Suisse
Asie

Prisonnier du système d'asile suisse pendant 24 ans, il raconte

Kim Young* vit à Konolfingen depuis onze ans. Contre son gré. Il peut enfin déménager.
Kim Young* vit à Konolfingen (BE) depuis onze ans. Contre son gré. Il peut enfin déménager.Image: Severin Bigler

Ce Nord-coréen s'est battu 24 ans avec l'administration suisse

L'attente touche à sa fin. Après 24 ans passés en Suisse, dont onze sans statut légal, ce Nord-Coréen pris au piège du système d'asile suisse raconte.
27.12.2025, 07:1627.12.2025, 07:16
Vera Leuenberger / ch media

Peu avant Noël, une lettre attend Kim Young* dans sa boîte aux lettres. Après 24 ans, enfin la bonne nouvelle: la confirmation de son admission provisoire en Suisse. Il l'espérait depuis si longtemps. Un cadeau plus précieux que tous les autres. Quelques semaines plus tôt encore, la situation était pourtant tout autre.

Kim Young apparaît calme et réservé, presque détaché. Interrogé sur son état, il répond:

«Oh, beaucoup de stress. Toujours ce stress»

Un stress engendré par la procédure d'asile. Dans sa tête revient sans cesse la même interrogation: «Pourquoi les autres obtiennent-ils un statut légal et pas moi?»

Il est assis calmement, bien droit, à une table du bistrot de Konolfingen, cette commune située aux portes de l'Emmental, dans le canton de Berne. Au milieu des autres clients, le Nord-Coréen de 54 ans et son accompagnant, un bénévole d'une organisation d'aide, passent inaperçus. Personne ne vient leur adresser la parole.

Des années d'attente pour une réponse

Sa voix ne s'élève pas. Seule l'expression de ses yeux change. «Je n'obtiens jamais de réponse positive», dit Young. Cela dure depuis des années. Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) ne le croit pas. En 2023 encore, il a rejeté sa demande d'asile. Mois après mois, Kim Young attend la décision qui scellera son avenir: celle qui dira s'il peut rester en Suisse après plus de vingt ans passés dans le pays.

«Je veux enfin quitter ce centre», dit Kim Young. Depuis onze ans, il vit dans le centre pour requérants de Konolfingen. Le trajet en train jusqu'à Berne dure vingt minutes et coûte 6,60 francs avec un demi-tarif, une somme qu'il ne peut que rarement se permettre avec les dix francs qu'il reçoit par jour.

Le centre de requérants se situe à l'extrémité du village. Young y vit avec 45 autres hommes, parfois plus, parfois moins. Ils viennent de pays différents, ont tous reçu une décision d'asile négative et sont, en principe, tenus de quitter la Suisse. Pour diverses raisons, leur renvoi n'est toutefois pas possible, par exemple en raison de l'absence de documents d'identité ou de l'inexistence d'accords de réadmission.

Un quotidien répétitif et hanté par l'inquiétude

Toute activité professionnelle leur est interdite. Les requérants d'asile déboutés ne perçoivent que l'aide d'urgence, soit dix francs par jour, ainsi que l'assurance-maladie obligatoire. Le confort est très limité dans le centre où réside Kim Young.

Au rez-de-chaussée se trouve la salle commune, aménagée de façon très sobre. Juste derrière se trouve la cuisine, avec beaucoup d'inox, fonctionnelle, presque industrielle. Autour des tables, quelques résidents sont assis, tapotant leurs smartphones, échangeant à peine quelques mots.

A l'étage, un long couloir mène aux chambres. Kim Young ouvre la porte et nous fait entrer dans son petit espace. Au fil du temps, pas mal de choses se sont accumulées: des vêtements empilés devant l'armoire, une veste d'hiver, une valise au pied du lit, des livres, dont un lexique pour apprendre l'allemand, du papier. L'espace est restreint. Le lit de l'autre côté est généralement vide. En tant que résident de longue date, il bénéficie de certains «privilèges», explique le responsable.

