Ils se sont étranglés avec leur bout de viande. Souvenons-nous. C’était en mai 2022. Les Verts genevois réunis en congrès votent un amendement interdisant à leurs élus de manger de la viande en public lors de manifestations officielles. Tollé dans les rangs parmi les opposants, qui jugent cette mesure sectaire. Son instigatrice, la députée Sophie Desbiolles, la défend en ces termes sur les réseaux sociaux:
Décidément: non seulement la troupe doit faire ceinture sur la bidoche, mais en plus, elle doit endurer l’écriture inclusive. Devant la fronde, l’amendement saute un mois plus tard.
L’épisode reste comme un condensé de ce que sont devenus les Verts pour beaucoup: des puritains.
Boris Calame, qui a quitté le parti peu après ce «no steak gate»:
Comme d’autres de ses camarades avant lui excédés par l’évolution idéologique du Parti écologiste genevois (le nom officiel des Verts du bout du lac), Boris Calame a rejoint les Vert’libéraux. Pas de chance: bien qu’en progression en pourcentage de voix par rapport à 2019, les Vert’lib du canton ont perdu dimanche le seul élu qu’ils avaient à Berne.
«C’est le retour de manivelle», commente-t-on chez les écolos genevois au lendemain des élections fédérales qui ont vu les Verts régresser de 3,8 points, passant sous la barre symbolique des 10%. A Genève, où la formation écologiste avait fait un «carton» en 2019, un quart du total des voix, la chute est rude: - 9,2 points et un député sur trois qui saute au National.
Le politologue Pascal Sciarini nuance:
Lorsque cet ancien Vert, qui souhaite garder l'anonymat, adhère au parti dans les années 2000, celui-ci «n'est pas encore devenu le lieu des grandes démonstrations d’activisme woke», raconte-t-il. «La bascule, dit-il, date de 2015, lorsque Lisa Mazzone, par ailleurs très convaincante dans son registre, est mise sur orbite pour les élections fédérales de 2015, avec succès, puisqu’elle entre au National. Nous sommes alors de plus en plus alignés sur les socialistes, ça ne me convient pas, moi, je suis pour la responsabilité individuelle.» Notre homme s’en va en 2017. Il prendra lui aussi la direction des Vert’libéraux.
Le wokisme? C’est encore certains Verts qui en parlent le plus. En mal.
Graphiste de profession, Boris Calame s’est opposé à l’initiative «Genève Zéro Pub» lancée par les Verts genevois, rejetée de peu en mars dernier. Encore un «interdit». «Je suis graphiste, la pub, les images, c’est mon métier», explique-t-il. «Il était notamment question de combattre le sexisme, une nécessité, bien sûr. Mais c’est le cadre qui doit être contraignant, il ne s'agit pas d'interdire a priori la création. Le parti entendait aussi, par cette initiative, empêcher "la manipulation permanente du public". Je n’étais pas d’accord avec cette approche. Le public n’est pas naïf à ce point.»
Pareil désaccord sur le déboulonnage des statues et le retrait des plaques de rue. «Le biais rétrospectif, ça ne va pas. Il faut contextualiser, expliciter ce qu’on reproche à certains personnages du passé, leur racisme, par exemple. Il ne faut pas effacer les traces», plaide Blaise Calame.
Une femme, toujours membre des Verts genevois:
Notre interlocutrice trouve en revanche «affligeant qu’on nous ressorte encore aujourd’hui l’histoire de la viande ou qu’on nous reproche les blocages de Renovate Switzerland, on n’y était pour rien». Le parti, qui ne voulait pas se mettre à dos la jeune garde militante, n'a pas formellement condamné ces entraves routières. Les observateurs sont d'avis qu'il l'a payé cher dimanche dans les urnes.
La présidente des Verts genevois, Delphine Klopfenstein Broggini, réélue dimanche au Conseil national, estime que «ce n’est pas le moment de se tirer dans les pattes entre Verts et Vert’libéraux. La priorité est de faire barrage aux populismes et à l’extrême droite au deuxième tour de l’élection au Conseil des Etats.» Le ticket de gauche composé de Lisa Mazzone (les Vert.e.s) et de Carlo Sommaruga (PS) y affronte Mauro Poggia (MCG), allié à Céline Amaudruz (UDC).
Les Verts ont-ils un avenir? Delphine Klopfenstein Broggini:
«Le risque, c’est que les Verts s’extrême-gauchisent sous la poussée de jeunes activistes», pointe un ancien du parti passé chez les Vert’libéraux. Il semble qu’on n’y soit pas encore: contrairement à l’ensemble de l’extrême gauche après la tragédie survenue le 7 octobre dans le sud d’Israël, le président des Verts suisses, Balthasar Glättli, a «condamné fermement la terreur du groupe islamiste contre la population civile israélienne. Nos condoléances vont aux victimes de ces violences barbares.»