaillance dans la haute-troposphère, entre 10 000 et 12 000 mètres d’altitude, vous avez environ 40 secondes avant de mourir. Il faut être très rapide: la procédure pour les pilotes est de plonger sans prévenir, jusqu’à ce que l'appareil atteigne l’altitude de rétablissement, autour de 3000 mètres, et qu’il y ait de nouveau de l’oxygène.

Wow! Mais à quoi servent les masques à oxygène, dans ce cas?
Ils ont une réserve de 15 à 20 minutes, selon le type d’avion. Ce n’est pas grand-chose. Les pilotes, eux, ont peut-être 20 heures d’air disponible. Il ne faut pas tarder, plonger, se rétablir et expliquer ensuite ce désagrément aux voyageurs.

«Désagrément», haha... On comprend mieux, en tout cas, l'importance de garder sa ceinture attachée.
Exactement. Cependant, comme je vole régulièrement, je constate que dès l’extinction du signal lumineux... Clic, clic, clic. La plupart des gens se détachent.

«Dès que vous êtes assis, gardez votre ceinture attachée. C’est la meilleure recommandation»

Quand vous n’avez pas de raison de vous lever, pour aller aux toilettes ou vous dégourdir les jambes, gardez-la. Les passagers fréquents le savent. En business, on remarque que la plupart des gens restent attachés. Sur les vols low cost, souvent plus courts, en revanche...

...C’est un peu la fête de la saucisse.
Oui! Toutefois, pour rassurer les voyageurs, un avion est capable d’absorber beaucoup plus de turbulences qu’un passager (rire). Lorsque les avions sont certifiés, on leur fait subir des torsions de tous les côtés, que ce soit au niveau du fuselage ou des ailes, jusqu’à la cassure. Lorsque vous voyez les ailes de l'avion bouger en entrant dans une zone de turbulence, c’est tout à fait normal. Cela prouve qu'elles sont flexibles et qu’elles amortissent bien les chocs. Si un avion était solide comme un tank, il casserait.

Mais justement, quand on voit que certains appareil de Boeing sont passés entre certains processus de certification, il y a de quoi s'inquiéter, non?
Les problèmes de Boeing ne concernent que ses tout derniers modèles, les 737-MAX. Pour des raisons économiques, du personnel a été licencié pendant que d'autres employés ont été mis en sous pression pour tenir les délais et pour maximiser la productivité. Des process qualités et des inspections ont été bâclés, jusqu’à oublier des outils dans un avion ou laisser des boulons mal serrées… En l’occurence, dans le cas des vols de Singapore Airlines et de Qatar Airways, il s'agit du 777-300ER du 787-900 de Qatar, deux modèles qui ne sortent pas de l’usine.

«Boeing, c’est totalement fortuit. Cela aurait pu arriver à n’importe quel autre avion»

Et étant donné qu'il y a énormément de Boeing et d'Airbus dans les airs, statistiquement, c’est clair qu’il y a plus de chances que cela arrive à l'un de leurs avions.

C'est donc davantage un problème humain que technique?
C’est un souci de planification et de suivi de vol. Toutefois, le facteur humain joue un rôle important. Si je fais un parallèle très osé avec la catastrophe du Rio-Paris 447 en 2009, pour le coup, on avait des pilotes qui sont allés se nicher au creux d’une série de cellules orageuses très fortes. Les images radars ce jour-là montrent que tous les avions avaient procédé à un évitement. Face à la déconnexion du pilote automatique, la perte de vitesse, les sondes givrées et ces conditions incroyables... Les pilotes n’ont pas su comment réagir. Ils ont fait une série d’actions sur les commandes qui n’étaient pas les bonnes et qui ont mené au décrochage de l’avion. Ça, c’est vraiment un problème humain.

Ce qui n'est pas pour nous rassurer non plus...
J’ai conscience que cela n’est pas forcément rassurant. Quand on monte dans un avion, on ignore qui sont les pilotes ni les gens chargés de suivre le vol. Mais je renvoie toujours les voyageurs aux bases de données statistiques d’accidentologie aérienne. Les chiffres s’améliorent d’année en année.

«L’aviation n’a jamais été aussi sûre qu’aujourd’hui»

Les avions de dernière génération sont très performants, très sophistiqués, et le personnel est de mieux en mieux formé. On a pris en compte tous les soucis qui ont pu se produire par le passé. Chaque accident, chaque évènement apporte son lot d'enseignements. La base de données est énorme. Suite à la catastrophe du vol Air France 447 notamment, on a mis en place des procédures inédites dans l’entraînement des pilotes, notamment en simulateur.

Le problème actuel serait donc plutôt médiatique?
La presse et les réseaux sociaux permettent de se focaliser sur chaque évènement. L'information circule à toute vitesse, nettement plus vite qu’avant. Au moindre incident, les passagers peuvent filmer l'intérieur avec leur téléphone portable, faire le buzz. Dans le cas présent, il s’agit deux avions de la même marque, une marque qui connait des problèmes avec certains modèles. Ajoutez à cela que des lanceurs d’alerte sont décédés dans des circonstances particulières, et tous les ingrédients sont réunis. Cependant, gardons-nous des amalgames.

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