Le Nord-Coréen ne souhaite pas montrer son visage, trop sensible en raison de ses origines.
Le Nord-Coréen ne souhaite pas montrer son visage, un dévoilement trop sensible en raison de ses origines.Image: Severin Bigler

Les journées au centre de retour se suivent et se ressemblent, raconte Young: se lever, prendre le petit-déjeuner, marcher. Les collines et les chemins de campagne autour de Konolfingen, il les connaît comme sa poche. Ces promenades lui permettent de se vider la tête. Mais l'incertitude l'accompagne en permanence. Le quinquagénaire résume, sans détourner le regard:

«Sans décision positive, je n'ai pas d'avenir»

Kim Young est prisonnier du système d'asile suisse, comme l'explique son avocate, Melanie Aebli.

«Il tombe entre les mailles du filet: les instruments prévus par le droit d'asile ne s'appliquent pas à lui»

Le problème: son pays d'origine.

Une fuite de Corée du Nord…

La fuite de Kim Young a abouti par hasard en Suisse en 2001. Il connaissait l'Allemagne. Quant au pays où les passeurs l'avaient laissé à l'âge de 29 ans, il n'en savait à l'époque pas grand-chose.

En décembre 2000, il voyage en camion de Moscou vers l'Europe. Young raconte:

«Il y avait environ 20 personnes à l'arrière sur la plateforme, toutes debout, il n'y avait pas de sièges»

Il est le seul Nord-Coréen; aucun compatriote ne croise sa route pendant sa fuite. Il quitte sa patrie, un petit village dans le nord-est de la Corée du Nord, en 1994. Lui et ses parents doivent fuir, car son père affichait des tracts critiquant le régime.

Il raconte peu son enfance et son adolescence sous la dictature, seulement quelques anecdotes: qu'il a été épargné du service militaire grâce à son père, ou encore son travail dans la cuisine d'un navire: «Chaque jour, je préparais des calamars frais», raconte-t-il, jusqu'à ce qu'il souffre du mal de mer et doive arrêter.

La cuisine l'accompagne depuis: préparer des plats à base de riz, manier la sauce soja et la pâte de piment, tout cela lui est familier. C'est son domaine de prédilection.

…suivie d'une fuite de la Chine

Son métier lui permet de trouver un emploi dans une cuisine de la grande ville de Jilin, en Chine, où lui et ses parents trouvent refuge. Son oncle, installé là-bas depuis longtemps, les héberge. Young apprend le mandarin, travaille, s'intègre à la société et respecte les règles. Comme beaucoup de ses compatriotes à l'époque, il ne dispose pas de permis de séjour en Chine.

«Travailler comme cuisinier. La vie me plaisait ainsi»
Kim Young

Il s'était imaginé un avenir là-bas. Mais la situation se détériore. Les contrôles dans les rues se multiplient: ceux qui ne peuvent présenter de passeport chinois sont arrêtés et renvoyés en Corée du Nord. «Prison, camps de rééducation… Certaines personnes n'en sont pas revenues», explique Young.

Il doit de nouveau fuir. Agé alors de 29 ans, il quitte la Chine sans ses parents, décédés entre-temps. Avec un faux passeport, il prend le train pour la Russie. Dans le compartiment, trois Chinois sont assis. Ils n'osent pas parler mandarin entre eux. Ne surtout pas se faire remarquer.

Une erreur qui lui coûtera cher en Suisse

Ne pas se faire remarquer, respecter les règles: c'est essentiel pour Kim Young. «Je n'ai jamais reçu la moindre amende», dit‑il avec une certaine fierté. Il préfère renoncer au train plutôt que de voyager sans billet lorsque l'argent manque. Avec les années, il a appris comment le système fonctionne, ce qu'il faut faire pour rester invisible en Suisse.

Les choses étaient différentes à son arrivée à Zurich en janvier 2001. Il ne connaissait alors pas les procédures. La présence de nombreux fonctionnaires dans la pièce le déstabilise: «J'étais tellement nerveux que j'ai oublié certains détails», raconte Young. Et il commet une grave erreur: il cache sa véritable origine. Ce qu'il ne sait pas encore à l'époque, c'est que cette déclaration erronée le poursuivra pendant de nombreuses années.

Il se fait passer pour un Chinois, puis pour un Sud-Coréen. La peur d'être renvoyé en Corée du Nord est trop grande. Sa première demande d'asile en Suisse, ainsi que les suivantes en Allemagne et en Suède, sont toutes rejetées.

Le nœud du problème: son origine

Ses dossiers, toutes les lettres officielles, décisions et notes des entretiens des 24 dernières années, remplissent un classeur entier. La pile trône sur le bureau de son avocate, Melanie Aebli. Elle tente de comprendre pourquoi les autorités butent sur son cas. Elle à de nombreuses reprises:

«Le SEM ne veut pas lui donner crédit»

En 2007, Kim Young raconte pour la première fois sa «vraie histoire» aux autorités suisses. Pendant les deux années d'examen de sa demande, il vit à Interlaken. Là, grâce à une annonce dans le journal «Cuisinier coréen recherché», il décroche un emploi. Il s'en souvient avec plaisir. Travailler, gagner son propre argent: c'est encore ce dont il rêve aujourd'hui.

Depuis la décision négative sur son asile en 2009, Kim Young erre dans le système d'asile suisse. Son malheur: il vient d'un pays d'où, prétendument, personne ne peut s'échapper. «En tant que Nord-Coréen, il ne peut pas simplement se rendre à l'ambassade pour demander un passeport», explique son avocate. Trop dangereux.

Dans les statistiques suisses sur l'asile, la Corée du Nord n'apparaît pas parmi les pays d'origine. Seules quelques personnes parviennent à fuir ce pays.

Une situation désespérée enfin reconnue

Avec ce courrier, son avocate, dont le soulagement est palpable, peut enfin déclarer:

«Le SEM a enfin examiné correctement la demande, suite à une nouvelle requête du Service de migration de Berne. Tous les efforts des personnes impliquées ont finalement porté leurs fruits.»

Ces dernières années, Young se rend régulièrement aux ambassades de Chine et de Corée du Sud. Il cherche à prouver qu'il n'est ni Chinois ni Sud-Coréen, à trouver un document ou une preuve capable d'infirmer ses premières fausses déclarations et d'établir sa véritable origine.

Les preuves manquantes expliquent également pourquoi sa demande de statut d'apatride avait été rejetée il y a trois ans. Seuls deux objets en sa possession laissent entrevoir son origine nord-coréenne: un pin's du drapeau national et un billet de banque nord-coréen. Deux objets impersonnels.

Les autorités migratoires de Berne semblent avoir pris conscience de la situation sans issue de Young. Dès 2023, elles ont déposé une demande: «Elles s'efforcent de le sortir de l'aide d'urgence», explique Aebli. Mais c'est le gouvernement, le Secrétariat d'Etat aux migrations, qui doit trancher.

Sa vie dans l'ombre de la société touche à sa fin. Kim Young* est considéré comme admis à titre provisoire. Il a enfin le droit de travailler.
Sa vie dans l'ombre de la société touche à sa fin. Kim Young* est considéré comme admis à titre provisoire. Il a enfin le droit de travailler.Image: Severin Bigler

Le gouvernement reconnaît enfin sa situation. Il bénéficie désormais du statut de personne admise provisoirement. Cette période d’incertitude prend fin. Young déclare joyeusement au téléphone:

«Je peux enfin recommencer et mener une vie autonome»

Il a déjà un emploi en vue. Il est en contact avec un restaurant coréen à Berne, raconte-t-il avec fierté. Du kimchi fortement épicé, des marmites fumantes, des morceaux de bœuf marinés, un lien avec ses racines. Il résume:

«Maintenant, je suis ici, ma patrie, c'est la Suisse»

Sa nouvelle priorité: quitter Konolfingen et le centre de requérants. Peu importe où: «L'essentiel, c'est de partir d'ici», dit-il.

*Nom d'emprunt

Traduit et adapté par Noëline Flippe

Les images contenues dans le dossier Epstein
1 / 12
Les images contenues dans le dossier Epstein

Ghislaine Maxwell, Bill Clinton et Kevin Spacey.

source: sda
partager sur Facebookpartager sur X
Ce YouTubeur sud-coréen cuisine des steaks de mouches
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
Avez-vous quelque chose à nous dire ?
Avez-vous une remarque ou avez-vous découvert une erreur ? Vous pouvez nous transmettre votre message via le formulaire.
0 Commentaires
Votre commentaire
YouTube Link
0 / 600
Des policiers saint-gallois dans le rôle de videurs de Noël
A Saint-Gall, la police a reçu plusieurs appels durant Noël pour faire partir des invités récalcitrants. Une intervention efficace, selon les autorités.
La police cantonale saint-galloise a dû jouer les videurs à Noël. Elle a reçu plusieurs appels de personnes souhaitant se débarrasser d'invités tenaces.
L’article